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Les éditions L’Ail des ours

jeudi 14 janvier 2021, par Cécile Guivarch

Entretien avec Michel Fiévet,
par Isabelle Lévesque

 

 

 

© Michel Fiévet

Isabelle Lévesque : Quel est ton parcours de lecteur de poésie ?

Michel Fiévet : Adolescent, je ne lisais pas mais j’aimais beaucoup écouter Ferrat chanter Aragon, Brel, Brassens, Ferré, Barbara…. puis avec les années « lycée », j’ai commencé à lire de la poésie grâce à mon professeur de français dont j’ai oublié malheureusement le nom : Baudelaire, Rimbaud, Aragon, Eluard, Desnos, tout y passait puis la curiosité m’a poussé vers des poètes plus contemporains : Andrée Chedid, Max Alhau, Pablo Neruda, Yves Bonnefoy…
Lors de mon cheminement poétique, la rencontre avec Jean Le Mauve, éditeur (Editions L’Arbre), typographe, fut déterminante. Notre amitié s’est construite autour de la poésie. J’allais souvent le mercredi chez lui pour l’aider. Il cousait pendant que j’assemblais les pages. Nous discutions pendant des heures. Il me répétait inlassablement qu’avant d’écrire il faut lire. C’est ce que j’ai fait : lu avec gourmandise des centaines et des centaines de poètes. Je trouve que la poésie française contemporaine est vivante, foisonnante et diverse. Je faisais et je fais (je pense) le bonheur des éditeurs. René Rougerie m’a dit un jour en souriant : « Je vais faire fortune avec lui ». C’était une boutade bien sûr. Si l’on faisait fortune avec la poésie cela se saurait. Heureusement non ! C’est très bien ainsi.

I.L. : Comment cela t’a-t-il conduit à créer une maison d’édition ?

M.F. : Une série de circonstances. Outre ce bonheur que m’a transmis Jean Le Mauve, il y a ce plaisir aussi de faire des petits recueils de poésie avec mes élèves que nous envoyons aux poètes chaque année. Le désir s’est ensuite imposé comme une évidence. Quelle jouissance de partager la voix des poètes que l’on aime, que l’on découvre.

I.L. : Peux-tu nous expliquer ton choix du nom « L’Ail des ours » ? Cela a-t-il un rapport avec le type de poésie que tu souhaites publier et défendre ?

M.F. : Un rapport avec le type de poésie que je souhaite publier et défendre : non !
Les soirées entre amis ont du bon. Après quelques bonnes bouteilles de vin mais sans jamais trouver de nom aux futures éditions, juste avant de se quitter, Catherine W., une amie, m’offrit un pied d’ail des ours parce qu’elle sait que j’aime utiliser cette plante lorsque je cuisine.
Un simple regard et nous comprîmes que les éditions L’Ail des ours étaient nées.
L’ail des ours, cette plante des sous-bois qui aime le frais et l’ombre avec des petites fleurs blanches en forme d’étoile. Cela m’allait très bien. Amandine Marembert a écrit : « La poésie me semble naître du silence le plus profond, de l’épaisseur de la terre sombre qui porte nos pas de vivants fragiles. » J’y adhère totalement. J’étais un enfant plutôt solitaire qui jouait de longues heures dans les bois à grimper aux arbres, à chercher l’alouette dans les champs qui chantait en vol à l’occasion des parades nuptiales. Je n’en demandais pas plus.

 

© Wordpress

 

I.L. : Combien de livres par an souhaites-tu publier ? Quels modes de diffusion envisages-tu ? Je sais que tu proposes déjà des abonnements à des prix très abordables. Envisages-tu des dépôts dans des librairies, une participation à des salons ou des marchés de la poésie ?

