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Lectures de Mathias Lair (Juillet 2023)

dimanche 2 juillet 2023, par Cécile Guivarch

Dans ma cabane à pattes de poule, d’Arnoldo Feuer, avec onze peintures de Sylvie Durbec, coll. 2Rives, éd. Les Lieux Dits, 2023, 20 €

La cabane à pattes de poule est, dans le folklore russe, la maison de Baba Yaga, surnommée « jambe d’os ». Baba Yoga est en effet unijambiste, dotée d’une prothèse, c’est le moindre de ses défauts. Elle n’a rien d’une ondine, ni d’une fée bienfaitrice, elle vient de la face obscure. Le folkloriste Vladimir Propp estime que sa minuscule isba, sans porte ni fenêtre et montée sur des pattes de poule, ressemble à un cercueil ; ou bien elle serait la maison des morts, par laquelle on transiterait vers les enfers. Bien sûr, les marxistes soviétiques ont cru reconnaître dans Baba Yaga l’exploiteur capitaliste, l’ennemi de classe... Il semblerait plutôt que, pour notre auteur, elle soit la métaphore de l’omniprésent FSB héritier du KGB, au temps de la perestroïka qui s’ensuivit.

Voici, le temps d’un livre, la résidence d’Arnoldo Feuer. Il retrouve Baba Yaga dans une des peintures de Sylvie Durbec incluses dans la première partie du livre, et avec lesquelles notre poète dialogue – d’où le nom de la collection : 2Rives. Et, en fin de livre, il semblerait que l’ombre de Baba Yaga l’ait protégé d’une filouterie…

En effet : il arrive, exceptionnellement, que la sorcière devienne bienveillante. Dans certains contes, « le héros touche le sein de l’ogresse et l’appelle mère », et elle lui répond « si tu ne l’avais fait, je te dévorais ». Est-ce l’espoir que nourrit ici le poète ? Il n’est pourtant point de sein dans ses « histoires vraies et à dormir debout ». On y a souvent froid, très froid, par –20° C, les palais autant que les modestes isbas sont décrépis, vermoulus, les robinets fuient, et les puanteurs :

Plus que le chien
mouillé – roulé dans la neige –
l’odeur dominante du pipi de chat
impossible à confiner à sa caisse
la maison décline son identité
olfactive sur ce thème majeur
avec les variations de choux
et solvants de peinture
(on est chez des artistes)

Pourtant la conclusion du poème vient contredire ces mauvaises vibrations :

il te faut peu de temps pour en être familier et
convaincu que tu rentres chez toi

L’ensemble des poèmes balance entre ces deux postulations : le rebutant et un discret attendrissement. Ils émergent d’un temps ancien, de plusieurs dizaines d’années, ils rappellent à Arnoldo Feuer les temps soviétiques qu’il a connus et qui font désormais partie pour lui d’une autre vie. Plus que les souvenirs du diplomate qu’il fut, ce sont les impressions fines d’un passant, elles reviennent « comme ça vient » dit-il. En force, malgré lui ? C’est que leur charme est resté intact. Il suffit de décrire, conjugué au présent éternel, les lieux, les sensations, les personnes rencontrées en Russie, pour que celui-ci ressurgisse tel quel – et parvienne jusqu’à nous, lecteurs. J’ai dit : un charme, j’aurais pu dire : un ensorcellement, un sort jeté par Baba Yaga, encore elle, sur le pauvre Arnoldo qui n’en peut mais, emporté par sa mémoire là où elle veut. « Comme ça vient », dit-il.


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