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Les éditions Musimot, entretien avec Monique Lucchini, réalisé et transcrit par Florence Saint-Roch

samedi 3 juillet 2021, par Florence Saint Roch

FSR : Monique, pouvez-vous nous fournir en quelque sorte l’extrait de naissance de Musimot ?

M. L. : Musimot est d’abord une association culturelle, qui a été créée en 2003 avec la pianiste Marie-Pierre Forrat, dans le but de proposer des spectacles autour de la littérature et de la musique. En 2008, un de mes romans a été publié par une petite maison d’édition, et j’ai réalisé, en découvrant l’ouvrage dans sa matérialité, combien il correspondait peu à la conception que j’avais d’un livre, de sa structure, de sa fabrication. De cette déception m’est venue, très fortement, l’envie de me dégager de mes engagements d’alors, et de me lancer dans une entreprise éditoriale. Corrélativement, la rencontre de Paul-Henry Vincent, Irina Dopont et Didier Tourhel m’a confortée dans cette entreprise, et en 2009, les éditions Musimot voyaient le jour. Au départ de ce nouveau développement éditorial, nous n’avions pas pensé à sa spécialisation en poésie, cela s’est petit à petit imposé à nous. L’ensemble de nos activités, dans le droit fil de l’association première, vise à promouvoir le livre par le biais de rencontres, de spectacles réunissant texte et musique, en favorisant, de l’un à l’autre, des résonances, des échos. Des mots accordés, en quelque sorte, à un instrument, donnant lieu à création ou improvisations. Ces manifestations, pour la plupart, se tiennent dans des librairies ou cafés-librairies, des galeries d’art, des médiathèques, à l’Université populaire, pour le compte d’autres associations qui nous invitent, ou encore chez l’habitant. À chaque fois, nous croisons au maximum les approches. À vrai dire, je ne conçois pas la poésie autrement, tant il me semble impossible de l’éloigner des autres formes d’expressions artistiques. Musique, dessin, peinture, apportent un autre regard, un éclairage propre, et entre les mots et les sons, entre les mots et les couleurs ou le trait, s’instaure un dialogue actif. Avant d’être éditrice, j’appartenais au monde du théâtre et du spectacle, où je travaillais en tant que régisseur lumière. Habiller un espace de lumière est une démarche passionnante, de même, l’habiter de bruits et de sons. De fait, la scène ne m’a jamais vraiment quittée, et animer une maison d’édition de poésie me paraît indissociable de la mise en voix et en scène des textes qu’elle publie. Sans oralité, sans transmission par la voix, par la musique, le texte ne vibre pas de la même façon. Et puis, la rencontre, l’émotion ressentie à la découverte des autres, le contact avec le public, avec ses partenaires de scène, tout cela génère une merveilleuse adrénaline.

FSR : L’on sent, dans vos propos, que les éditions Musimot, certes, suivent une ligne, mais surtout servent un esprit, où l’ouverture et l’amplitude maximales sont recherchées. Pouvez-vous nous exposer comment, dans cet esprit, sont nées les diverses collections de la maison ?

En marge des publications que j’appellerais classiques, nous proposons trois collections. Si nous suivrons l’ordre d’arrivée, la première venue est « Textes courts ». Au départ, dans de petits livres carrés (13 x 13) d’une vingtaine de pages cousues de fil brun, il s’agissait de donner voix à des auteurs que nous sentions prometteurs, puis, le projet s’est affiné. Fidèles à l’esprit, en effet, qui nous anime, nous y donnons une belle place aux réalisations graphiques ou photographiques, favorisons le dialogue entre artistes et auteurs, donnons également voix à des artistes qui écrivent. Notre deuxième collection, « Carnets Poésie/Photographie », comme on peut parler de carnets de voyage qui s’emportent partout avec soi (leur format comme celui d’une poche, en 10,5 x 15,5) fait la part belle aux itinéraires et itinérances : en regard d’œuvres photographiques, l’auteur y explore ce qui lui est rendu visible, ce qui, au sens propre comme au sens figuré, lui apparaît, le bouscule et le met en route. D’où ces titres « révélateurs » : L’Évidence à venir, Itinéraire de l’écrit, Corps é-crit. Enfin, notre troisième collection, « Coffrets/ Poésie », rassemble, sous forme de cartes au format 21 x 11,7, des textes en prose ou des poèmes fondamentalement questionnants : par exemple, Daniel Berghezan, dans le bien nommé Les Admirés, revisite certaines œuvres de notre fonds culturel commun, avec ce pari, toujours tenu, de renouveler complètement notre regard. Par exemple encore, Adeline Yzac, dans sait-on jamais, interroge, face à la peinture de Jean Panossian, toutes les possibles modalités du savoir : que sait-on, que ne sait-on pas, que ne peut-on pas savoir ?
Cela dit, même si nous avons des collections, certaines variations parfois s’imposent : un livre est le fruit d’une réelle élaboration, et doit être envisagé dans sa totalité. Ainsi, il me semble important qu’il ressemble aussi à l’auteur qui nous a confié son texte. Ce pourquoi il m’arrive, pour un même ouvrage, de réaliser deux ou trois maquettes avant de parvenir à une proposition vraiment fidèle à l’esprit du texte, et qui donne à voir, fait entendre, au mieux, sa force, son rythme, sa consonance. C’est le format, les choix de mises en page qui doivent s’adapter au livre, et non l’inverse. D’où l’importance, le soin que nous accordons à l’espace de la page : on ne lit pas un livre carré de la même façon qu’un livre avec une reliure à l’italienne.

FSR : Votre catalogue est impressionnant. Pour une cinquantaine d’ouvrages publiés en une douzaine d’années, je compte 24 auteurs, une quinzaine d’illustrateurs, dont vous-même parfois. Comment les auteurs viennent-ils à vous, ou comment allez-vous à eux ?

