Entretien avec Hortense Raynal par Cécile Guivarch
Bonjour chère Hortense. Mater Atelier, qu’est-ce que c’est ? Comment t’est venue cette idée et avec quelle(s) nécessité(s) ?
Mater Atelier - qui s’appelle aujourd’hui Mater tout court ! - naît en décembre 2021. Pendant ces jours longs et froid où l’on a le temps de rêver. En tant que jeune poétesse, un besoin me paraît évident : mieux connaître mes consœurs. Et surtout, partager avec d’autres ma découverte de leur écriture. Car pour moi il ne suffit pas, par exemple, de découvrir Anna Serra avec bonheur : je ressens aussitôt le besoin d’en parler avec tout le monde ! Me vient alors l’idée de créer un espace-temps dédié à cette découverte des poétesses contemporaines. Cela permet évidemment à des personnes pas nécessairement dans cette pratique de les découvrir, elles qui ne sont pas forcément dans chaque rayon de poésie des grandes librairies...
Nécessairement, cela va plus loin : je souhaite également parler plus « sérieusement » poésie, analyse littéraire, réflexion métapoétique. Les espaces de réflexion sont souvent cantonnés à de (très bons) blogs, sites de critique littéraires ou revues spécialisées. Pour un espace de réflexion en direct live, il faut se rendre à des journées d’études ou des colloques, qui n’ont pas non plus lieu tous les quatre matins ou qui se situent le plus souvent dans les grandes métropoles. Certains festivals proposent des tables rondes, conférences et rencontres, mais pas tous, et la question du présentiel est toujours posée. Ainsi, j’ai voulu créer un moment en visio (par Jitsi) dédié à ces échanges toujours riches. Dernière chose et pas des moindres, on ne pose pas toujours les questions les plus pertinentes, d’ordre purement littéraire et intéressantes sur le plan artistique, aux poétesses - encore moins aux jeunes poétesses - quand ce n’est pas tout simplement qu’on ne leur donne aucune tribune pour produire un discours sur leur/la poésie. J’ai donc voulu les leur poser, ces questions-là, à ma hauteur bien sûr.
En résumé, Mater, c’est un espace-temps en visio dédié à la mise en valeur du matrimoine poétique contemporain par des échanges littéraires.
Peux-tu raconter comment se déroule une séance avec une autrice ?
Tout d’abord, on fait un tour de table et on fait la carte géographique de la séance, ce qui permet de voir que des habitant.e.s du Lot côtoient des belges ou des strasbourgeois.e.s. C’est sympa de décentraliser la poésie. Ensuite, j’accueille mon invitée en la présentant, elle dit bien sûr ce qui lui semble important à son tour. Puis, nous échangeons autour de son processus d’écriture, de ses obsessions, de ce qui lui semble être la poésie pour elle, d’abord à deux pour un échange plus dense, puis avec les participant.e.s pour ouvrir et laisser la place aux questions et remarques. Nous faisons des excursus vers d’autres poétesses et poètes, vers d’autres arts, d’autres figures littéraires et artistiques. Ensuite, je procède à une sorte d’analyse littéraire d’une partie de son œuvre, à partir de laquelle je propose un laboratoire d’écriture. Elle est disponible pour compléter, éclairer l’analyse, échanger avec les participant.e.s qui écrivent. Enfin, nous nous lisons les textes, et là, pareil, la poétesse peut directement faire des retours aux participant.e.s.
Ce qui diffère d’un atelier d’écriture « classique », c’est d’abord le temps long dédié à premièrement, une réflexion métapoétique, deuxièmement, une analyse précise de plusieurs textes de l’invitée. C’est ensuite le fait que la poétesse invitée ne prépare pas d’atelier, comme on leur (nous !) demande souvent de faire. Au contraire, elle laisse un regard extérieur se poser sur son œuvre ; qu’elle complète comme bon lui semble en direct, bien sûr.
De la précédente saison, quels bons moments, quels bons retours en gardes-tu ?
Des poétesses qui me disent que ça leur fait du bien qu’un regard critique et attentionné se pose sur leur œuvre.
Des poétesses qui me disent que ça leur a permis de voir leur poésie sous un angle différent.
