« On ne s’approprie rien
Mais les choses nous viennent
Pourvu qu’on les aime »
____ Carnets du Barroso – P.17
L’association Vagamundo, dont le siège social est à Pont-Aven, dans le Finistère, est une jeune maison d’édition qui a pour vocation de « traduire ou faire traduire des œuvres d’auteurs francophones ou lusophones ainsi que de créer et soutenir des projets autour des arts et des lettres afin de favoriser les échanges culturels dans les pays francophones et les pays lusophones » peut-on lire sur leur site.
Les Carnets du Barroso sont parus dans la collection Liber sous une couverture faisant coffret, composés de 31 poèmes en feuillets libres et ponctués de photos de Gérard Fourel avec qui l’auteur partage la même affinité pour cette région au nord du Portugal. « Le Barroso peut s’enorgueillir d’être un des derniers lieux où le mot humanité a un sens. »
« Nous appareillons à 23h59 » P.1
« … des oiseaux / Qui suivent le navire » P.55
Deux textes encadrent ces Carnets du Barroso, l’un ouvrant, l’autre fermant le recueil, délimitant le temps des carnets dans cette écriture qui vient entre la Bretagne et le Barroso, le poète et son amour, la petite maison au bord du lac, les villageois, dans une écriture de rapprochements et de connivences.
Serge Prioul écrit « sans rien inventer », notant au matin les faits de la veille, éclairé à la chandelle entre des murs de pierres. Chaque poème en vers libres tresse sur la page les paysages et les gens rencontrés, liés par son amour pour sa femme, Régine, à qui l’auteur lira le poème « chaque matin ».
Le paysage est d’eau avec une prédominance pour le lac que l’on voit de la fenêtre. Il soude le poète au lieu, lac de barrage faisant des habitants des immigrés qui gardent envers celui-ci quelques réticences, une peur, le risque d’un trop plein dont le niveau pourrait menacer les premières maisons.
Les pierres de granit qui façonnent les lieux font écho avec la Bretagne dont l’auteur, tailleur de pierre de métier, est originaire.
Dans cet espace Serge Prioul nous convie à un retour à l’essentiel. Avec finesse et sensibilité, il observe les gens, le quotidien, hommes et femmes sur les chemins, les habitudes locales, les gestes simples de ceux que le tourisme n’a pas encore contaminés. Les animaux, troupeaux de chèvres ou bêtes sauvages - plus souvent devinées - traversent les poèmes.
On lit aussi, en touches discrètes, les tensions que provoquent l’émigration économique, la fierté de ceux qui sont restés, ou parfois la volonté de préserver un entre soi que l’étranger dérange.
Chaque texte s’écrit entre la main du poète et l’oreille de la femme aimée : « Chaque matin lire à la femme / La page d’écriture » P.32 Et ainsi bat dans le poème un double cœur, un double je, un « nous » : « Nous vivons deux/…/ Vie d’aventure/ Et le mot est au singulier » P.15
Dans sa préface, Sylvie Durbec mentionne Fernando Pessoa. « Je suis de la dimension de ce que je vois. » écrit Le gardeur de troupeau. C’est bien de cela dont il s’agit : Que voit-on ? De quoi sommes-nous témoins ? « Il faut si peu pour être étonnés » P.35
L’écriture est simple. Elle s’accorde dans sa recherche avec la quête de l’auteur d’un lieu de vie dépouillé, un lieu lié aux sources, à l’élémentaire, loin des complications du convenu, jusqu’à regretter la bougie, dont la flamme est déjà poésie, comme peut l’être la pierre ou l’eau. Et que cette relation aux éléments façonne les habitants dans un rapport rugueux et direct à une humanité authentique, telle que peut l’écrire Jean Giono dans son Discours aux paysans sur la pauvreté et sur la paix : « L’homme qui n’accomplit plus les gestes de la vie ne doit pas s’étonner si la vie se retire de lui. »
Roland Cornthwaite
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