Mariano Rolando Andrade (né à Buenos Aires en 1973) est écrivain et poète, membre du comité éditorial de la revue Buenos Aires Poetry. Auteur de la nouvelle « Los viajes de Rimbaud » (Les voyages de Rimbaud), il a contribué à l’anthologie Buenos Aires no duerme (Buenos Aires ne dort pas) et a remporté en 2001 le Prix International de la Nouvelle Juan Rulfo, décerné par Radio France International.
Le projet d’écrire des poèmes dans les mythiques mers du Sud, sur les traces de Rimbaud, Melville, London, Stevenson et Conrad, l’a conduit en 2016 de Jakarta aux îles Marquises. Le recueil qui en résulte retrace le parcours de ce long voyage. Des extraits ont été publiés en Argentine dans Buenos Aires Poetry, en Colombie dans Literariedad, au Chili dans Descontexto, et en Espagne dans Espacio Luke, ainsi que par le Cercle de poésie au Mexique et Laboratori Poesia en Italie.
Les poèmes suivants ont été traduits en français par Mariano Rolando Andrade (versions remaniées par Sabine Huynh).
El entierro de Stevenson
De pie ante tu tumba blanca,
veo el océano que te trajo
y la jungla que te amparó,
las montañas que quizás
te llevaron a Escocia.
Veo a los jefes samoanos
recibir la noticia
“Ha muerto Tusitala”,
que partió de la casa en Vailima
una noche de diciembre.De pie ante tu tumba blanca,
comprendo tus dos deseos :
ser enterrado en lo alto
de la montaña Vaea
y llevar las botas puestas.Pocos son los palagi
que han merecido lágrimas
en estas islas y mares
saqueados sin descanso
por las plagas de Occidente.De pie ante tu tumba blanca,
gran Tusitala del norte,
veo las antorchas y escucho
los brazos de doscientos
surcando la tierra cuesta arriba.El resto de Samoa se pregunta
“qué desgracia nos ha caído”,
y en la morada de Vailima
alguien prepara tu mortaja
y viste tus pies desnudos.Llega la temida mañana ya,
tus anfitriones te acompañan
y los más fuertes cargan
el ataúd hasta lo alto de Vaea,
la cima de la tumba blanca.L’enterrement de Stevenson
Debout devant ta tombe blanche,
je vois l’océan qui t’a porté
et la jungle qui t’a protégé,
les montagnes qui peut-être
t’ont mené vers l’Écosse.
Je vois les chefs samoans
apprendre la nouvelle
« Tusitala est mort »
échappée de la maison à Vailima
une nuit de décembre.Debout devant ta tombe blanche,
je comprends tes deux souhaits :
être enterré au sommet
du mont Vaea,
les bottes aux pieds.Peu sont les Papalagi
qui ont fait verser des larmes
dans ces îles et ces mers
pillées sans répit
par les fléaux de l’Occident.Debout devant ta tombe blanche,
grand Tusitala du Nord,
je vois les flambeaux et j’entends
les bras des deux cents
creusant la terre vers le ciel.Le reste de Samoa se demande
« quel malheur nous est tombé dessus »,
et dans la demeure de Vailima,
quelqu’un prépare ton linceul
et couvre tes pied nus.Il arrive déjà le matin redoutable,
tes hôtes t’accompagnent
et les plus forts emportent
ton cercueil jusqu’au sommet de Vaea,
le faîte de ta tombe blanche.
Si llueve y llega la noche a Prambanan
Si llueve
y llega la noche a Prambanan,
ella se sentará sola
en el umbral del templo
del ánsar de Brahma
para verte partir
sin pedir
que te quedes a consolarla.
Si llueve
y llega la noche a Prambanan,
ella pensará en Sita
repudiada por Rama,
y preguntará
por qué los hombres
hacen ciertas cosas
sabiendo de antemano el final.Si llueve
y llega la noche a Prambanan,
ella dejará caer
todas las gotas del cielo
y luego caminará,
sola y libre,
hacia el amanecer
que vislumbró al verte partir.S’il pleut et si la nuit tombe sur Prambanan
S’il pleut
et si la nuit tombe sur Prambanan,
elle s’assiéra seule
sur le seuil du temple
de l’oie de Brahma
pour te voir partir
sans te demander
de rester pour la consoler.
S’il pleut
et si la nuit tombe sur Prambanan,
elle pensera à Sita
répudiée par Rama,
et se demandera
pourquoi les hommes
font certaines choses
même quand ils en connaissent l’issue.S’il pleut
et si la nuit tombe sur Prambanan,
elle laissera choir
toutes les gouttes du ciel
puis elle s’avancera,
seule et libre,
vers l’aube
aperçue à ton départ.
Puertos que soñé
Hay ciudades
que nunca despiertan,
somnolientas
por el bochorno,
el mar detenido
frente a costaneras
de niños y cemento,
frutas y mujeres
en mercados eternos.
Port Vila, Apia, Nuku’alofa :
puertos
que soñé míticos,
sin presente,
anclados en la nostalgia
de haber sobrevivido
al océano
y sus fieras embarcadas,
el fuego, ciclones.Los rostros jóvenes
sedientos
atrapados por el futuro,
desgarrados
del vientre de sus islas.
Ukeleles y agrios
sorbos
de boles de kava,
loas a Iesu-Kerito.En cada muelle
dormita un viejo carguero
de bandera incierta,
como en los bares
algún viejo occidental
que morirá solo y lejos
mientras el horizonte
prepara tormentas
y la bruma del calor nos seda.Ports dont j’ai rêvé
Il y a des villes
qui ne se réveillent jamais,
assommées
par la canicule,
la mer immobile
face aux promenades
d’enfants et de béton,
de fruits et de femmes
dans les marchés éternels.
Port-Vila, Apia, Nuku’alofa :
des ports
que je croyais mythiques,
sans présent,
ancrés dans la nostalgie
d’avoir survécu
à l’océan
et aux furies à son bord,
le feu, les cyclones.Les jeunes visages
assoiffés
piégés par l’avenir,
arrachés
au ventre de leurs îles.
Ukulélés et gorgées
aigres
de bols de kava,
louanges à Iesu-Kerito.À chaque quai
somnole un vieux cargo
au drapeau incertain,
comme dans ces bars
où de vieux occidentaux esseulés
se meurent loin de tous,
tandis que l’horizon
prépare des orages
et que la brume de chaleur nous endort.
Mariano Rolando Andrade (versions françaises remaniées par Sabine Huynh).
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