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tu là-haut de Sybille Monney par Françoise Delorme

samedi 2 juillet 2016, par Cécile Guivarch

tu là-haut de Sybille Monney se compose de deux parties distinctes que des résonances subtiles invitent à lire dans le même mouvement, à interpréter ensemble.

Elles s’inscrivent d’abord toutes deux dans un élan cosmique évoqué au début de chacune par le nom des constellations, la trace de la Voie lactée, l’exergue qui rappelle que celle du Lynx est appelée ainsi parce qu’« il faut un oeil de lynx pour voir les étoiles qui y brillent ». Dans le premier chapitre, Au milieu des vernes, le cosmos accouche de cette terre difficile qu’est le Valais où habiter et résister tient d’un combat permanent, comme dans le second Jamais roche ne dort, la mère met au monde un enfant fragile. Il volera de ses propres ailes, sans casser un amour inconditionnel qu’il aura inventé et qu’affirme une question sans réponse : « Jusqu’à quand berce-t-on un enfant ? »

Comme dans Paravalanches, un beau premier livre, sentiments personnels et mouvements naturels s’entremêlent. La violence de vivre s’incarne dans des échanges métaphoriques plutôt suggérés que franchement dessinés. Le lyrisme très heurté de ce recueil s’en allège d’autant. Une tension se maintient tout au cours de la lecture entre la relation littérale de petits événements ordinaires et l’expression de sentiments forts parmi lesquels douleur et inquiétude dominent. La montagne menace et dévore :

l’avalanche alors déclenchée les a poussés repoussés
plus loin encore et même plus bas dans la terre
dans le grand jour les a encore sur quelques mètres
conservés puis dans sa grande nuit les a jetés

La vie avance sans égards comme l’avalanche et si elle ne tue pas, elle étire jusqu’à la rupture toutes sortes de sentiments contradictoires. Elle menace tout amour de déchirure, d’éloignement. L’oiseau prend son envol, l’enfant aussi, mais dans la violence d’un monde qui l’étreint autant qu’il l’élève :

le plumage pour toi pense
aux oreilles le vent aux tempes le sang
aux yeux la poussière
la foudre parfois même te côtoie

Toute une symbolique de l’oiseau parcourt ce livre et prend corps peu à peu, devenant une ligne essentielle qui contredit avec vivacité l’obstacle incessant des montagnes.

La curieuse mise en page des textes du premier chapitre joue entre prose déliée et vers qui n’avancent pas, en donnant l’impression d’une marche malaisée, comme entravée. Du moins, tenir le pas gagné ne paraît pas évident, ni même possible. Rien ne porte devant soi. La nature dont la puissance sauvage et écrasante s’impose se réinstalle toujours, dès que l’homme cesse de lutter pour exister : « ça commence en danger / ça n’avance pas vraiment,/ sauf en avalanche ». Les animaux, nombreux dans ce recueil, sont logés à la même enseigne. Ils doivent lutter pour vivre, mais s’étonnent et s’émerveillent aussi.

Les poèmes de Jamais roche ne dort offrent au contraire une verticalité jaillissante, l’envol s’invente et se désire au fur et à mesure de leur suite, adressée à un enfant. Celui-ci est l’enfant grandissant de celle qui écrit, mais il rappelle aussi la poète enfant : elle apprenait comme lui à vivre, écartelée entre la violence et la beauté, dans Paravalanches. Apprentissage de l’existence, de l’amour et, surtout, de la perte, de l’élan et de la chute. Pour exprimer cette ambivalence, Sybille Monney déploie une sorte de « réalisme magique » fort qui concasse par une curieuse syntaxe et un rythme volontairement bancal, comme éclaté, de fines observations de la vie naturelle, de la vie rurale et moderne. L’immobilisme comme l’envol s’enchevêtrent et se nomment ainsi l’un l’autre. La vie la mort aussi.

Le titre tu là-haut intrigue. Il rassemble d’abord le ciel, les étoiles, les sommets désirés et menaçants des montagnes du Valais. Sorte d’adresse à une immensité sans nom, cette deuxième personne du singulier pose d’emblée l’impératif d’un amour inconditionnel violent auquel on n’échappe pas, parce que vivant. Nous naissons, nous mourons et c’est merveille. Notre étrange mesure est dans ce « tu », qu’on imagine presque crié. Se réaffirme un acquiescement, même difficile à émettre. Le « tu » adresse par ailleurs toute parole de ce livre à un enfant précis, mais aussi à l’enfant en nous, comme à l’adulte qui veille.

On peut aussi entendre ce « tu » comme le participe passé du verbe taire et craindre la manifestation d’un silence insupportable. Une parole adressée, même avec tant d’énergie, ne trouvera peut-être pas de réponse ? Comme une menace sans cesse relancée. Un seul mot retient dans ses deux lettres deux sens résolument divergents qui se conjuguent pour dire cependant un amour, un désir qu’aucune précarité ne pourrait tarir. Le poème, malgré tout, décliné de proses brisées en vers clairs et rapides, s’abouche à l’existence et s’y accroche avec persévérance, même sous la menace. La vie, la vraie vie, est à ce prix :

D’un éclair à l’autre féroce est le silence
tu demandes à ne pas seul rester
garde grands ouverts tes yeux pour
au caprice céleste bien boire
tu as peur tu aimes ta peur
fou de foudre en visage
l’expression de ton meilleur devenir


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