Les Editions du Petit Pois publient des œuvres de poésie soutenant des textes d’auteurs contemporains qu’elles mettent en avant par la forme singulière de chaque livre.
Elles réunissent régulièrement plasticien, graveur, photographe, et poète dans leur collection Correspondances ou présentent des textes plus courts à travers la collection Prime Abord.
Elles sont portées par une conception humaniste de la littérature, dans l’idée qu’une publication est une expérience humaine ouvrant sur l’avenir, et que chaque livre travaille pour le suivant.
Les éditions du Petit Pois sont dirigées par Véronique et David Zorzi.
Entretien entre les éditeurs et Amandine Marembert (Janvier 2012), revu et complété avec la complicité de Roselyne Sibille
Comment est née votre maison d’édition ?
Les Éditions du Petit Pois sont nées à l’automne 2009 du désir de mettre en forme une musique et un livre intitulé Notes d’esprit. Nous étions trois, Laurent Azelvandre, Jean-Pierre Numa et moi-même. Compagnons de vingt ans. Il s’agissait avant tout d’une histoire entre amis, sans préméditation aucune. L’idée simple d’un partage, d’un échange, d’un moment commun.
Puis, le temps passant, pour permettre à l’aventure de se prolonger, il fallut quelques rencontres providentielles, notamment celle d’un imprimeur, Christian Bureau. Hasard des lignes qui se croisent pour mettre en œuvre une vision qui use des mêmes désirs.
De fils en aiguilles, nous avons eu l’envie de mettre en livre d’autres auteurs, d’autres textes que nous connaissions puis certains que nous avons découverts lors de nos premières sorties poétiques. Et peu à peu s’est installée une définition de notre travail : faisant des livres, nous avons compris de quelle manière ils nous définissaient.
Pouvez-vous nous expliquer son nom, le Petit Pois ? Il m’intrigue...
Le Petit Pois est tout simplement notre garçon, Simon. Véronique et moi-même, lors de sa grossesse, évoquant l’éventualité de créer une maison. Elle avec une expérience de l’édition. Au sortir de l’échographie, après avoir vu ce petit poids de vie, nous nous sommes dit qu’un tel nom nous plairait. C’était alors un conditionnel.
Puis, très rapidement, le terme est devenu le sens d’une pratique. Comme quoi, hasard ou jamais de hasard. Car petits, nous le sommes dans l’édition, a fortiori en tant qu’éditeurs de poésie et nous ne souhaitons pas devenir grands. Et pois, ou poids des uns, des autres. Un petit pois n’est jamais seul… On a tous un petit pois dans la tête… Finalement, le nom de notre maison interdit toute prétention et toute boursouflure.
Quelle poésie avez-vous envie de défendre ? Qu’est-ce qui vous décide à publier un livre de poèmes ?
Nous n’avons pas de doctrine poétique à défendre, mais l’envie de nous engager simplement pour des textes que nous aimons. Si nous sommes prêts à défendre un texte, si nous sentons que nous avons tous les arguments en main pour le faire, alors nous y allons.
Vos livres de la collection Correspondances sont soignés, de formats inhabituels. Ils présentent un dialogue entre la poésie, la peinture, la gravure ou la photographie. C’est important pour vous le chemin éditorial à parcourir avec un poète et un plasticien ?
En effet, nous avons dans l’idée qu’une publication est une expérience humaine ouvrant sur l’avenir, et que chaque livre travaille pour le suivant. Et nous avons le désir de faire davantage qu’imprimer.
Nouer une relation, sans hyperbole, mais réelle avec l’auteur fait partie de nos envies. Nous aimons à ce qu’il nous accompagne. Nous aimons aussi l’interroger. Tout cela dans une définition claire des uns et des autres.
Ainsi nous travaillons chaque livre comme s’il était unique. De là, formes et concepts toujours différents bien que reliés évidemment par l’esprit d’une même maison.
Quel est le principe de votre collection Prime Abord ?
Il s’agit d’une collection qui se veut abordable financièrement et de découverte, permettant au lecteur d’entrer en contact avec la poésie d’aujourd’hui. Ces livres sont des ouvrages plus courts mais qui ne cèdent rien pour autant à l’exigence littéraire. Ils sont aussi pour nous une manière d’être plus mobiles dans nos projets.
