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Lus et approuvés (janvier 2015)

mercredi 14 janvier 2015, par Valérie Canat de Chizy

Valérie Harkness, Lundi, Éditions Henry, 2014

Je suis Valérie Harkness depuis plusieurs années maintenant. De cette auteure française résidant en Angleterre, je retiens surtout la capacité d’empathie qui lui permet d’évoquer des êtres en proie à la solitude, à l’enfermement. Son dernier recueil, Lundi, qui vient de paraître aux éditions Henry, utilise le « je ». Un narrateur parle. Qui est-il ? Des signes, des indices (les lacets défaits, la cour de l’école, des cartables et des cahiers), nous permettent de comprendre que c’est un enfant qui parle. Un enfant appartenant à une classe sociale défavorisée, qui se noie, chaque matin, dans le froid et la lumière crue d’un frigo vide, avant d’aller à l’école, la tête dans le ventre. Ce qui revient sans cesse dans le texte de Valérie Harkness, c’est la froideur du ciel, l’air si cru du matin, et le froid à l’intérieur, qui laisse deviner un manque de chaleur affective. Je grise / Je froide / Je crève / En haut c’est pas matin / C’est rien / Qu’après la nuit. Ce « je » semble en proie au vide. Les autres autour ne le voient pas. Il a un sentiment d’inexistence. Et, chaque matin, le froid le cueille sur le chemin de l’école, la boue sur les souliers, les lacets défaits. Le texte accumule tous ces détails, de page en page. Jusqu’au jour où : ce matin / Est tombé dans ma main comme un couteau.

L’heure est tombée

J’en ai pris plein la peau
J’en ai mis sur le mur
J’en ai cassé la tête
J’en ai crevé
Des yeux

J’en avais pas avant

Ils ont perdu
Ils ont bougé
Un peu

Mais j’ai cassé leurs têtes
Sous les draps

Avec tout ce que je n’avais pas avant

Et puis je suis sorti


Marie-Anne Bruch, Écrits la nuit, [Polder 163], 2014

Marie-Anne Bruch écrit la nuit. Elle écrit son univers singulier, fait de silence et de solitude, mais aussi de légèreté. Les textes, écrits à la première personne du singulier, utilisent l’imparfait, rendant une atmosphère onirique et intemporelle. Car sans doute Marie-Anne Bruch parle-t-elle de ce qu’elle vit au moment où elle écrit. Dans la nuit, tout est possible, tout est incertain. Le bonheur peut surgir de toute part. Est-ce la lumière tamisée de la lampe, le corps qui respire doucement, qui donnent à cette nuit une tonalité douce, une saveur presque sucrée ? Maternelle, peut-être. La nuit protège. Même si elle semble habitée par les souvenirs d’un amour ancien. Cet amour qui donne son titre à la deuxième partie du recueil. Lequel se présente, en fait, très doucement, comme une réflexion sur le bonheur. Nul regret ici. Juste la lumière, la légèreté d’une brise. L’arbre en fleurs / neigeotait / sous le soleil [...] On ne savait / à quelle distance / se trouvait le bonheur, // peut-être très proche, / peut-être / à des années-lumière.

Les oiseaux
susurraient.

La nuit
était sans tain.

Mon corps
respirait doucement.

La lampe
rêvait de lumière.

J’étais bercée
par l’incertitude.

Le silence
méditait plus
qu’il ne priait.

Le bonheur
pouvait surgir
de toute part.

La nuit
me protégeait
des mauvais rêves
du monde.


Une fenêtre sur la mer / Une anthologie de la poésie corse actuelle, Angèle Paoli, Recours au poème éditeurs, 2014

Cette anthologie numérique de la poésie corse actuelle publiée chez Recours au poème éditeurs présente une sélection de poètes corses contemporains dont les textes sont proposés en langue française et en langue corse. Au total, vingt poètes sont rassemblés dans cette anthologie, vingt poètes aux voix très variées, mais qui nourrissent pour leur terre une même passion : Jean-François Agostini, Marianne Costa, Jacques Fusina, Jean-Louis Giovannoni, Hélène Sanguinetti, pour ne citer que ceux-là. Certains poètes sont de langue corse, d’autres sont des poètes d’expression française. Lorsqu’on lit les textes en français, on retrouve une certaine gravité : les sentiments humains occupent une place privilégiée, et les thèmes récurrents sont l’amour, la mort, la mémoire de l’enfance perdue, la douleur de la séparation. L’inattendu pour moi a surgi de la présence du texte en langue corse. J’ai été agréablement surprise par le caractère musical et chantant de cette langue qui ressemble beaucoup à l’italien (jusqu’au dix-huitième siècle, la Corse a été rattachée à l’Italie) et qui, jusqu’au dix-neuvième siècle, a été surtout une langue orale. Aujourd’hui, la langue corse est parlée par beaucoup plus de personnes qu’on ne le croit sur l’île, son enseignement est d’ailleurs obligatoire à l’école et au collège. Elle est enseignée au lycée, pour ceux qui le désirent, et à l’université Pascal Paoli, de Corte. Il existe d’ailleurs un CAPES de corse. Et tous les textes administratifs sont écrits en français et en corse. Cette anthologie m’a fait découvrir bien des choses ! La présence des textes poétiques en langue française et en langue corse permet une esquisse d’un paysage singulier et confère un éclairage nouveau à cette terre dans laquelle tant de sentiments et de passions sont enracinés.

Des extraits de l’anthologie sont présentés dans la rubrique « Voix du monde » du site.


Comme en poésie n°59, septembre 2014

J’ai eu un coup de cœur pour ce numéro de Comme en poésie. Jean-Pierre Lesieur demande parfois à un poète de concevoir un numéro de la revue autour de ses auteurs préférés. Cette fois-ci, c’est Dan Bouchery qui nous propose sa sélection, une moisson de textes d’auteurs dont on sent bien qu’elle les a approchés de suffisamment près pour en avoir été touchée. Dan Bouchery raconte dans quelle cadre elle a rencontré Roland Nadaus, David Dumortier, Pierre Dhainaut, Jean Le Boël, Ludovic Degroote... le plus souvent lors d’un salon, d’une remise de prix ou d’une lecture, et explique pourquoi elle a été touchée par leur écriture, leur personne. Chaque poète propose un texte écrit à la main, et répond à la question « Les poètes sont-ils des gens ordinaires ? ». C’est un vrai voyage dans l’univers poétique que propose ce numéro. On s’approche, on découvre, on s’émerveille... Comme en poésie est l’une des revues les moins chères du paysage poétique actuel : le numéro est à 3 euros. Quant à Dan Bouchery, au peut se reporter à la poéthèque du Printemps des poètes pour avoir un aperçu de ses publications : http://www.printempsdespoetes.com/index.php?url=poetheque/poetes_fiche.php&cle=803

Valérie Canat de Chizy


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