Roland Tixier, Saisons régulières, Le Pont du Change, 2014
Roland Tixier excelle dans la catégorie haïkus urbains. Chez le même éditeur sont déjà parus « Simples choses », « Chaque fois l’éternité », « Le passant de Vaulx-en-Velin ». C’est un homme dans sa ville, cette ville de la banlieue lyonnaise qu’il arpente jour après jour. La nouveauté avec « Saisons régulières » est la part faite à l’émerveillement. Un mot, et le ciel s’ouvre, radieux.
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quelle belle ardeur
les moineaux matinaux
dans les kakis de l’automne
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Chaque page comprend trois haïkus. Chaque haïku possède un tel concentré d’images, d’émotions, que l’on reste facilement absorbé, dans l’attente de ce moment où le poème s’ouvre, comme une fleur exhalant son parfum. L’attention portée aux plus faibles est présente : ainsi sont souvent évoqués les sans-abri. Pourtant, nul apitoiement ici, plutôt un clin d’œil complice.
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les deux mendiants de l’avenue
suspendent la manche
le temps d’une partie d’échecs
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« Saisons régulières » regorge de petits détails que nous connaissons et qui réchauffent le cœur.
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moineaux sur la place
épiant les moindres gestes
des petits croqueurs de biscuits
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Même si, l’hiver venu, la solitude, l’âge, la disparition des amitiés semblent aller de pair avec la neige, le recueil demeure, dans son ensemble, ponctué de douceur, d’étonnement et de moments de bonheur.
Jean-Baptiste Pedini, Il y a ici le vent, La Porte, 2014
Ce petit livret de Jean-Baptiste Pedini chez La Porte est court, une dizaine de pages au plus. Il y a pourtant une voix, et on se laisse entraîner par le flux des mots. Jean-Baptiste Pedini écrit de courts textes en prose. Les mouvements de la nature reflètent un état intérieur. Le dehors devient métaphore du dedans. La rivière saumâtre, dans le matin sans magie. On a l’image d’une stagnation. L’eau croupit, comme les mots.
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Ça pique le palais tous ces mots. Ces soleils jetés dans la bouche comme des bonbons acidulés. Ça en devient presque écœurant. Pourtant c’est bien le sucre qui coule au fond des gorges et les trous de lumière quand seuls les yeux grandissent.
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Ce n’est pas sombre, mais gris, avec une fluidité dans les mots, peut-être à cause de la rivière.
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Les trouées de lumière sont comme des hématomes sur le ciel.
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C’est peut-être la beauté des images qui donne cette impression de fluidité.
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C’est ça, il y a ici le vent qui vient, la rivière qui se tait, la terre qui lentement durcit entre les mots.
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Françoise Hàn, Scarabée en attente, La Porte, 2014
C’est un beau poème métaphorique que nous offre Françoise Hàn. Un voyage au-delà des confins. Le poème appartient à une autre dimension. Il s’écrit dans un espace indéfini, sans centre ni circonférence, ce pourrait être l’univers, la Voie Lactée. Françoise Hàn explore le mystère de la distance, de l’infiniment petit et de l’infiniment grand. Qu’est-ce que le poète, ce scarabée en attente dans la poussière, qui va, dos luisant pattes arquées, gravissant le temps ? Resté à terre. Bien que couvert de boue, il sait par intuition que la galaxie existe, que les distances succèdent aux distances. À lui d’œuvrer pour que le poème convoie la lumière d’étoiles éteintes, [...] éclaire les objets, les nimbe de pollen ou de leurs propres reflets. À lui d’œuvrer pour faire surgir la beauté, pour que les mots tiennent le passage.
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Si loin en avant
Il n’y a plus de lisières
La flèche n’atteint pas
Parce qu’il n’y a plus de cible
Ira-t-il jusque là
Le scarabée en attente dans la poussière
Dos luisant pattes arquées
Les mots tiennent le passage
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