Marie-Anne Bruch, Triptyque suivi de Voix Croisées avec Denis Hamel. 5 sens éditions, 2015
Triptyque est un livre anthologique réunissant trois recueils de Marie-Anne Bruch écrits entre 2000 et 2015, suivis de Voix Croisées avec Denis Hamel. Chaque recueil a sa forme qui lui est propre : le premier se constitue de sonnets, Plumes dans le Vide de vers libres, et enfin Les Frontières intérieures de poèmes en prose.
De Marie-Anne Bruch, j’avais beaucoup aimé Écrits la nuit, paru dans la collection Polder de la revue Décharge et des éditions Gros Textes. Marie-Anne Bruch a un univers très personnel, sa poésie a une forme de douceur, nous nous laissons porter par le fil de son écriture comme dans un songe. Le recueil consacré aux sonnets m’a particulièrement touchée car il parle de la réalité de l’auteure, de ses émotions, de son vécu. Marie-Anne Bruch utilise le « je », parle beaucoup de l’amour, de l’attente, de la séparation.
Dans un sonnet de Marie-Anne Bruch, on trouve un espace-temps qui peut être un bar de jeunesse, une rue, un intérieur, et dans cet espace-temps se déroule une action propre à l’auteure, avec ses ressentis successifs. Des poèmes sur Paris abordent la misère et la solitude, qui contrastent avec le clinquant et l’agitation de façade. Certains textes sont particulièrement touchants comme ceux intitulés L’hôpital et La visite à l’hôpital.
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Je cherche à savoir les causes
Du mal et du désespoir
Mais les gens ont peur du noir :
« Tiens, on t’amène des roses ! »
Je dissèque mes névroses,
Ils s’enfuient dans le couloir
En me disant « Au revoir !
Il faut que tu te reposes ! »
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Les vers libres et les poèmes en prose abordent, il me semble, des thèmes plus philosophiques comme le bonheur, la mort, la solitude et, bien sûr, l’amour.
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Le bonheur que je cherche
n’est pas de ce monde
et pourtant c’est ici que je creuse.
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Enfin le livre se termine avec ces Voix Croisées écrites à quatre mains avec Denis Hamel sur le sentiment amoureux. Marie-Anne Bruch passe du « je » au « tu », comme si elle avait trouvé un véritable interlocuteur.
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Tu es
la remise au clair
de ma chaotique histoire,
tu es
l’instant présent
lorsqu’il coule de source.
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Armand Dupuy, Ce doigt qui manque à ma vue. Dessins de Philippe Agostini. Æncrages & Co, 2015
Armand Dupuy parle de la difficulté d’être, d’habiter le monde. Il y a la peur, le sentiment d’étouffer. Le besoin d’évacuer un trop plein aussi. Armand Dupuy parle souvent des poumons qui se vident, se gonflent, encombrent parfois. Pour pallier au sentiment de délitement, il faut travailler. De ses mains, si possible. D’où l’importance des allusions au labeur, à la tâche, au fait de ramasser, assembler, archiver, pour consolider.
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je ramasse et j’assemble
des signes mutilés
j’archive
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D’où l’importance aussi de l’acte de peindre, pour exister.
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tu poses du vert
pour salir pour exister
parce qu’il faut ces taches
étalées ces gouttes
où penser –
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Un thème est récurrent, qui est la difficulté de voir, de saisir le monde. L’homme est impuissant à saisir toute la complexité du réel, de la vie. En face de soi, le monde laisse peu de prise. Cela crée une douleur, un sentiment d’incomplétude. La mer de la seconde partie est cette étendue plate dont on ne distingue pas les aspérités. Ce qui manque à la vue, c’est la texture du monde, on voudrait pouvoir enfoncer son doigt, sa main dans le paysage.
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le bleu s’enfonce
en lui-même
s’enfonce et
respire
récite
cet enfoncement –
ce doigt qui manque à ma vue
manque à ma tête
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Ainsi, percevoir la réalité environnante, mais aussi en rendre compte, peut être voué à l’échec. Le langage écrit est parfois insuffisant pour dire le monde ; les mots ont leurs limites par rapport à ce qu’ils sont sensés représenter.
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je regarde avec
mais nuit n’est pas
le mot pour les yeux
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Ce doigt qui manque à ma vue est un recueil fort, dans lequel j’ai ressenti une profonde tristesse. Comment exister, comment donner un sens à tout ce qui échappe ? Le livre est placé sous le signe de la couleur, le vert, le bleu, le rouge ocre. Il est illustré par des dessins de Philippe Agostini.
Claudine Bohi, Mère la seule. Le bruit des autres, 2015
Elle est la seule, la mère, personne ne peut la remplacer. Pourtant, elle n’a pas été ce qu’une mère est sensée être pour son enfant. Les mots cherchent à tâtons, appellent, tentent de mettre du blanc sur le noir. Claudine Bohi parle de cette mère dont elle a tant cherché à obtenir l’amour. Mais personne dedans il y avait / il n’y avait personne. Elle évoque ce grand trou empli de peur et de mort dans lequel elle est tombée, de n’avoir pas été aimée, touchée par sa mère.
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à l’intérieur de toi
je tombe encore
je dégringole
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La violence vécue par l’enfant non désirée est frappante ; pour l’enfant devenue adulte, le monde est devenu froid, empli de trous. Afin de ne pas entrer entièrement dans la mort, la poète se ment à elle-même, s’invente des histoires, ne veut pas voir, admettre l’inacceptable. Elle cherche l’excuse, excuse la méchanceté de sa mère, qui n’est pas voulue, sans doute, qui n’est pas faite exprès. Ce livre parle de la difficulté pour l’auteure d’être dans le rejet. Toute sa vie, elle aura cherché à donner à sa mère sa dimension de « maman », une dimension que celle-ci n’avait pas. Sans doute parce qu’on n’a qu’une seule mère, comme on n’a qu’une seule vie.
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te remettre à l’endroit
mère
te glisser dans une maman
dans ton sac de peau vraie
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Valérie Canat de Chizy