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Les éditions Lunatique

lundi 2 mai 2022, par Cécile Guivarch

Entretien avec Pascale Goze, par Cécile Guivarch

Bonjour Pascale Goze. Sur la page d’accueil des éditions Lunatique, on comprend qu’il n’y a pas besoin de forcément d’être docile pour envoyer un texte au comité de lecture. Je fais référence à cela : « Si vous êtes... trublion, grondant, insane, scélérat, factieux, indocile, intense, druide, idiot, muscadin, têtu, émeutier, mutin, (...) ». Mais dites-moi, les éditions Lunatique sont-elles nées un jour de mauvaise humeur ? Bon autrement dit, comment Lunatique est née et pourquoi ce nom ?

Lunatique est née à Paris en 2011. Je n’avais alors aucune idée de ce qui m’attendait. L’idée de lancer une maison d’édition n’est même pas de moi ! Je ne lisais plus de romans depuis bien longtemps, aussi j’ai relevé le défi, en me disant que, si l’on m’en pensait capable, je devais pouvoir me débrouiller. J’ai vu là aussi une manière de m’affranchir du choix des autres, qui me laissaient de marbre dans les bibliothèques et les librairies. Je partais à l’aventure, et c’était très excitant.
Quant au nom même de la maison, d’abord il sonne bien ; ensuite il signifie capricieux, fantasque et... épileptique. Je ne sais plus qui disait que, sans l’épilepsie de Dostoïevski, la littérature du XIXe siècle aurait sans doute été moins riche. C’est quand même lui qui a insufflé une nouvelle esthétique du roman avec des personnages tout à la fois humbles, tragiques et comiques. De plus, la maladie, au plus fort des crises, le rendait ultrasensible et c’est peut-être de là que vient la force émotionnelle de ses romans. Je suis donc partie en quête, sous l’égide Lunatique, d’une littérature qui m’agite, qui me trouble, m’exalte, me bouleverse, m’enthousiasme, me transporte, me saisit, me secoue, me révolte ; une littérature qui sorte des sentiers convenus pour m’entraîner sur des chemins difficiles, les seuls qui vaillent la peine d’être parcourus, parce qu’on ne sait pas ce qui nous attend au bout. Je n’aime pas les certitudes. Après tout, n’est-ce pas dans les errements que l’on fait les plus grandes découvertes ?

Bon à côté de ça, je vois que les éditions sont ouvertes à différentes choses. Elles publient romans, nouvelles, poésie, livres et albums illustrés, pour les grands, pour la jeunesse. Parlez-nous des différentes collections ?

La plupart des collections ont été créées pour justifier la publication d’un manuscrit. Nous sommes contraints, en tant qu’éditeurs, de classifier les ouvrages avec une série de chiffres pour que le bibliothécaire et le libraire sachent dans quel rayon les ranger. J’ai réalisé aussi que chaque collection me permettait de décliner des formats spécifiques, m’imposant de nouvelles contraintes ; ce qui, en soi, stimule la réflexion sur la meilleure mise en forme possible (polices de caractères, format des livres, largeur des marges, choix des papiers) selon les textes.
La petite dernière est dédiée à la poésie. Il m’a fallu du temps pour me décider. Je ne me sentais pas légitime à publier de la poésie. Cela dit, passé 11 ans, je ne me sens pas non plus légitime en tant qu’éditeur. De la poésie, j’en publie depuis longtemps dans Le Cafard hérétique. Et, à bien y regarder, j’en publie depuis les tout débuts de Lunatique. La poésie imprègne la plupart des ouvrages publiés. Je dis souvent m’intéresser moins aux sujets des livres qu’à la manière dont ils sont traités : je ne veux pas que l’on me raconte une histoire, je veux qu’on l’écrive. Mon étonnement vient des mots, des phrases, de ce que les auteurs s’autorisent à faire avec eux. J’ai réalisé que la poésie était partout, qu’elle s’invitait dans les romans, dans les albums jeunesse, pourvu qu’on y soit sensible. Alors, pourquoi ne pas appeler poésie la poésie ? Ainsi la collection est née, qui fleurit une fois l’an en répandant les mots de Sandra Bechtel, Myriam OH, Julien Boutreux, Lydia Padellec, Charlotte Monégier, Gorguine Valougeorgis, Dorothée Coll, ou Angélique Condominas, pour ne citer qu’eux. Avec Angélique, nous avons publié Je regarde dans la fenêtre écrire un poème, un recueil écrit par des enfants de 6 à 12 ans. Un autre est en projet, bilingue (franco-malgache). Le talent n’a pas d’âge ! Angélique, par le biais de Mots Nomades, est à l’origine des Poids Plume (https://www.motsnomades.fr/édition/poids-plume/). Je suis depuis longtemps passeuse de poèmes, que je distribue de main à main sur les salons ou glisse dans les enveloppes avec les commandes des clients.

