Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

Accueil > Terre à ciel des poètes > Max Alhau

Max Alhau

vendredi 13 avril 2018, par Cécile Guivarch

Max Alhau est né le 29 décembre 1936 à Paris. Il est poète. Il a été édité par Rougerie et Voix d’encre notamment. Ses livres récents ont été publiés par L’herbe qui tremble, maison dirigée par Lydie Prioul et Thierry Chauveau, son dernier livre, en particulier, En cours de route. Ses notes de lectures, régulières et nourries, peuvent être lues dans la revue Europe et sur le site de Michel Baglin, Texture, qui lui a consacré un dossier.

Extraits de En cours de route (L’herbe qui tremble, 2018)

Tu es monté plus haut
que la cime des arbres :
ce n’était pas le ciel
mais un espace sans nom
qui te renvoyait
vers des visages enfouis
au creux de leur absence.

Prélude sans aucun doute
à quelque orage en germe
et qui mettrait le feu
à une traversée
aussi brève qu’illusoire.

**
Ne retiens ni le vent ni la pluie.
Dans l’attente d’une embellie
veille sur l’horizon
avec la patience du guetteur.

Le jour s’incline devant les ombres,
déboutant la lumière de ses territoires.

Tu es le dernier spectateur
qui s’attarde dans un théâtre
maintenant désert.

**
Qu’as-tu imaginé de cette vie
qui fut comme un miroir
faussé par ton regard ?

Qu’auras-tu appris
sinon la patience
d’attendre les saisons,
de guetter un visage
et de ne récolter
que douleur et stupeur ?
Pourtant au loin, dans la forêt,
le long des chemins creux
glisse parfois sur ton visage
le souffle d’un vent léger :
c’est surtout cela
que tu te rappelles.
Ces instants engrangés
ont l’odeur du bois mouillé
après la pluie,
rien de plus,
rien de trop.

**
Les signes gravés sur la pierre,
le vent les efface d’emblée,
la nuit les renouvelle :
pas de lecteurs pour ces récits,
simplement le vol d’une mésange
qui d’un coup d’aile
redonne vie à des légendes
sans nulle marque d’héroïsme.

Extrait de : Ici, suivi de Eloge du vent (La Porte, 2017)

Voir le vent, c’est comme éprouver la présence d’un dieu inconnu et tellement proche, dont on soupçonne qu’il se situe dans une région au-delà de toute attente, de toute atteinte.

Le vent se lève avec le jour et s’inscrit, comme lui, sur le corps, signant son passage avant de disparaître, léger, dans l’espace, sans un signe d’adieu.

Et que dire de ce vent saisonnier, vent d’espoir au nom sans cesse mouvant, vent perdu restitué à sa source, prêt à suivre son cours jusqu’à l’estuaire, après encore.

Extrait de : Le Temps au crible (L’Herbe qui tremble, 2014)

Une brassée d’air – i.m. Bernard Mazo

Fie-toi aux mirages
qui t’indiquent la route,
romps le pain avec le vent.

Ce temps se situe toujours
à l’écart des horloges,
dans ces territoires
auxquels l’oubli
ne porte pas atteinte.

Fais face aux précipices,
aux torrents, aux tourmentes,
tu rejoindras ce pays
où s’absentent les ombres,
où s’enracinent les éclairs.

Extrait de : Du bleu dans la mémoire (Voix d’encre, 2010)

Espères-tu te rejoindre
après tant de forces dilapidées
à transcrire sur une feuille
ou un chemin de fortune
ce que fut ton périple ?

Ta mémoire a remisé les saisons ;
les forêts et les plages
se fondent dans les mêmes empreintes,
tu ne sais plus rien d’une histoire
qui fut autrefois la tienne
et maintenant pareille
à un éclair brûlant ta chair.
Il ne reste de ce passage
qu’un ciel trop clair
pour effacer la peur
et murer la détresse.

Extrait de : D’asile en exil (Voix d’encre, 2007)

Sous ce hêtre
qui navigue en plein jour
toutes feuilles au vent,
tu songeais à des pays
d’épices et de mousson.
La perspective d’un soleil à vif
te brûlait alors.

Maintenant tu ne te rappelles plus
si les départs ont eu lieu
et les retours aussi.

Extrait de : Proximité des lointains (L’Arbre à Paroles, 2006)

Parcours

L’épaisseur du monde, la légèreté des mots se mêlent dans un même courant. Qui l’emporte ? On ne sait.
Un ciel parsemé d’étoiles où Dieu peut s’absenter se rappelle à nous comme notre seule perspective, notre chance ultime d’habiter cette patrie, d’en approuver le mystère.