M. L. : Les rencontres sont essentielles dans notre activité. Cela peut être rencontrer un auteur en chair et en os : ainsi, j’ai rencontré Adeline Yzac à Lodève, où elle animait des rencontres dans le cadre du festival. De même, j’ai rencontré Odile Fix (nous venons de publier L’étiage des bêtes, poèmes et dessins de la même) à plusieurs reprises, dans des manifestations où elle était invitée en tant qu’artiste et auteure. J’ai d’abord découvert ses textes portés par sa voix, et, de salons en rencontres, nous nous sommes apprivoisées mutuellement, et elle m’a envoyé spontanément, l’année dernière, l’étiage, qui a suscité en moi une forte émotion. Outre la rencontre avec l’auteur, il y a, surtout, la rencontre avec un texte qui nous bouscule, nous percute. Ceux de Michel Diaz, par exemple, m’inspirent fortement, ceux d’Irina Dopont m’étonnent, la poésie de Colette Thévenet me touche dans mon identité de femme... Les textes concis, la poésie brève, me semblent aller directement au plus intime, au plus profond. L’émotion, pour moi, est première ; j’aime beaucoup les écritures orientées vers l’intériorité, et qui, pour ce faire, ne se dispersent pas dans l’ornement, et ne s’évaporent jamais – des écritures exigeantes, à la recherche toujours du mot juste, d’un phrasé, d’une musicalité qui viendront me toucher et me faire vibrer. Par ailleurs, il est essentiel aussi pour moi que texte retenu rencontre à son tour : qu’il appelle un peintre, un photographe, un dessinateur, et qu’avec ce dernier, s’établissent des résonances. Vous l’avez remarqué, j’aime beaucoup l’art, les artistes, les plasticiens. Et je cherche, pour chaque ouvrage, à rendre visible des familiarités, à instaurer des ponts de traverse entre mots et images/ tracés/formes/couleurs. Ainsi, pour À voix nue, de Colette Thévenet, il m’a semblé évident de demander à Muriel Napoli, qui m’avait contactée et fait connaître son travail bien en amont, bien avant, en réalité, que ne m’apparaisse la nécessité de la solliciter. C’est ainsi, de collaborations en co-créations, qu’auteurs, illustrateurs et musiciens, chez Musimot, en viennent à former une grande famille, formation que permet plus aisément, me semble-t-il, la structure associative.

FSR : J’entends, dans ce que vous exposez, un vœu constant : celui de prendre soin des livres et de tous ceux qui y concourent. J’entends aussi une grande curiosité, une soif de connaître et de créer – de l’audace, et de la liberté. Comment se conjuguent pour vous (« vous » au sens large, soit les membres de l’association, vous-même, en temps qu’éditrice, en temps qu’auteure aussi, et plasticienne) audace et liberté ? Quels sont vos rêves ?

Pour l’association Musimot, nous avons fait le choix de ne demander aucune subvention où que ce soit, afin de rester libres, dégagés des « il faut » souvent limitatifs ou normatifs. J’ai beaucoup travaillé dans des associations d’Éducation populaire, et j’ai à cœur, nous avons à cœur d’explorer les lieux, les espaces qui ne sont pas, traditionnellement et institutionnellement, dédiés à la poésie. Nous plaît l’idée de mener la culture où elle n’a pas sa place ; un de nos rêves serait de proposer des lectures et rencontres en des lieux improbables. Nous sommes ouverts à toutes propositions.
À propos d’audace et de liberté, Marguerite Duras m’a énormément appris. Pour un spectacle qui lui était consacré, j’ai lu l’intégralité de ses œuvres, vu tous ses films, écouté toutes ses interviewes. J’ai été percutée par une écriture puissante, forte et vraie. Duras, me semble-t-il, s’est complètement débarrassée de l’inutile : elle a, toute sa vie durant, travaillé autour de cela, aussi peut-on dire qu’elle n’a écrit qu’un seul et immense livre qui s’affine d’année en année, qui ose, se dégage des codes, des structures et des usages ordinaires. Après avoir préparé ce spectacle, j’ai eu peine à lire autre chose. Tout me paraissait fade. Son écriture m’a habitée, comme m’ont habitée, mais à un degré moindre, et pour des raisons très différentes, les œuvres de Nathalie Sarraute et de Marguerite Yourcenar, chacune cherchant, chacune œuvrant à sa vérité. Depuis l’enfance, à dire vrai, je suis une grande lectrice. La lecture a été ma compagne, et la fréquentation de Colette, qui m’impressionnait autant comme écrivain que comme femme, m’a marquée. Mais Duras, avec sa liberté si fondamentale, a libéré, en quelque sorte, l’écrivain en moi : en la lisant, je me suis dit que je pouvais écrire. Elle ouvrait le champ des possibles, elle m’a donné confiance. Et je crois que cette ouverture du champ des possibles, cette confiance, les éditeurs, aussi, peuvent, doivent, même, du mieux qu’ils le peuvent, y travailler pour leurs auteurs.
Un de mes rêves d’éditrice serait de fabriquer des livres qui se déplient, se déploient. Des livres qui portent, qui amènent du mouvement. Nous travaillons avec musiciens et plasticiens, j’aimerais aussi énormément travailler avec des danseurs – et suis à la recherche d’un livre qui, dans sa matérialité même, parlerait du corps, et deviendrait un objet vivant… Duras affirme que c’est avec le corps qu’on écrit, et j’aimerais beaucoup arriver à donner au livre cette dimension…

Pour connaître mieux encore les éditions Musimot :

http://musimot.e-monsite.com/


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