(Entretien mis en forme par Florence Saint-Roch)
Comment l’idée de créer une maison d’éditions vous est-elle venue ?
Dans les années 1991-1992, Jean Marcourel, le père des « Grands classiques du petit pirate », travaillait à la conception d’un projet avec la Guinée Bissao, et il me mit ce défi en mains : « Trouve-moi un mode d’édition à réaliser là-bas, rapide, facile, et à moindre coût ». Ainsi s’est imposée l’idée d’un in-quarto réalisé à partir du format le plus courant qui soit, un A4. Ce format, qui évoque le cordel sud-américain, me plaisait. Dans les faits, le projet en Guinée Bissao n’a jamais pris forme, mais la maquette de la collection « Ficelle », elle, était née ; par ailleurs, le moment était vraiment propice pour moi qui, en tant que plasticien, travaillais plutôt seul : j’allais (aussi) devenir éditeur, ce qui me permettrait d’ouvrir le champ de mes activités et d’aller autrement vers les autres… En 1993, les premiers « Ficelle » sont parus et, dans le mouvement, les premiers « Plis urgents », en combinant les deux modes de diffusion propres aux revues : l’abonnement et la vente directe lors de rencontres et de salons. Le plaisir, le partage, la passion sont mes maîtres-mots, et la participation de l’auteur à la diffusion m’est essentielle.
Quelle est votre « ligne », pour les « Ficelle » et les « Plis urgents » ?
Ma ligne, ce sont des lignes : des perspectives résolument ouvertes. Je n’oublie jamais que mes soixante abonnés sont en attente de découverte et de variété. Le catalogue est donc très éclectique, et accueille une grande diversité de plumes et de genres poétiques. Les « Ficelle » se déclinent en : « Poésie du regard », « Art, poésie, humour », « Poésie dérive », « Poésie cristallographiques », « Ficelle polar ». Outre le tirage courant, chaque livret existe en version coffret (tiré à 10/15/20 exemplaires, selon) avec beau papier, une gravure originale et, au dos du coffret, la gravure dupliquée/froissée. Qu’ils soient en tirage courant ou en coffret, ces textes sont appelés à circuler, et faits pour être offerts. C’est cette importante et nécessaire circulation de la poésie qui m’a amené à baptiser la deuxième collection « Plis urgents », qui renvoient, certes, au papier plié lors de la fabrication du livret, mais aussi au courrier qu’on envoie par la poste. Présenté dans une enveloppe Mail Art, chaque livret délivre sa part de beauté et de surprise : et n’y a-t-il pas urgence à les partager ?
Comment choisissez-vous les textes que vous publiez ?
On pourrait, pour résumer, parler de l’exigence de sérieux d’une revue qui ne se prend pas au sérieux. Une exigence envers les auteurs, d’abord. Dans « la charte » des éditions Vincent Rougier, je me suis plu à préciser : « La revue « ficelle » ne publie que ce qui lui plaît et ça ne risque pas de changer ». Depuis 93, je publie, chaque année, deux à trois ouvrages sur huit de poètes que je ne connais pas. Bien sûr, le texte correspond à mon goût et, puisqu’il est aussi des contraintes matérielles liées à la réalisation des livrets, au format des collections. Chaque livret est une aventure, qui doit permettre de tout visiter, tout découvrir à chaque fois nouvellement, et faire honneur à cette nature humaine si riche et si variée, par des textes qui s’adressent à des lecteurs tout aussi riches et variés…
Dans ces publications, quelle place occupe le plasticien, peintre et graveur que vous êtes ?
Chaque livret, en effet, associe à l’auteur un artiste plasticien, tels Loulou Taïjeb, Thérèse Boucraut, Anne Slacik, et tant d’autres, dont je suis. Associer ces deux modes d’expressions (où l’un comme l’autre effacent le blanc du papier ou le silence par un propos) est une forme de jeu – un immense plaisir. Il s’agit de les « accorder », un peu comme en musique où se répondent diverses familles d’instruments, de tessitures, de rythmiques pour n’être qu’une pièce musicale qu’interprétera l’orchestrateur. Concrètement, cela revient à définir l’espace graphique pour le typographe, à organiser des petites et grandes pages afin que le déroulé, la lecture en soit naturelle. Que l’ensemble acquière une forme d’évidence livresque, propre à plaire aux lecteurs et aux collectionneurs, puisqu’il en est. L’éditeur est le « maître d’ouvrage », au sens technique du terme - et aussi au regard de sa responsabilité financière (puisque cet aspect-là est important aussi !). Je me définirais volontiers comme un artisan compagnon, un rural monastique ! L’atelier est une thébaïde.