Une question un peu classique, mais comment sont nées les éditions MaelstrÖm ?
MaelstrÖm est né par étapes. D’abord en 1990 comme projet ouvert d’artistes et écrivains italiens puis belges et français autour d’un projet de revue bilingue « Maelström » qui a vu trois numéros. Ensuite, Maelström a été une collection de livres auprès de deux éditeurs : Edifie LLN (de 1996 à 2000) et Images d’Yvoires (2001-2002). En 2003 Maelström s’est autonomisé et est devenue une maison d’édition à part entière. En 2009, le mouvement « réévolution poétique » (actions poétiques) et « Maelström » ont convergé pour créer « maelstrÖm reEvolution » qui, depuis fin 2010 anime également une boutique-librairie à Bruxelles. En 2007, le fiEstival, seul festival de poésie et performance à Bruxelles, a été également créé par maelstrÖm.
Quelle idée de l’écriture défendez-vous ?
Nous ne défendons pas vraiment une « idée » de l’écriture mais plutôt une « praxis » ou mieux une « poétique » (au sens où poeisis nous renvoie à l’action, au « faire » dans le but de créer une œuvre)… Et donc c’est la pratique des entrecroisements entre les arts, entre les disciplines, de la science à la psychologie à l’ethnologie à la poésie, la musique, la peinture, la vidéo, le théâtre etc. L’éclectisme comme un atout et pas comme une tare. Les ancêtres surréalistes, paniques ou beatniks évidemment sont une source importante d’inspiration.
Je présente, ci-dessous, quelques extraits parus dans la collection Bookleg. Pourquoi cette collection ?
Cette collection est née suite à une série de performances que nous réalisions autour de la sortie de « Blind poet » de Ferlinghetti en 2004. Les auteurs qui lisaient aussi leurs propres textes, parfois accompagnés en musique, voyaient le public demander des « traces » de leur passage… on a alors conçu une collection « légère » : facile et rapide à réaliser, économique (le même prix de 3€ pour un bookleg de 24 ou 52 pages) et donc « léger » à porter, dans tous les sens du terme, autant pour l’auteur que pour l’éditeur, afin de faire circuler au mieux la poésie, aujourd’hui.
Pouvez-vous nous parler des autres collections ?
Il y a deux grands axes à part les booklegs : la collection compAct qui est aussi une collection « de poche » (composée d’inédits là aussi) mais dont les prix varient de 5 à 10 euros, cela afin de publier des textes trop longs pour un bookleg sans s’embarquer dans la relative « lourdeur » du format « livre »… Les autres collections donnent la place à des livres plus ordinaires dans leur format et présentation pour : des romans, des ouvrages et/ou anthologies de poésie, des nouvelles, des livres illustrés, etc.
Comment choisissez-vous les textes que vous publiez ?
De plus en plus collégialement. Coups de foudre et coups de cœur, comme l’on dit, sont permis. Un comité de lecture/conseil d’édition s’est mis en place depuis quelques temps. Nous sommes sept actuellement. Nous confrontons nos avis, et défendons nos désirs/envies de publications autour de cet axe mouvant qu’est la représentation que chacun de nous peut avoir de « maelstrÖm ».
Quel est votre meilleur souvenir d’édition ? Et le pire ?
Uniquement des meilleurs, et plusieurs : le premier livre de poésie traduit en français de Jodorowsky, par exemple « De ce dont on ne peut parler », l’anthologie poétique et musicale de Gaston Compère, le premier livre de poésie d’Antonio Bertoli, les livres du grand poète et éditeur USA Lawrence Ferlinghetti, les premiers booklegs de Laurence Vielle, le Prix Rossel des Jeunes attribué à « La maison de l’âme » de Chantal Deltenre, le Prix européen de la littérature à « Marilyn désossée » de Isabelle Wéry etc. etc. etc.
La boutique, une extension de la maison ? Un lieu de rencontres littéraires ?
C’est un lieu à destination multiple, et cela malgré ses 24m² seulement !
À la fois bureau, QG, lieu de rendez-vous, lieu de rencontres artistiques et littéraires aussi, et librairie, vitrine pour nos livres et ceux de nos amis (l’Arbre à paroles, Carnets du dessert de Lune, La 5C et plein d’autres éditeurs belges, français, québécois)… La Boutique est au niveau spatial ce que le fiEstival est au niveau temporel : un « lieu » de rendez-vous qui assure notre visibilité, un véritable point de rencontre de maelstrÖm avec l’autre.