Comment peut-on envisager votre avenir ?
Notre identité est foncièrement humaniste et la poésie répond à cette exigence de vivre ensemble dans notre société actuelle. Elle est donc notre chemin présent et à venir. Néanmoins, toujours dans le doute, nous nous gardons le droit de vivre au gré de nos envies et de notre liberté. Alors nous espérons toujours trouver le texte qui prolongera la première expérience...
Extraits des différents recueils publiés
feu blanc
Laurence Bourgeois
Publication septembre 2015Halte halte-là
l’étranger
ne vois-tu pas la faille
sous le seuil qui tremblel’origine vacille
avant de franchir la ravineil n’y a plus aucune heure
à laquelle se vouer
pour retourner en arrière
il reste à creuser la terre
encore plus profond
à la racine du corpstu rampes
le long du vantail
aux vitres éclatéeshalte halte-là
ramasse les cristaux semés
pour retrouver ton pays
___ tessons|esquilles|écailles
à deux pas dans le silence
Stéphan Causse - Peintures de Bernard Jouanne
Préface de Franc Ducros
Publication août 2015une terre entre les nuages
le ciel éparpille ses ruines
le temps a besoin de cendreta foi sera peut-être
le début du jour***
ma vie au vitrail
les fanaux affamés
du souvenirémaux et moi
qui ne dis mot
sur les vitres burinées
de crépuscule
cette manie du jour qui ne veut pas
la nuitdes vies à croisillons
par le vitrail
babil
Raluca Maria Hanea
Préface de Rodica Draghincescu
Publication juillet 2015___ à trois
nous arrivons
___ à la maison sangsue
___ une résonance
___ pleinement___ des champs distendus
___ des yeux
___ où nos pas
___ surjouent l’espace à coudre***
___ ici
___ les gens sont bien
___ à leurs corps___ des argousiers durcis
___ dehors
___ pourrait éclater
___ en eaux brèvesje pense trépanation
(regardé de face c’est le côté du cœur)
un mur dont l’enlèvement ne se décide pas
Rose d’espace
Vincent Calvet
Publication mars 2015Les mots qui divisent s’absentent
comme disparaît le poisson
dans ses reflets
poignée de sable
une sorte de lumière triste sur les étendues
quelque chose s’écrit
quelque chose résonne
il ne reste plus que plumes
bulles
écume***
Enchâssées
perles qui s’exagèrent
pour briller
emportées par le flot
où irez-vous déposer vos plumes
vers quelles limites
suivant un chemin courbe & léger ?
à distance de souffle, l’air
Irène Gayraud
Publication janvier 2015Ce qui reste de tant de fulgurance
A peine une onde qui rappelle la volupté
la terrassante
les images du passé suspendues au visageCe qui est resté.
Beaucoup de terre, et une carteTout le reste s’éloigne, s’effrite à distance, sous des dehors
***
La carte est à l’échelle d’un lieu aride.
Dessus
la côte est loin
le sol bruisse sec
se craquèleAu bord de la carte pend
une catastrophe
Renouées
Luce Guilbaud et Amandine Marembert
Monotypes de Luce Guilbaud réalisés pour cette édition
Préface de Marie Huot
Publication juillet 2014dans ton geste
de prendre ma main
et de la tenir
dans l’écoute
il y a ce partage du rouge
de femme à femme
la teneur de ce qui coud et découd
le tissu des cœurs et des corps
il y a dans les regards qui s’ancrent
cette même interrogation féminine
du masculin___ deux chaises et des doigts rapprochés
___ suffisent à délier ce qui noue encore
___ au plus profond
___ la confidence comme fil à rebâtir
___ ce qui suspend dans la déchirure
___ les corps assis et tenus
___ cimentent la parole de la rencontreAmandine Marembert
***
___ Ici le soleil englobe et ferme notre abri
___ ici l’ombre blesse___ où serons-nous dans ce temps d’illusion
___ après ce mot de glace qui transforme la chair ?___ ai-je traversé le miroir des questions ?
___ je me suis retrouvée sur la rive
___ entre ronces et récifs
___ avec cette voix levée d’entre les vagues___ cette lumière qui traverse les eaux
___ accomplit quelques étoiles
___ d’où il faudrait choisir un terme
___ entre absence et souffle sans feu___ ici le vertige recommencé
___ de possibles migrations du sangLuce Guilbaud
Epiphanies
Sébastien Robert
Publication juin 2014Sous la neige et les ombres
La solitude se love,
Immobile,
Petite et roide.
