Lucetta Frisa est née et travaille à Gênes en Italie. En 2016 a paru une anthologie de son œuvre poétique : Dans l’intimité du monde (1970-2015), finaliste du Prix Camaiore en 2017. Traductrice également d’Henri Michaux, Bernard Noël, Alain Borne, elle a dirigé une collection, Libri dell’Arca, en collaboration avec Marco Ercolani. Ses derniers recueils sont Chronique d’une extinction, en 2020 et Tellement de matins à vivre, chez puntoacapo en 2022. Site : www.lucettafrisa.it
Extraits de Chronique d’une extinction
À ma mère La mer a mangé la moitié de la plage
et j’ai rêvé de toi
assises au même endroit
l’une à côté de l’autre il y a mille ans
quel visage avais-tu
cheveux blonds ou gris
même sourire
dans mon rêve un instant tu es restée
de toi je ne rêve jamais d’habitude.
Peut-être les gens qu’on aime dans la vie
se tiennent-ils tranquilles dans l’invisible
mais la plage envahie d’algues
me déplaît comme me déplaisent
fantômes et événements passés.
Qui suis-je
si j’oublie ce qui a été
et qu’un beau paysage un coin de rue
n’éclairent plus ma mémoire ?
C’est le moment de m’en aller d’ici
pour revivre les instants lumineux
leur gloire illusoire et solaire
avec toi qui fus vraiment réelle
à présent je vois à peine
ton sourire,
presque effacé.Per mia madre Il mare si è mangiato metà spiaggia
e io ti ho sognata confusamente
era il posto dove ci sedevamo accanto
che viso avevi
i capelli biondi e grigi
dentro al sogno sei stata solo un attimo
e io di solito non ti sogno mai.
Forse le persone che nella vita contano
stanno tranquille e modeste nell’invisibile
ma la spiaggia assalita dalle alghe
non mi piace e non mi piacciono
I cari fantasmi e i gli eventi troppo lontani.
Chi sono io
se dimentico ciò che è stato e neppure
un bel paesaggio un angolo di città
vengono a illuminarmi la memoria ?
E’ il momento di andarmene da qui
per rivivere gli attimi di luce
la gloria della loro solare illusione
insieme a te che davvero fosti vera
e ora, incerta,molto incerta, mi sorridi.
Épave Quoi dire de moi je ne sais pas
(personne ne me le demande moi je me le demande)
quoi dire de ma vie idiote
quoi dire ?
Je t’écrirai page virtuelle
ma résistance têtue
pour ne pas entendre le bruit
de la plume qui grince sur la feuille.
Cette fille sur l’écueil
seulement protégée de l’air
depuis l’enfance est là
qui est-elle ?
Ces derniers jours sont des plus somnolents
comme à la naissance :
somnolents somnambules
pour exorciser
la fureur envahissante du présent.
Au-dessus de la nuée défaite
qui masque la lanterne des phares,
peut-être un jour y a t-il eu
un gardien
mais depuis, beaucoup de temps
a passé, beaucoup.
Emporté par le vide
qu’y a t-il à surveiller ?
Ça ne vaut pas la peine de rester
- dans l’absence de vent -
devant l’épave arrêtée
de la mer.Detrito Cosa dirò di me non so
(nessuno me lo chiede me lo chiedo da me)
Cosa dirò della mia vita sciocca
cosa dirò ?
Scriverò a te pagina virtuale
il mio resistere caparbio
per non sentire il male
della penna che sibila sul foglio.
Quella donna sullo scoglio
protetta solo dall’aria
che fin da piccola è rimasta lì
chi è ?
Gli ultimi giorni sono i più assopiti
come quando si nasce :
assopiti e sonnambuli per esorcizzare
la furia invasiva del presente.
Su questa nube sfatta che nasconde
perfino le lucine dei fari, forse un giorno
c’era stato un guardiano
ma da tempo,da molto tempo se n’è andato.
Travolta dal vuoto
cosa ormai c’è da sorvegliare ?
sogni.
Non vale la pena di restare
-in assenza di vento-lì davanti al detrito spento
del mare.
Nature morte Sur la serviette tu as renversé du vin
et d’autres choses, quelle saleté.
Moi je voulais une serviette propre, d’autres plats
pas forcément de fête, mais bien présentés.
Nous devrions déjeuner dans la salle à manger
pas toujours ici, au milieu des odeurs
et des sacs mal rangés. Rien de rangé ici
à commencer par toi et moi qui ne savons
pas tenir une maison, mettre en ordre la vie.
Il n’y a plus de café le frigo est sale et
j’ai oublié de payer les factures. Si au moins
j’avais su écrire cette ruine, vivre en en riant
mais qui peut nous aider les amis sont à l’hôpital
chacun mène sa vie et tous ont du sens pratique.
Pendant ce temps les souris sautent sur la table
en couinant mangent les restes salissent encore plus.
Une nuée de cafards criquètent sur le carrelage
Des foules de syriens afghans africains se pressent
silencieusement sous la table pour mourir écrasés
Des listes et des listes de morts en vrac
recouvrent le ciel gris Personne n’y met bon ordre
À celui qui demande le cessez-le-feu on offre
en souriant une fleur de San Remo. Fuir
dans une autre pièce quand moustiques et abeilles
commencent férocement à nous attaquer avec leur
kalachnikov, troquant nos corps contre le pollen de
créatures sucrées.
