Laure Morali, Orange sanguine. La Passe du vent, 2015
Dès les premières lignes, j’ai aimé l’écriture de Laure Morali. Sa conception de la poésie me parle. S’enfoncer dans le silence, creuser le temps, recueillir les traces infimes de la présence des gens que l’on aime. Pour Laure Morali, l’écriture est un voyage, elle aide aussi à mieux respirer. Écrire permet de faire circuler le souffle du monde dans l’enveloppe des mots. Laure Morali est née en Bretagne. Elle vit au Québec. Elle aime se rendre chez les Innus, dans le nord du Canada, mais aussi en Haïti. Elle dit se sentir un peu nomade. La première partie de son recueil, Orange sanguine, s’intitule d’ailleurs Les voyageurs.
Dans ses textes, il est souvent question de papillons. Peut-être parce que le papillon est à la fois fragile et éphémère, il symbolise la beauté et la légèreté, le déclin, aussi.
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j’ai suivi le chemin vers
la rousseur de l’été
où tombent les feuilles
vivent de vieux papillons.
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Orange sanguine cherche à saisir la plénitude du monde, même si l’on sait que rien ne dure, que tout change, comme les saisons. Pour Laure Morali, le monde est un fruit contre lequel se lover. La vie est rondeur, avec des échappées de légèreté. Il est toujours question de fleurs et d’orangers, avec le chant précis / du soleil les abeilles. Chaque texte irradie.
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La vitre baignée de
froid, le café
fume
y a-t-il un rêve de papillon
pour me rappeler que
je ne rêve pas
en plein milieu
de l’hiver
orange sanguine
beaucoup de thé
les voyageurs, les voyageurs, les voyageurs
et derrière eux
du sel
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Romain Fustier, Hirondelles. La Porte, 2015
Un beau petit recueil publié aux éditions La Porte d’Yves Perrine. Romain Fustier écrit des textes de onze lignes, chaque texte pourrait être une seule longue phrase découpée en vers relativement longs eux aussi ; cela ressemble à de la prose, mais il y a le retour à la ligne qui fait qu’il s’agit bien de textes en vers. Tout de suite, nous sommes dans le décor, elle a suspendu une jachère fleurie dans les cheveux au repos / de votre petite qui s’est fondue dans le paysage / plongée dans cette mer de terre pour y couper des tiges chamarrées. C’est frais, émouvant, avec l’éloge des choses simples, de la nature et de l’amour. La mère et la fille reviennent des champs où elles ont cueilli un bouquet, elles racontent les hirondelles ; les paroles sont rapportées, tu sens bon papa tes cheveux sentent le soleil te proclame / votre petite de quatre ans, paroles de la mère expliquant à sa fille les liserons : les fleurs ont une place prépondérante, les fruits aussi, cueillis à même l’arbre, croqués sitôt cueillis. Ce recueil est une déclaration d’amour pour ces deux hirondelles, comme Romain Fustier les nomme, et c’est éminemment vibrant.
Luc Bérimont, Le sang des hommes : poèmes, 1940-1983. Éditions Bruno Doucey, 2015
Né en 1915, Luc Bérimont a laissé à sa mort, en 1983, une trentaine de livres de poésie et cinq romans. Les éditions Bruno Doucey regroupent, dans cet ouvrage, un choix représentatif de textes qui permettent de découvrir ou de redécouvrir l’œuvre de ce poète. Il s’agit d’une poésie imagée, à l’instar de celle de René Guy Cadou, dont la rencontre et celle du groupe de Rochefort en 1941 a été un tournant décisif dans la vie poétique de Luc Bérimont. Sa poésie chante l’amour et la nature. Vigoureuse, intense, humaine, elle nous fait côtoyer au plus près la vie des pierres et de la nuit, celle des arbres, les tourments de la passion aussi. Nous voyons, nous éprouvons, l’aube, au sang végétal ouvert, quand des feux d’herbe, la nuit, fument sur les villages. L’amour, la nature ne vont pas l’un sans l’autre, ils se mêlent et se confondent. Le recueil est composé de trois parties : Poèmes de jeunesse, Poèmes de la maturité, Poèmes de l’adieu. Nous y retrouvons les échos des désastres de la seconde guerre mondiale, mais aussi les textes de la fin de vie, quand il est temps de partir. Il faut lire et relire Luc Bérimont, pour la beauté de son verbe, la fougue toujours intacte de sa voix, qui ne nous laisse pas indifférents.
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Battements
J’entends cogner au sol la fièvre de la terre
Je sens battre la nuit, chaude comme une chair
Je sens trembler la main qui caresse mon cou.
Renversé devant toi, sur les marches qui t’ouvrent
Éclaboussé du sang qui tourne dans mes reins
La poitrine battante aux pointes de tes seins.
Ma pleureuse sauvage, ouverte, dépecée
Je mange ton baiser dans l’odeur du lit noir
Il ne me reste plus que mes mains pour te voir.
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Peter Bakowski, Le cœur à trois heures du matin. Éditions Bruno Doucey, 2015
Bruno Doucey publie souvent des anthologies d’auteurs méconnus ou oubliés. Le recueil Le cœur à trois heures du matin propose, dans une édition bilingue anglais-français, un choix de textes de Peter Bakowski, écrits entre 1995 et 2014. Peter Bakowski est un poète australien, et c’est la première fois qu’il est publié en France. Ses textes sont influencés par la Beat generation, il est proche de Jack Kerouac et d’Allen Ginsberg. Dans ce recueil, il évoque les derniers jours d’un vieil homme, dont les mains usées se tendent aujourd’hui / pour attraper / ses pilules pour le cœur, il dresse le portrait d’un soldat de la première guerre mondiale allongé dans son lit d’hôpital, il parle de la vie de Billie Holiday, une vie de barreaux brisés :
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Des guirlandes de gardénias et le tout New York
tombent à vos pieds,
les critiques disent que personne
ne chante les mots « faim » ou « amour » aussi bien
que vous…
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Peter Bakowski nous parle de vies cabossées, il n’y a pas de confort ici, c’est un road movie dans le temps et l’espace, on y croise un écolier bègue chemise poignardée de sueur, chaussettes effondrées, un prisonnier de guerre en Bosnie, un portrait de Diego Rivera, des considérations sur la vie…
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Moi, j’aime
écrire des poèmes,
faire claquer mon fouet de Monsieur Loyal
pour faire grimper les mots
tout en haut du trapèze volant,
leur faire tenter un triple saut périlleux
à travers l’espace blanc
et rejoindre leur
flamboyant partenaire,
suspendu.
Je travaille sans filet,
tout seul, paré d’une
grande
corbeille à papier.
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Valérie Canat de Chizy