Et jusqu’au chêne dépouillé
De cette plaine immense,
La tristesse n’a pas
Déployé son étendard.
Puis le geai matinal
Cajole un jour nouveau.***
___ Le sable immobile
___ Envoie du vert partout.___ Quand de grands
___ Eclats de vent
___ Soulignent un___ peu
___ L’attente.___ Davantage encore
___ L’intervalle rempli
___ D’un pas frais___ S’agrandit.
___ La lisière, le contour
___ Jasent
___ Sans égard,___ Détachés du ciel.
le cèdre et l’ancolie
Cécile Boisson
Publication mai 2014qui ? des années de nuit sous le masque
les doigts, qui ne se croisent plus
ce matin pourtant derrière la maison
la lune est pleine et claire
d’un profil bleu
je goûte l’infini***
rivière de reflets
on glisse on boit les arbres
assis sur le rocher
on laisse nos murmures
à cette transparencedans un oubli de graines et d’oiseaux
De l’autre côté
Angèle Paoli
Publication octobre 20130
sur la route___ le mur déroule
son pan de pierres
sèches ocres ce soir
sous la faible lumière___ dorées / mordorées
soleil marche
marche sous le vent elle
miroir longue plaque de verre
abandonnée___ là
adossée___ muret de pierre
rousse___ derrière la cahute Miroir1
elle se déplace___ déplace
la paroi de verre___ le paysage avec elle___ Contre
en appui sur / en porte-à-faux / en équilibre / un peu penché
le ciel s’incline pastel de nuages qui envahit surface lisse
les pommelés de gris glissent
poli translucide découpe des branches entre
crête de chênes___ une touffe d’herbe vive
en écho au feuillagecaptif de sa propre image
Je fleuris la terre ma robe
Amandine Marembert
Publication juillet 2013le matin à l’ornement
l’après-midi aux légumes
à la recherche de l’ombre
qui arrache repique arrose
la terre déposant sa nuit
dans les sillons des mains
sous les ongles***
tu compartimentes redessines
agrandis le potager
avec de longues planches de coffrage
tiroirs de terre à légumes
rubriques à ligner
que tu étudies culture associée
fleurs et légumes qui s’aiment
dans leurs couleurs goûts et saisons
Cévennes à contre-temps
Stéphan Causse
Publication mai 2013______________________ Ici
châtaigniers de gris
dédain du trépas
désert de sève
pluie, air, vent
rajeunissent l’ossature
auréoles boisées, un soleil
brode la rosée
une branche glisse
aux confins de la vieille beauté
un art bistre lègue
l’insouciance
de la forme
nulle langue ne dira
___ l’arbre
44 grenouilles
Vincent Calvet
Publication mars 2013La nuit les berges sont lumineuses
il n’y a personne sur les quais
juste quelques solitaires qui errent
des pêcheurs de bottes de rien
la nuit les quais sont lumineux
les monstres marins jouent aux désDans la nuit
à quelques pas du myosotis
la libellule électrique
pose sa vocation
sur la terre noire
– les grenouilles l’ont appelée
sur la terre et les chants
Ra(ts)
Rodica Draghincescu avec des gravures de Marc Granier
Introduction de Julien Blaine
Préface de Cécile Oumhani
Publication 2013Angles rentrants
Telle une plume de colombidé
sur la bouche du vent•
Autodévorante,
marque l’absence de corps•
C’était hier maintenant
à la lisière des miroirs effilés•
Dans le lendemain du passé,
une griffe pleine de rancœur•
Menaçante,
à l’affût des premiers (é)moi(s),
tranche le matin,
le cisaille,
le sépare de ma tête
Variations d’herbes
Nathalie Riera
Publication mai 2012in angulo
en replis les mélodies
liesse des chevaux liés au monde
remonte
après la mort
après la faim
l’amande la mentheoù s’élève et retombe
la poussière des terres du sud
dans une confusion d’esprit
vers l’automne
dans l’ombre hors de l’enclosce que j’entends vient des lèvres sans mot
robe de couleurs au fond de la grange***
je n’ai pas d’histoire à raconter
mes flèches ne sont pas d’un bois léger
D’ici à plus loin
Arnaud Savoye
Publication juillet 2011Inspirer,
retenir sa respiration
et parcourir l’intérieur.