Est-ce qu’un étang ne nous réconcilie pas avec nous-mêmes ? Est-ce qu’une forêt ne s’impose pas plus que n’importe quelle parole ? Ce qui les unit, un sentier, un vol de hérons, prend en compte notre existence pour laquelle nulle cause n’est plus à défendre, nulle mort à préserver. Et lorsque la place est nette, on peut se mettre en route.

On s’abandonne à des mots, à des paroles qui sont autant de brise-lames, autant d’éclairs griffant l’horizon.
Ce que l’on croyait à portée de souffle – l’herbe, l’arbre, la maison, le jardin – se brouille et se dérobe. Demeure cette image qui hésite à transparaître, cette voix qui délivre le temps de son cours, eau se faufilant pour éclater parmi les pierres.

Extrait de : D’un pays riverain (Rougerie, 1990)

Quête d’un lieu

Suivant les régions, le vol d’un condor ou celui d’un passereau trace dans l’aplomb de midi une ligne imaginaire.
Rien ne nous accompagne d’une vie ratifiée par l’absence, par une jeunesse soustraite depuis tant d’années.
Les soleils d’autrefois, les visages clairs font partie d’un paysage saccagé, heureusement hors d’atteinte. Seule la source nous paraît être la dernière récompense, le temps promis à sa naissance.

C’est toujours au fond des abîmes que la parole porte le plus, quand personne n’est là pour l’entendre.
Aussi, comment avouer ce que furent ces terres brulées, ces rivières à sec, ces moments falsifiés par un rêve trop exigeant ? Comment ne pas croire que la vie est cette patrie poignardée, cette île engloutie, cette contrée jamais abordée ? Quelle étoile, à des milliers d’années-lumière, continue d’aviver nos attentes, de guider nos errances ?
Les yeux tournés vers l’intérieur, nous tenons déjà un autre langage : un doigt caressant une roche et l’éternité se joue de nous.

Inédit

Ainsi coulent les saisons,
s’évanouissent les mirages,
s’effritent les désirs.
Mais derrière les futaies
quand le fleuve épouse le ciel
à quoi bon se retourner ?
le paysage se délite,
la vie maraude quoi qu’on veuille.

Devant soi on mesure
cette étendue de terre
bleuissant dans le soir
et que l’on sait
ne jamais rejoindre,
comme une voix se perd
dans les sous-bois
et n’appartient à personne.


Bibliographie de Max Alhau :

  • En cours de route, L’herbe qui tremble, 2018,
  • Si loin qu’on aille, L’herbe qui tremble, 2016, Prix François Coppée de l’Académie française
  • En bref et au jour le jour, La Porte, 2015
  • Le Temps au crible, L’herbe qui tremble, 2014
  • La lampe qui tremble, Éditions Tipaza , 2015
  • Aperçus - Lieux - Traces, Éditions Henry, 2012
  • Du bleu dans la mémoire, Voix d’encre, 2010
  • Un éclair furtif, La Porte, 2007
  • D’asile en exil, Voix d’encre, 2007, Prix Georges Perros
  • Proximité des lointains, l’Arbre à paroles, Prix Charles Vildrac de la SGDL.
  • Horizons et autres lieux, Encres Vives, 2004
  • A la nuit montante, Voix d’encre, 2002
  • Nulle autre saison, L’arbre à paroles, 2002
  • Le temps des jardins, Alain Lucien Benoît, 2002
  • Ocres, La Porte, 2001
  • Le fleuve détourné, L’arbre à paroles, 1998
  • Cette couleur qui impatiente les pierres, Voix d’encre, 1998
  • Sous le sceau du silence, Rougerie, 1995, Prix Artaud
  • D’un pays riverain, Rougerie, 1990
  • L’inaccompli, Sud, 1989
  • Ici peut-être, Rougerie, 1987
  • L’instant d’après, Brandes, 1986
  • La part initiale, Les Cahiers du Confluent, 1985
  • Les mêmes lieux, Rougerie, 1982
  • Passages, Rougerie, 1980
  • Trajectoire du vent, Brandes, 1979
  • Le Lieu et la parole, Rougerie, 1977
  • L’Apparence des choses, Rougerie, 1975
  • Itinéraire à trois pronoms, Guy Chambelland, 1972
  • Le Temps circule, Subervie, 1969, Prix Voronca

Sur M.A. :

  • Pierre Dhainaut : Max Alhau, Présence de la Poésie, Editions Les Vanneaux, 2012.
  • Revue Sud : Max Alhau, N° 43 – 2008

Choix de textes et bibliographie établies par Isabelle Lévesque

Photographie : Muriel Rousseaux


Bookmark and Share


Réagir | Commenter

spip 3 inside | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 Terre à ciel 2005-2013 | Textes & photos © Tous droits réservés