Lunatique c’est aussi une revue ! Je nomme Le Cafard hérétique  ! Oui, ça bouge, ça dérange et ça démange. Mais c’est plein de vie, de langue(s). Pourquoi, comment, la revue s’est intégrée aux éditions (ou peut-être est-ce l’inverse, les éditions qui se sont intégrées dans la revue) ? Est-ce que l’une apporte à l’autre et de quelle manière ?

La revue a été créée en 2014 par Mike Kasprzak. Il me l’a cédée moins de deux ans plus tard pour se concentrer sur son activité d’auteur. J’ai un temps séparé les deux, maison d’édition et revue : chacune avait son site Internet et son adresse de contact dédiés. C’était idiot. J’ai donc tout rassemblé sous la même enseigne, Lunatique. La démarche éditoriale est la même, bien que la revue propose un plus large éventail de genres et de styles. Je n’impose pas de thème, et pioche dans les propositions, extrêmement nombreuses, qui me parviennent tout au long de l’année. Tout doit tenir dans 140 pages, telle est la seule règle que je me fixe. Il m’arrive de sélectionner des textes qui m’ont fait forte impression, alors même que l’atmosphère qui s’en dégage ne conviendrait pas à Lunatique. Par le biais du Cafard hérétique, je découvre beaucoup d’auteurs, avec qui je fais parfois un bout de chemin. Et puis, dans chaque numéro, je demande à une ou deux maisons d’édition indépendantes de se présenter. J’y tiens beaucoup. Elles ont toutes leur singularité et confèrent à l’édition cette bibliodiversité salutaire revendiquée par les plus militantes.

Quelle(s) littérature(s) défendez-vous ? Quelle importance pour vous la langue ?

Celle qui pose question. Quelle que soit la question. Et, si possible, qui jamais n’y répond. Au lecteur de se débrouiller avec ça.
Quant à la langue, elle a toujours toujours toujours été au cœur de mes préoccupations, un sentiment renforcé par la lecture de 1984. La novlangue m’a longtemps hantée : la simplification à l’extrême des mots et de la syntaxe pour rendre impossible la formulation de toute idée contraire à ce qu’on nous dit vrai est un cauchemar. Cet amour de la langue m’a poussée à étudier la lexicologie, la grammaire générative et transformationnelle, l’histoire de la langue ; la linguistique en général. Plus tard, mon projet de fin de formation de programmation fut un dictionnaire à la fois synonymique et analogique, et le premier site Internet que j’ai conçu il y a plus de 25 ans racontait la petite histoire derrière les expressions courantes. C’est dire si la langue me travaille !

Quels sont les secrets d’une maison d’édition ? Autrement dit les petites et grandes joies... Les petites et moins petites difficultés ?

Mais, les secrets, on ne peut pas les dire !
Ma plus grande joie est de savoir que des auteurs sont devenus amis dans la vie, parce qu’ils se sont mutuellement lus.
Sinon, les difficultés sont nombreuses, est-ce pour autant une raison de se plaindre ? Les impedimenta ajoutent au plaisir de voir un manuscrit devenir livre.

 

 

« les mots-cœurs », collection dédiée à la poésie, lancée en 2019. En quoi cela pourrait être pour vous une façon d’affirmer la raison d’être de Lunatique ou une façon de donner une autre vision du monde ?

La raison d’être de Lunatique est très égoïste : je me fais avant tout plaisir. Quand je relis et corrige un roman, je me pose sans cesse la question de savoir dans quelle mesure je peux laisser un auteur écrire ci ou ça. Je me place en lecteur candide et m’interroge sur la compréhension d’une phrase, sur le degré de complicité que l’auteur établit avec moi. Il faut qu’un texte, quel que soit le nombre de signes qui le composent, soit cohérent et ne me perde pas – moi, lecteur – dans les méandres d’une langue trop expérimentale ou fautive. Si la question demeure au moment de la relecture-correction d’un poème, ma réponse s’avère plus nuancée. Ce qui, dans mon travail éditorial, apporte un contrepoint intéressant. Ainsi une poésie, présentée à l’école corsetée dans une rhétorique implacable, serait finalement plus libre de ses mouvements de langue qu’un texte en prose. Il ne s’agirait plus de comprendre les mots, les phrases, mais de les ressentir. Que de possibles s’offrent alors à moi avec la poésie ! Un délicieux vertige me prend, le monde vacille devant mes yeux fixés sur la page, me donnant à voir les choses différemment. La poésie opère comme un kaléidoscope, les mots remplaçant les fragments de verre colorés. Les mêmes, et pourtant à chaque coup d’œil différents. Fascinant, n’est-il pas ?
Il ne me reste plus qu’à rêver qu’éditer des livres, romans, recueils ou poésie, ouvre les yeux aux lecteurs. N’y voyez rien de prétentieux, après tout, ce ne sont que des mots.

 

 

 

 


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