Expirer.S’arrêter un temps sur
cette respiration,
la contempler.***
« Les ombres passent avec la lumière,
plus tard, bien plus tard, la nuit s’étoile.Glisse-toi à l’intérieur de l’arbre.
Les racines nourrissent, sève qui monte à la cime.
Trouve ta juste place.
Les nuages par-dessus nous filent et la pluie... »
Carnets de Marche
Angèle Paoli
Publication juillet 2010Météo, météo,
le petit coquelicot n’est plus.
Nulle autre fleur ne l’a remplacé. Les pétales gelés du petit « coqueli » de novembre sont tombés. Roulés, broyés par la tempête. Un vent glacial transit l’espace. La mer semble avoir pris du volume et s’être rapprochée. Elle gagne sur la montagne. Bleu vert foncé.
Elle pense au coquelicot de Zanzotto. Que sait-elle du Papavero ? Elle lui plante le coquelicot de Zanzotto dans le cœur. Météo, météo.***
Ils sont là tous les deux dans la lumière du matin. Ils se font face, silencieux, observent, paisibles, la montée du soleil derrière la montagne. Le petit port est désert. Les volets sont clos sur les désordres d’août. Le clocher de Saint-Roch, immobile, s’arrime à son immuable solitude. Que reste-t-il de l’été, se demandent aussi les crabes rendus au ralenti de leur marche ? La lumière fait des ronds dans l’eau. Ils se toisent l’un l’autre, respirent les légèretés de l’air. Ne plus garder que cela, cette clarté originelle, se fondre dans le soleil et la fraîcheur de la vague, se laisser enrouler dans sa paisible profondeur.
Notes d’esprit
Cordesse - Musique de Laurent Azelvandre et Jean-Pierre Numa
Publication septembre 2009Suave lèvre au pendant de tes cuisses intérieur velouté. J’aime ta chaude ardeur dans la mollesse cadenassée. Et il me vient des furies d’hommes anciens pour affleurer d’un brusque élan la suite du monde que tu tiens entre tes jambes, lourdes comme des poings. Ma langue en possibles voluptés compte bien délier ta sombre pensée. Un mal pour un mal, un bien pour un bien. Je retrouve en charnelle sueur ton alcool vaporeux. Et que me faut-il encore pour rester là inerte ? La frayeur de trouver là ouverte, la porte d’un corps où baille ma tête.
Sur mes épaules
Cordesse - Photographies de Laurent Aït Benalla
Publication février 2010Sous les cotons roses descendent les feuilles mûres volant au crépuscule ses camaïeux de pourpre et mon sang rentre au calme pour dormir comme l’escargot dans sa coquille au moment où la nuit couvre les couleurs pour le temps passager où disparaissent les êtres.
***
Aux fraîcheurs matinales, les pêcheurs d’or tirent leurs filets pleins de la poudre des anges jusques aux ponts calmes de leurs embarcations. Ils laissent dans la mer leur ligne de vie et reprennent lentement la route du port. Dans les rues, les premiers mouvements restent silencieux tandis qu’aux maisons grincent déjà les volets. Et les oiseaux chassés des fenêtres descendent vers les barques ouvrir la voie à ces marchands d’étoiles.
Le temps s’apprête pour une longue journée.
La parole prendra le dessus,
dans une cérémonie glorieuse où chacun à sa place,
sans plus de spectateurs à contempler les cieux.