M.F. : Je compte éditer 5 recueils par an. Mon mode de diffusion est essentiellement par abonnements. On peut bien entendu acheter les recueils à l’unité. Je ne fais pratiquement pas de dépôts en librairie. Je compte plus tard participer à des salons ou des marchés de la poésie. Pour cela j’attendrai la retraite. Pour l’instant ce n’est pas possible par manque de disponibilité.
Les éditions L’Ail des ours sont à but non lucratif. Je souhaitais que les abonnements soient effectivement à un prix très abordable. Beaucoup de personnes s’y sont abonnées ou ont offert des abonnements à Noël, cadeaux d’anniversaire… Nous verrons si l’année 2021 est aussi prometteuse.
Faire 5 recueils pour 25 euros frais d’envois compris n’est pas facile, c’est vrai. J’y suis arrivé grâce aux abonnés qui ont soutenu ce projet. Je leur en suis infiniment reconnaissant.

I.L. : Les livres seront-ils présentés sur un site avec possibilité de les commander par internet ? As-tu pensé à un service de presse ?

M.F. : J’ai une page Facebook mais aussi un site internet ( https://www.editions-aildesours.com/ ) qui existe depuis avril 2020. Je remercie d’ailleurs Stéphane Bataillon pour son aide si précieuse. J’y présente les titres, leurs auteurs et les artistes associés. Il y a donc possibilité de commander les livres par internet.
Oui, bien sûr ! La réputation d’une maison d’édition se construit petit à petit.
Personnellement, je lis beaucoup les recensions publiées ici où là. C’est parfois une belle invitation à découvrir un nouveau recueil.

 

 

I.L. : À quoi ressemblent tes livres ? Format, reliure, type de papier, nombre de pages ?…Quelle en est la fourchette de prix ?

M.F. : Ce sont des recueils de 50 à 60 pages, papier Arena Bulk Natural 100g, relié collé, de format 12 cm x 15 cm avec une couverture Papier Arena Natural Smooth 250gr.
Chaque recueil est vendu 6 euros à l’unité (8 euros frais de port compris). Pour les personnes qui s’abonnent, le livre leur revient à 5 euros frais de port compris.

I.L. : Quel en est le tirage initial ?

M.F. : Le tirage initial sera autour de 500 exemplaires.

I.L. : Quels sont les premiers poètes que tu as publiés ?

M.F. : Les premiers poètes édités durant l’année 2020 sont Marilyse Leroux, Adeline Baldacchino, Roselyne Sibille, Estelle Fenzy, Philippe Mathy et Jacques Robinet.

 

 

I.L. : Tu fais aussi intervenir des plasticiens ? Pourquoi ce choix et peux-tu nous dire à quels plasticiens tu songes pour les publications futures ?

M.F. : Chaque livre est une rencontre entre un(e) auteur(e) et un(e) artiste. Marie Alloy a écrit : « Peindre est un acte poétique. » Je partage sans réserve ce propos. L’artiste se nourrit du texte. Il dialogue avec l’auteur. Chacun tentant de toucher l’indicible.
Cette année, mes livres ont été accompagnés par des artistes comme Thierry Tuffigo, Danielle Péan Le Roux, Renaud Allirand, Colette Reydet, Sabine Lavaux-Michaëlis…

I.L. : Rêves-tu de faire intervenir certains poètes ou plasticiens ? Quels sont tes rêves d’éditeur ?

M.F. : Publier un manuscrit, c’est tenter une aventure. Tu parles vraiment de rêves ! (rire) Je tenterais bien une aventure avec Max Alhau, Stéphane Bataillon, Gilles Baudry, Marie Huot, Cécile A. Holdban, Patricia Castex Menier, Amandine Marembert, Louise Dupré, Albane Gellé, François de Cornière, toi et bien d’autres ! Si le manuscrit me plait bien sûr.
Editer le manuscrit d’un ancien élève. Ce serait le bonheur !

I.L. : Reçois-tu beaucoup de manuscrits par la poste ? Comment choisis-tu ceux que tu édites ? L’Ail des ours a-t-il un comité de lecture ?