Au moins nous sommes sûrs que jusqu’à demain
nous ne partirons pas à la guerre.Natura morta Sulla tovaglia hai rovesciato il vino
e quante briciole, quanto disordine.
Io volevo un’altra tovaglia,altre pietanze
non proprio natalizie ma almeno pulite.
Dovevamo mangiare in sala da pranzo
non sempre qui, con questo odore e i sacchi
della spesa fuori posto. Fuori posto qui è tutto
a cominciare da me e te che non sappiamo
tenere bene una casa mettere ordine alla vita.
Non c’é più caffè l frigo è guasto e ho dimenticato
di pagare le fatture. Se almeno sapessi scrivere
di tutto questo ruvido vivere mettendomi a ridere
ma chi può aiutarci gli amici sono all’ospedale
e poi ognuno fa la sua vita ed è nato pratico.
Intanto i topi squittendo salgono sul tavolo
si contendono gli avanzi. sporcano ancora di più.
Uno sciame di scarafaggi scricchiola sul pavimento.
cumuli di siriani afgani e africani si affollano
silenziosi sotto il tavolo per morire schiacciati
uno sull’altro liste e liste di nomi di ammazzati
coprono il cielo piovoso e nessuno mette ordine
e a chi chiede il cessate il fuoco regalano
con un sorriso un fiore di Sanremo.Dove mettere
i piedi per fuggire in un’altra stanza mentre
zanzare e api ferocemente cominciano
ad attaccarci con il loro kalashnikov scambiandoci
per dolci pollini creature di zucchero. Ma sappiamo
che ancora per domani
forse noi non andremo in guerra.
L’ADN canine Anna raconte :
J’ai rêvé
que j’avais l’ADN d’un chien.
Tout était normal pour moi et pour les autres.
Je marchais, travaillais, riais, sereine
avec mon ADN chienne.
Je répondais à un questionnaire pour un travail
livrant mes données personnelles
mes nom prénom âge
et mon ADN canine.
Tout était normal :
personne ne faisait de remarques
jusqu’au moment où je raconte
très simplement au téléphone
à une femme
l’indescriptible plaisir de la neige
la légèreté de son silence intact
sa beauté subtile qui nous envahit.
Ah non, ça non, non et non,
hurle la femme écœurée
j’ai accepté votre ADN canine
mais je ne peux pas
absolument pas
tolérer
- honte à vous ! c’est inadmissible !
qu’en plus vous soyez poète !Il dna dei cani Anna racconta
ho sognato
di avere il dna dei cani.
Tutto era normale per me e per gli altri
Camminavo, lavoravo, ridevo serena
col mio dna dei cani.
Facevo una domanda di lavoro
esibendo i dati personali
dove c’era scritto nome cognome età
e il mio canino dna.
Tutto normale
nessuno mi diceva niente
finché per telefono semplicemente
racconto a una signora
l‘indescrivibile piacere che mi dà la neve
la leggerezza del suo candido silenzio
la sua bellezza invasiva e discreta.
Ah no, questo no,
urla la signora disgustata
ho tollerato il suo dna del cane
ma non posso
proprio non posso tollerare
-si vergogni ! Questa è una cosa infame !-
che lei sia anche poeta !
Mythobiographie Tout a commencé par une cheville foulée
puis au gros orteil un ongle incarné et
au talon la morsure d’un chien enragé :
que veux-tu savoir où veux-tu aller
pourquoi marcher s’il n’y a plus rien
reste donc tranquille à la maison
allongée sans bouger à respirer un peu.
C’est comme ça qu’elle marcha toujours moins
sortit toujours moins et que traverser le couloir
lui sembla une aventure épique
tel un long parcours d’obstacles.
Tous lui disaient de rester où elle était.
Et d’attendre, tranquillement.
Tout en attendant elle ne vieillissait pas
ou c’était ce qui semblait à qui regardait
son petit visage enfantin ses yeux clairs
sa voix légère
ses menottes et ses robes printanières.Bien conservée la petite pleine de grâce
si épargnée par le temps que même le cercueil
n’en voulait pas et elle put s’envoler
et renaître enfin
très âgée
sur sa petite étoile.Mitobiografia Tutto iniziò con la slogatura di una caviglia
poi con l’unghia incarnita dell’alluce e il morso
al tallone di un cane rabbioso
dove vuoi andare cosa vuoi sapere
perché camminare e dove poi non c’è
niente stattene tranquilla a casa ferma
sdraiata immobile a respirare poco.
E così fu che camminò sempre di meno
uscì di casa sempre di meno e già traversare
il breve corridoio le sembrava un’impresa
epica un lungo percorso ad ostacoli.
Tutto le diceva di restare dov’era.
E,tranquilla, aspettare.
Aspettando aspettando non invecchiò
o così sembrava a chi vedeva il suo visetto
infantile gli occhi limpidi la voce dal lieve timbro
le chiare manine gli abiti primaverili. Si era
ben conservata la piccola così graziosa
tanto fuori dal tempo che la bara non ne volle sapere
di contenerla e lei poté volare via e infine rinascere
vecchissima
sulla sua piccola stella.
Sylvie Durbec est née à Marseille. Poète, plasticienne, traductrice. A reçu en octobre 2008 le Prix Jean Follain pour Marseille, éclats et quartiers, édition Jacques Brémond, publié en 2010, réédition prévue 2023. Derniers titres publiés : Carrés, édition Faï Fioc, 2020 et Été glacé, aux Lieux-Dits, 2023