Le fait que la plupart des poétesses invitées soient venues assister à plusieurs si ce n’est toutes les séances de Mater.
La présence d’hommes qui s’intéressent au matrimoine poétique contemporain en tant qu’il est représentatif d’universalisme et dans une neutralité littéraire.
La liste pourrait continuer encore, mais... venez assister à une séance, et vous verrez.
Et bien sûr, à titre personnel, l’immense bénéfice de passer vingt heures en live - et toutes les autres à la préparation - à me nourrir des échanges avec d’autres écrivaines, à me nourrir de leur écriture.
Et cette saison 2022 / 2023 : tu nous en parles ?
Ce sera le lundi soir, de 18h à 20h (mais pas tous les lundis ! Pour les dates, se référer au site internet, https://linktr.ee/materpoesie).
Après avoir invité dans la saison 1, Marine Riguet, Florentine Rey, Zoé Besmond de Senneville, Margot Ferrera, Anna Serra, Rim Battal, Mélanie Leblanc, Ada Mondès, Héloïse Brézillon et Loréna Bur, je me réjouis d’inviter Lisette Lombé, Lénaïg Cariou, Sara Bourre, Cartographie Messyl, Laura Lutard, Albane Gellé, toi, Cécile Guivarch, Myriam Oh, Miel Pagès et Nathanaëlle Quoirez. J’ai déjà reçu Lisette Lombé le 10 octobre, la prochaine séance est avec Lénaïg Cariou le 24 octobre.
Quelle poésie as-tu envie de défendre et comment sollicites-tu les autrices ?
Défendre je ne sais pas si c’est le bon mot, mais je lis et tente de faire connaître toute poésie qui ne peut faire autrement qu’être celle qu’elle est. C’est-à-dire qui témoigne d’une nécessité d’exister pour celle qui l’écrit. Egalement, toute poésie qui bouleverse la langue, qui n’en fait pas « bon usage » au sens littéral, qui joue au garnement avec elle.
J’aime la poésie qui témoigne d’une certaine dyslexie face à la vie « normée », une dysphorie joyeuse, une folle et assumée inadaptation au monde. « Les [humains] sont si nécessairement fous, que ce serait être fou, par un autre tour de folie, de n’être pas fou. » m’a soufflé un jour Pascal, qui ne m’en voudra pas de remplacer ses « hommes » par des « humains » afin d’inclure tout le monde. La poésie, une saine difformité.
« Comme on dit beauté poétique on devrait aussi dire beauté géométrique et beauté médecinale, mais on ne le dit pas et la raison en est qu’on sait bien quel est l’objet de la géométrie et qu’il consiste en preuve, et quel est l’objet de la médecine et qu’il consiste en la guérison ; mais on ne sait pas en quoi consiste l’agrément qui est l’objet de la poésie. » Je continue avec Pascal pour dire aussi qu’est souhaitable une poésie qui « ne sait pas ». Je vous laisse le soin d’interpréter car moi-même, je ne sais pas.
J’invite tout autant des poétesses qui n’ont jamais publié que des poétesses multi-publiées. Mon seul critère est mon intérêt sincère et enthousiaste pour leur travail. Car oui, c’est du travail. Du gros travail, même. D’ailleurs, je rémunère les autrices invitées. Ca, je veux le défendre.
As-tu d’autres projets pour la suite ?
La saison 3 se dessine déjà dans ma tête, évidemment, puisque mon quotidien est constamment fait de nouvelles lectures et de nouvelles découvertes tant la poésie contemporaine fourmille de talents. Il y aura bien sûr la mise en ligne de la saison 2 en « MOOC », comme je l’ai fait pour la saison 1, qui est toujours disponible - et qui rémunère les poétesses en droits d’autrice à chaque vente. J’ai eu l’idée d’organiser des rencontres en présentiel, avec une table ronde et des conférences (pour lesquelles des participant.e.s de la saison 1 m’ont proposé leur aide, c’est dire combien Mater a réussi, je crois, son objectif de réunir, fédérer, tendre vers un « être ensemble ») ; mais aussi celle de réunir ces analyses dans un livre. Il faut que je choisisse, car je ne pourrai pas tout faire !
En savoir plus, s’inscrire à une ou plusieurs séance, c’est par ici