Entretien avec François Mocaër par Cécile Guivarch
Bonjour François Mocaër, je reçois maintenant depuis quelques années, 2010 si je ne me trompe pas, régulièrement des livres des éditions Unicité en Service de Presse ou recueils envoyés directement par les auteurs. Vous dire que j’aime beaucoup le travail d’éditeur que vous entreprenez depuis maintenant dix ans. Mais dites-moi, comment cette aventure a commencé ? De quel(s) désir(s) votre maison d’éditions est-elle née ?
Lors d’une lecture de poésie dans une galerie d’art, une auteure sur laquelle j’avais déjà écrit un article m’a avoué qu’elle ne trouvait pas d’éditeur pour son roman. Alors en plaisantant, je lui ai dit que j’allais créer une maison d’édition pour elle. Et c’est parti de cette manière. Elle m’a relancé au téléphone et je me suis dit : « Pourquoi pas. ». En fait cette auteure m’a permis d’accomplir de manière directe ce que j’avais pensé faire quelques années auparavant. Avec le recul, je dirais que j’y pensais mais que je n’osais pas.
Ce nom Unicité... J’entends unir, rassembler, cité comme humanité. Je suis peut-être à côté de la plaque... Mais comment l’avez-vous choisi ?
C’est en lisant le traité de l’unité de Ibn Arabi (soufi) que le mot unicité a surgi. C’est l’approche non duelle des religions ou spiritualité qui est à l’origine de ce mot qui résonne en chacun de manière différente.
Vous publiez plusieurs genres : romans, poésie, haïkus, essais, témoignages, spiritualité, histoire, jeunesse. Comment fonctionne votre maison d’édition ? Est-ce que vous avez plusieurs personnes responsables de collection ?
Oui il y a six directeurs de collection (Laurence Bouvet, Anne de Commines, Jean-Philippe Testefort, Francis Coffinet, Etienne Ruhaud, Pablo Poblète). Tous ont une ligne éditoriale bien précise que ce soit dans les domaines de la poésie, du roman, de la philosophie. De mon côté, je choisis des livres qui me correspondent.
Je ne reçois que quelques livres en Service de Presse car je vois sur votre site internet, l’actualité des parutions. Par exemple, cinq parutions en décembre et en novembre, une trentaine en octobre, et ainsi de suite chaque mois. Une activité éditoriale intense. Comment choisissez-vous les manuscrits qui sont publiés ?
Les livres me viennent par mail généralement. Je les renvoie aux directeurs de collection qui peuvent alors les lire. La moitié des livres me parviennent suite à des rencontres ou par l’intermédiaire d’auteurs ou de maisons d’éditions amies qui publient moins que les éditions Unicité.
Je remarque également que votre catalogue se compose de beaucoup de poésie. Cela témoigne de votre volonté d’être un passeur. La poésie, que représente-t-elle pour vous et pourquoi devrait-elle être lue ?
Le mot passeur me emble exagéré. Du moins je ne le ressens pas de cette manière. Je dirai simplement que je permets aux livres d’exister et, de fait, aux auteurs aussi. Et je sais que c’est très important pour eux, parfois capital. Pour moi la poésie exprime ce qui est au-delà des mots, et c’est donc un paradoxe puisqu’elle exprime avec des mots ce qui est au-delà des mots. De toutes les manières elle est l’expression de l’essence d’être. La poésie est un dépassement. Par définition elle est ontologique.
Oui bien sûr elle devrait être lue. Mais pour la lire et la ressentir, il faut être connecté à quelque chose de mystérieux en soi. On ne peut pas forcer une personne à en lire et encore moins à en acheter. La poésie est un appel.
Si vous deviez me conseiller un livre en particulier. Lequel est-il et pourquoi ?
C’est impossible de conseiller un livre de poésie en particulier. Et je profite de cette question pour vous dire que les anthologies sont des outils merveilleux parce qu’elles recouvrent toutes les sensibilités, toutes les approches.
Alors je vous citerai :
Le blues roumain (Anthologie imprévue de poésies roumaines), de Radu Bata
Et L’anthologie des grands poètes du Brésil, de Jean-Pierre Rousseau
Vous avez dû bien sûr faire de belles rencontres durant ces années. Avec des auteurs, peut-être avec des lecteurs. Peut-être aimeriez-vous raconter une ou deux belles anecdotes ?
Oui bien sûr on fait de belles rencontres. Mais chaque livre est une rencontre avec une personne chaque fois différente. Avec le métier d’éditeur, j’ai appris à prendre l’autre comme il est et à ne jamais juger les auteurs même lorsqu’ils ne sont pas très agréables avec moi. Si bizarre que cela puisse paraître l’édition m’a amené à une certaine forme de sagesse et de compréhension de l’autre.
Une anecdote : Un soir après un salon, sans doute sous le coup de la fatigue, j’appelle un auteur pour lui annoncer que je suis preneur de son livre. En fait je me trompe de numéro, et je rappelle un auteur qui m’avait appelé deux jours auparavant pour avoir des nouvelles de son manuscrit. Je lui dis que je suis d’accord de le publier et, après m’avoir avoué sa joie, je me rends compte que je me suis trompé, et je ne peux faire marche arrière. Je pense qu’il eût été inhumain de lui dire en cinq minutes c’est d’accord, puis ensuite Oh désolé je me suis trompé d’interlocuteur.
Etre éditeur... Qu’est-ce que cela représente pour vous ? En symbolique ? En travail au quotidien ? Les belles choses et les moins agréables ?
Symboliquement être éditeur est formidable.
Chercher une voie en poésie ou écrire un roman découle de la grâce de l’inspiration. Et c’est à cela que je donne vie, à cette grâce.
Bien sûr, il a des côtés ingrats comme aller à la Poste, porter des cartons, classer, faire des factures, se faire payer ; etc. Un éditeur célèbre a dit un jour : « Etre éditeur c’est porter des cartons et faire des crédits. ». C’est vous dire...
Et nous en arrivons peut-être à la fin, n’hésitez pas si j’ai oublié d’aborder quelque chose d’important. Avant de nous saluer, n’oubliez pas de me dire quels sont vos projets, pour la maison, pour les parutions à venir.
Pour les projets, j’ai une grande confiance dans les directeurs de collection. Les livres arrivent au fil de l’eau, je me laisse guider par ce que je ressens journellement. Je continue à donner vie à des livres écrits par des personnes différentes comme les autistes ou autres. Je vais ouvrir davantage la maison d’édition à des ouvrages de spiritualité. Je ne sais pas si c’est un défaut ou une qualité ou tout simplement un trait de caractère, mais je me laisse guider par ce que je reçois comme si cette confiance était une source d’inspiration constante.