Possibles lieux (Extraits)
À vendre, chaussures bébé, jamais portées.
Ernest Hemingway
Paysage où l’été passe le plus clair de son temps. Sur les chemins il n’y a que mes pas avec leur bruit qui me quitte et me revient sans cesse. Il y aura peut-être l’écho d’un passage plus en avant de ce que je pourrais voir. Des chaussures neuves et bavardes qui reviennent du marché. Puis la rencontre et la joie sur ton visage. Mais fugacité de l’instant, comme cet arbre que l’on abat et qui laisse la lumière reprendre possession du lieu. Des oiseaux passent, hésitants, il faudra se faire à l’absence d’un haut séjour.
Je me suis installé sur la hauteur, là où tant d’autres se sont assis. Et mon regard porte plus loin, comme relayé par ceux qui ne m’appartiennent pas, mais me rapprochent un peu plus de l’amande. Je t’imagine alors au plus haut d’un âge, avec ce parapluie un peu penché vers une ombre sur le chemin. Soulevé à chaque pas, un pan d’étoffe d’où le talon épie le suiveur. Tu portes un manteau de la terre aux joues, et tu marches jusqu’à l’automne. Pour une lumière à portée de sang, dans l’éclair roux d’un gibier de septembre.
Il fait un été de plusieurs soleils, le lit asséché de la rivière dévoile l’âge de la terre, une terre si dure, que toute mise au jour est remise. Quelque part, les os d’un chasseur-cueilleur en attente de lumière. En attente aussi, l’ébauche de ton visage dans mes pensées. Je marche tout le long d’un jour immobile, l’absence me faisant cortège. J’attends l’orage pour qu’un chemin révèle tes traces, toi qui marches dans l’imaginable.
Il y aurait eu peut-être, cette petite fièvre de printemps avec sur la table de chevet, le sirop qui fait dormir. Enfance bordée de nuages, tu aurais toussé des oiseaux. Il y aurait eu aussi ce versant d’une écharpe sur le dossier d’une chaise. Peinture d’une chambre de l’imaginable. Tu n’aurais pas pu voir par la fenêtre la montagne, comme un élan arrêté de la terre vers le ciel. Et la lune, comme un visage à l’aplomb de cette robe aux plis changeants, entre neige et ombre.
Entretien avec Clara Regy
Vous écrivez déjà depuis quelques années et avez publié de nombreux recueils ? Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture et plus particulièrement à la poésie ?
Je ne sais pas si on arrive vraiment à définir ce qui nous amène à l’écriture. On se surprend un jour à transcrire une parole du vivant. Concernant la poésie, je pense qu’elle me convient bien : sa concision, cette sensation immédiate des choses. Peut-être aussi une certaine paresse par rapport au roman…
Vous avez envie d’évoquer votre rencontre avec Guévork Aivazian qui illustrera votre prochain recueil, cette collaboration entre écriture et dessins semble vraiment vous réjouir, pouvez-vous nous en dire davantage ?
Les éditions Aivazian sont une toute jeune maison d’édition. J’ai eu le grand plaisir d’être le premier auteur à y être publié. Guévork Aivazian est un artiste soigneux qui a le souci du détail. Du manuscrit de « Lettres de là-bas » que je lui avais envoyé, un très beau livre d’artistes en est sorti. Les dessins de Guévork Aivazian vont plus loin qu’une simple illustration, ils donnent à voir la propre interprétation de l’artiste par rapport au texte. C’est une collaboration, mais avec une certaine indépendance de chacun dans sa façon de dire le monde. Nous nous sommes réunis plusieurs fois dans un café pour signer les exemplaires du livre, et cela a été un véritable échange amical. D’autres livres de notre collaboration sont à paraître avec, toujours de sa part, de l’excellent ouvrage. C’est une rencontre enrichissante qui m’a donné confiance en mon travail.
Votre écriture, suit-elle un déroulement habituel, ritualisé ou naît-elle d’évènements inattendus, d’observations particulières ?
J’aime bien avoir un thème, je suis alors la ligne imposée et là, l’écriture est en effet ritualisée. D’autres fois, ce sont des textes indépendants les uns des autres, ou bien une écriture de l’instant, comme le Haiku.
Quels sont les auteurs qui vous accompagnent encore ou qui vous ont semblé importants à certains moments de votre vie de lecteur et pourquoi pas… d’homme ?
Des poètes comme Jean Cocteau, Georges Schehadé, ou bien Jean-François Mathé sont toujours présents. Puis les autres bien sûr, dans la bibliothèque, mais qui reviennent vers moi selon l’humeur d’une main s’arrêtant sur un livre.
Et dernière question habituelle : si vous deviez définir ce qu’est la poésie pour vous en 3 mots quels seraient-ils ?
Écharde du Vrai.
Louis Raoul est né en 1953 à Paris où il réside toujours. Il a publié à ce jour de nombreux recueils dont : Démantèlement du jour (éditions Eclats d’encre), Les beaux suivants (éditions de l’Atlantique), En attendant les murs (éditions La Renverse), Pailles de pluie (éditions Alcyone) ainsi qu’un livre d’artiste en collaboration avec le peintre Guévork Aivazian (éditions Aivazian). Et a collaboré à diverses revues et anthologies.
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