Des projets, des publications à venir ?
Plein, évidemment. Le Bookleg #100 par exemple, que nous n’avons pas encore finalisé. Des nouveaux romans de Serge Noël ou de Ben Arès. Des contes illustrés…
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(entretien avec David Giannoni par Cécile Guivarch)
Quelques extraits de la collection Bookleg
Antoine Wauters Debout sur la langue
La langue, je la cours en tous sens, la pétris de mes peaux jusqu’à la briser net, l’avaler en son centre. Puis je m’y tiens droit, debout, pieds terrés fermement, comme une oreille vissée au trou du fond, une paume ouverte sur un monde intérieur qui me précède et même, me préexiste.
Vincent Tholomé People
je suis dehors ; hors de chez moi, dans l’air frais, je me promène dans l’air frais, je le sens, je le respire, je respire le dehors, je respire les canards et le fleuve, je suis content, mais il y a des coups dehors, je les entends, il y a les coups sur la voisine, et ta gueule enculé, oui, il y aussi ta gueule enculé et ta gueule toi-même et les coups sur la voisine, je veux rentrer à la place de respirer, je rentre, je suis dedans, je suis soulagé d’être dedans
Claude Favre sur l’échelle danser
du pourquoi à jamais. et pas de draps pas
d’odeurs de pommes cuites ni fais de beaux
rêves. mais des milliers de kilomètres cou
cavalier. casse-toi. et aussi ça. ça. latrines
malaises. et aussi ça sur de vieux matelas et
les couteaux et moi loquace. à crans cisailles.
détale et attrape la mort. s’il ne fallait saleté
encore fichu son camp que démembrer ça
dans la tête qui cogne racle de. tonnerre que
de fièvres et que de et against. ne restera qu’à
oublier. avec la langue là. qu’à oublier. nous
en souvienne.
Kenny Ozier-Lafontaine Fils de la nuit !
Il parlait déjà avant que l’autre n’arrive.
… il faudrait nourrir les morts d’oxygène et de vanille,
et les parer du silence et du chant des déserts.
Et dans l’espace retranché, leur apporter le réconfort d’un
rêve,
une cale virtuelle au cœur de la caravelle,
mosaïque d’ombres et de fruits mûrs…
Anis et carambole comme cueillis de la plus haute branche,
du plus distant des astres inconnus.
Elles enflent les portes, avortant les étoiles,
Recrachées en giclées de cailloux.
Et dans l’alchimie du magma et du corail,
s’élargissent les îles,
bientôt astres de turquoise et d’émeraude…
Il est là…
le dernier mort…
Eructé du souffle ultime.
Olivier Dombret Ghost Words
J’entends les cris et les clameurs au-delà des murs et des portes closes j’entends les doigts griffer le sol quand la Terre tremble, j’entends le Ciel par-dessus moi j’entends les Voix chanter la Loi dans des langues oubliées j’entends le Temps fertile la Ville sourde et vaniteuse j’entends l’Enfant perdu puis retrouvé j’entends sa Mère pleurer j’entends le Silence après les vagues de Fureur avide j’entends s’ébranler l’Univers j’entends l’Appel.
Philippe Leuckx Le beau livre des visages
Vous m’avez pris par le visage
Comme l’on prend
La mesure d’un champ
D’une pleine terre de blé
O mon père vous qui tenez
La hampe des mots
Que je sème ici même
Dans votre terre d’enfance
Où mes mains ont pesé
Pesé si fort qu’ils fragilisent encore
Tous mes efforts mes paumes
Mes paumes d’angoisse de glèbe
Luc-André Rey plasmaphérèses (carnets de bord d’un boutiquier)
Aujourd’hui, soleil.
Quelques nuages et un ciel curieux. De ceux qu’on peut
vivre en bord de mer. L’air est imprégné de quelque chose
de l’Atlantique.
Se peut-il que l’océan, lointain, s’étende jusqu’à Bruxelles ?Mais c’est vrai qu’il m’arrive de vivre la terre entière comme
un immense et unique océan qui recouvre tout, dedans.