Jean-Claude Martin, Que n’ai-je. Tarabuste éditeur, 2016
Que n’ai-je ?, s’interroge Jean-Claude Martin. Sur un ton alerte et vif, au rythme de courtes proses, l’auteur célèbre la fraîcheur du petit matin, quand tout est calme encore, clair, presque propre. L’allégresse naît avec le jour qui se lève, les sens s’éveillent, on repère des confins qu’hier on ne remarquait pas. C’est le moment où il fait bon profiter de la fraîcheur et de la tranquillité, quand l’agitation ne bat pas encore son plein. Jean-Claude Martin aime le bleu, le ciel dans lequel passent des avions, les matins frais, les lacs et les cascades, qui donnent l’impression que rien de mal n’adviendra. Il semble d’humeur primesautière, un peu cachotière. Comme s’il se jouait des coups fourrés de la vie, conscient que la journée lumineuse est un masque. La neige, son blanc immaculé, dissimulent les traces de sang, les crimes commis par les hommes. L’humour est une forme de détachement, une façon de mettre à distance le désarroi face à la mort qui rôde. Les douleurs enfouies sont prêtes à ressurgir. Il y a l’inquiétude, l’attente. Jean-Claude Martin est encore ce petit garçon qui n’aimait rien tant que ramasser des mûres, il a la nostalgie des paysages de son enfance. Les ronces donnent des mûres. Les souvenirs donnent du sang. Couleur de sang, les mûres ne sont pas douces. Noires comme la mémoires, elles sont à point. Passer les doigts entre les souvenirs. Tumeur si tu te piques... Mais, que demander d’autre que prendre le frais le soir avec son petit chevalet à poème, installé face au ciel, avec, en sus, un petit verre de rosé ? Un recueil en demi-teinte, donc, entre enthousiasme et glissements mélancoliques, qui se déguste à petites gorgées.
Isabelle Damotte, Le livre de Timothé. Editions Potentille, 2015
Le livre de Timothé est l’histoire d’un petit garçon de six ans placé en famille d’accueil. L’histoire est racontée avec les mots de l’enfant, un langage plein de poésie pour dire l’avant, et l’après, à un âge où l’innocence est encore de mise. Avant / on aimait jouer dans les maisons abandonnées / casser les vitres et se sauver / regarder maman dormir / tout le matin // et aller chercher le pain. Après, c’est le bureau de la dame qui sait, et qui prononce les mots « famille d’accueil ». Commence alors une vie nouvelle, avec un monsieur, qui secoue sa crinière / pour [l]e faire rire et une dame qui lui dit : il ne faut pas perdre ses chagrins / il faut leur parler / les aimer bien. L’enfant les nomme Lui et Elle. Ensemble, ils construisent le quotidien autrement, dans un laps de temps qui paraît infini, tant la lumière semble passer entre les mots d’Isabelle Damotte, un quotidien qui semble ponctué des reflets de l’univers personnel de Timothé. Il y a l’école, les billes, la maîtresse qu’il aime bien, mais à qui il ne le montre pas, les visites de papa et maman, visites parfois réussies, parfois étranges. Un jour, la dame qui sait revient pour lui annoncer qu’il doit partir dans une autre famille d’accueil. Avec délicatesse, Isabelle Damotte suggère le lien qui se tisse, le chagrin, les dernières vacances passées ensemble, et la nécessité malgré tout pour la famille d’accueil de ne pas s’attacher, de ne pas s’approprier l’enfant qui lui est confié, de façon temporaire. Elle parvient à nous faire voir de l’intérieur la réalité des personnes qui se dévouent à cette cause, celle d’accueillir chez eux des enfants que la vie a bousculés, une réalité humaine et sensible.
Et j’ai bien vu qu’elle
avait un nouveau chagrin
le mien
Il ne faut pas perdre ses chagrins
il faut leur parler
les aimer bien
Samaël Steiner, Vie imaginaire de Maria Molina de Fuente Vaqueros. Editions de l’Aigrette, 2016
Il s’agit de la première publication de Samaël Steiner. Le livre est écrit en vers, mais est présenté comme un récit. Un narrateur parle, et raconte. Il a rendez-vous avec Maria, la femme qu’il aime, au Cafe de las flores. Maria commence une métamorphose. Elle se mêle au cosmos, son corps se fond dans la nature environnante, lentement devient un arbre / arbre le plus vieux du bord du désert / avec des pieds profonds.
Ensemble, Maria et son compagnon entament un lent voyage jusqu’à Alicante. Un voyage ponctué de moments de contemplation, durant lesquels le temps semble comme suspendu. Les fruits dans les cagettes continuent de mûrir, / silencieusement, / sans effort. Il y a le soleil, l’intérieur des arbres, le sable, la mer. Il y a le désordre des sens. Des souvenirs reviennent, des rêves surgissent. Le narrateur parle de Maria, s’adresse à elle. Maria est le centre du récit.
À Alicante, commence la vraie métamorphose. Maria est dans une chambre d’hôpital, pour se faire opérer. Maria va devenir Raúl.
L’écriture de Samaël Steiner est vibrante et solaire. L’amour irradie de ces pages, l’amour et la beauté. Samaël Steiner évoque avec beaucoup de poésie et de pudeur une métamorphose qu’il ne nomme pas avec des termes cliniques, celle d’une femme qui choisit de devenir un homme, et l’amour qui demeure, malgré tout.
La mer je la regarde
assis à la terrasse d’un café,
je l’entends venir de loin,
remonter les années d’absence.
Tes yeux et ta bouche luisent, veillent d’un peu de clarté dans l’éblouissant soleil de midi.
Voir aussi la page consacrée à Samaël Steiner dans Terre à ciel
Valérie Canat de Chizy