M.F. : J’édite un texte pas un nom. Je reçois les manuscrits par mail et par la poste. J’en ai reçu une petite centaine la première année. J’ai un comité de lecture. Ils reçoivent les manuscrits rendus anonymes. La qualité littéraire du texte, le thème abordé déterminent notre choix. J’aime une pointe de lyrisme sans que ça dégouline, un rythme, une musicalité. La sincérité et l’authenticité sont très importantes. Je choisis les manuscrits au coup de cœur. J’attends d’être happé. Il doit se passer quelque chose d’indicible, d’inexplicable. Une rencontre, la rencontre. Un manuscrit doit prolonger mes envies d’écrire. Les manuscrits rejetés ne sont pas nécessairement mauvais. Si vous mettez 100 livres sur une table et que vous devez en choisir 5, est-ce que les 95 autres sont mauvais ? Non, bien sûr.

I.L. : Quel livre déjà publié aurais-tu rêvé d’éditer ?

M.F. : Il y en a beaucoup.
Chez Andrée Chedid, Textes pour un poème (1950) ou Poèmes pour un texte chez Flammarion.
Anne Perrier, Pour un vitrail ou Le petit pré chez L’Escampette.
Michel Baglin, L’Alcool des vents chez Rhubarbe.
Hélène Cadou, Le bonheur du jour suivi de Cantate des nuits intérieures chez Bruno Doucey
Romain Fustier, Dans la chambre tes bras, Editions Musimot.
Guillevic et bien d’autres…

Extraits :

À la lisière du jardin
le chêne déploie
son cercle vert

Franchir son espace
c’est retourner d’où il vient :
à la racine première
qui faisait courir la sève
dans mes jambes.

Marilyse Leroux

 

Le poème devrait nous apprendre
à nous déprendre, or il nous attache
plus fermement à la vie
nous lie nous relie nous ligote au
désir il fabrique de la parole
amante avec des mots d’amour il
dit la mort et nous entendons
l’amour il dit je passe et nous croyons qu’il
reste il se moque et nous voulons qu’il
plaisante il sait qu’il ne sauve de rien ni
personne et pourtant nous
écrivons.

                                                                Adeline Baldacchino

Les boutons d’or
granulé de lumière
saupoudré sur le vert

L’ombre de leurs tiges
violette presque

Pour les raconter
il me faudrait inventer
un autre alphabet

Roselyne Sibille

 

C’était le temps
d’avant nous-mêmes

La terre nous aimait

Nous chevauchions
l’échine des ruisseaux

J’étais sourcière

Tu regardais bouger
mes robes de vapeur
pendant que je trempais
mes pieds dans l’eau

                                                                Les rives s’ensorcelaient
                                                                de nos enjambées de joie

                                                                Estelle Fenzy

Une voix dans le silence. Chacune des syllabes frémit comme feuilles en automne, bercées par une brise légère. On ferme les yeux pour écouter ce qui se met à chanter plus loin que cette voix : peut-être un oiseau clair, posé sur une branche basse, prêt à s’envoler.
Une voix dans le silence. La lecture terminée, on referme les pages, on se lève, on avance, baigné de solitude, comme si on traversait un parc en foulant des mots. Souvenirs déjà, feuilles mortes sous les pas.

Philippe Mathy

 

 

Les mots sont pierres
qui roulent

Dans la nuit entravée
le rossignol s’apprête
à chanter

Jacques Robinet

 

 

 

à peine un souffle à tes côtés
pour effleurer
l’archipel de tes mots

Convertir le silence
les écueils les défaites
en un espace lumineux

hisser la grand voile
et s’en aller vers eux

Sabine Péglion

 

 


Le site des éditions pour en savoir plus : https://www.editions-aildesours.com/

Sur FaceBook : https://www.facebook.com/Editions-LAil-des-ours-112882960271682/

Adresse postale :
Michel Fiévet – Éditions L’Ail des ours
24 rue Marcel Gavelle – 02200 Mercin et Vaux.


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