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Mazette (2 fois), par Christian Degoutte

mercredi 15 juillet 2020, par Cécile Guivarch

Hervé Bougel, UNE INQUIETUDE (LE QUATUOR)

L’autobiographie est le moteur des livres d’Hervé Bougel. Ils apparaissent alors comme :
- soit une sorte de plongée dans la mémoire : autobiographie de sa jeunesse ouvrière dans TRAVAILS et LES POMMARINS (éd LES CARNETS DU DESSERT DE LUNE).
- soit une exploration du temps le plus immédiat (que dépose-t-il dans la mémoire ?). Ainsi LES CONTINENTS (éd LES CARNETS DU DESSERT DE LUNE) était-il une exploration « spatio-temporelle » menée à travers une année de voyages par le train aux 4 coins de l’hexagone (comme on dit) et LES PETITES FADAISES A LA FENETRE (éd LA CHAMBRE D’ECHO) le temps piétiné d’accidents minuscules 365 jours durant sur une même portion de rue.
- soit comme dans TOMBEAU POUR LUIS OCANA (éd LA TABLE RONDE), Hervé Bougel se glisse dans l’autobiographie de quelqu’un d’autre. Il la fait sienne. En quelque sorte l’autre est un « je ». Ainsi en est-il dans ce nouvel opus, UNE INQUIETUDE (LE QUATUOR)
Voici l’objet :
Après une ouverture au violoncelle - histoire de se faire taire les pensées ? J’aime à penser que c’est tiré des Trois suites de Benjamin Britten, bref - voici quatre monologues ou les quatre temps d’un même monologue (séparés par des respirations au violoncelle). En tout cas, une femme parle seule ; ou une femme se parle. C’est comme l’on ne peut en venir aux confidences que lorsque la nuit nous entoure, quand on n’est plus vraiment visible. Cette parole de femme est la traversée d’un moment, d’un état de mal-être.
« Je suis dans un souci / je suis dans une inquiétude / C’est simple / ordinaire / banal même / oui / peut-être / pour moi / c’est une chose importante / pas si grave mais… »
On entend bien, à l’aspect haché du discours, que c’est une parole qui se cherche.
Chaque monologue se bâtit comme une accumulation vers le bas, un empilement vers le profond de soi, ce qui se tait en nous, que l’on tait « je n’ai pas de simple réponse / à la question / que je ne me pose pas / cette chose remuante / je m‘entends murmurer / des mots / une supplique / pour elle… ».
S’agit-il de poésie ? De théâtre ? On s’en fiche. Images rarissimes, pas d’effets brillants ni de joliesses de style. Une écriture brute comme on fait sauter des éclats de ciment (de pierre) au burin, comme un travail de sculpture. A l’instar de TENTATIVE D’EPUISEMENT D’UN LIEU PARISIEN de Georges Perec, je me demande si l’on ne pourrait pas intituler ce nouveau livre d’Hervé Bougel : Tentative d’épuisement d’un « sentiment ».
La vérité de ce texte, c’est la voix – les voix puisque dit-on le violoncelle est l’instrument le plus proche de la voix humaine. UNE INQUIETUDE est fait pour être écouté, donc enregistré. En attendant de le voir sur scène.

Nicolas Rouzet VILLA MON REVE

« Qui viendra récolter leurs noms… », ces mots ouvrent VILLA MON REVE de Nicolas Rouzet. Ils auraient pu lui servir de titre. Même si les noms dont il est question sont ceux des cadavres abandonnés sur la plage de Dunkerque en juin 1940, ou ceux des blessés alignés à l’hôpital Nord entre 1914 et 1918, hôpital devenu sanatorium ensuite.
« Me voici, je suis tissé de tous mes morts, par leur parole inaudible, leurs bouches cousues…Tous mes rêves, mes cauchemars, sont traversés par leur présence familière, leur absence… »
La villa familiale Mon rêve se trouve à proximité de ces grands cimetières « Aujourd’hui on distingue jusqu’à Ostende. A gauche Malo-les-Bains et la Villa Mon Rêve où vécut ma famille ».
Ce livre semble d’abord une autobiographie collective ; mais bientôt on comprend que Nicolas Rouzet reconstitue sa propre matière à partir de la « collectivité » familiale ; qu’il trouve dans l’histoire familiale une bonne part de ses inquiétudes, des raisons de son mal-être. Ce livre met en évidence que la mémoire individuelle est collective.
VILLA MON REVE est constitué d’un patchwork des bouts de la vie des parents, des grands-parents auxquels viennent se mêler le regard, les interrogations de Je au présent de l’auteur. Il faut qu’il fasse effort sur lui-même pour que sa vie ne serve pas seulement de témoignage de la vie de ses aïeuls, et qu’il devienne l’auteur principal de la sienne ; « …vous qui êtes de mon sang accordez-moi votre pardon. Considérez que je ne suis plus qu’une ombre. Je suis un spectre…Je vis parmi vos rêves, vos cauchemars … ». Ces éléments de ces vies passées sont retrouvés grâce à un effort de mémoire de l’auteur : « je n’ai croisé mon grand-père qu’une seule fois…sur une planche de bois, il avait peint un clavier où il laissait divaguer ses mains… » ou dans la remémoration des dits des proches « Voir les bombes traverser le ciel la nuit depuis la cave de Mon Rêve, c’était le bonheur » disait mon père…
Constitué de petits blocs de prose alerte, ce livre se lit comme une enquête. Comme celles dans lesquelles on a le coupable mais on cherche qui est la victime. De nom en nom, par ce qui les lie, leurs histoires, on reconstitue l’être Nicolas Rouzet.
Nicolas Rouzet reconstitué est dans TERMINUS NORD, la deuxième partie du livre. Le « Je qui parle » y est enfin éclairé d’une manière onirique : « Dans les jours gris de ma jeunesse, j’habitais une ville-terminus. En rêve j’y retourne quelquefois : les panneaux sont barbouillés, le nom est illisible. Seul sur le quai, quelqu’un m’attend, que je connais pas et il a des mots terribles à me dire. Son message est important, mais le bruit de la locomotive emporte tout, emporte sa voix… »

MAZETTE : je découvre cette maison d’édition. Les livres sont soignés, élégants, mais sans ostentation. De chouettes objets.

Christian Degoutte

Hervé Bougel UNE INQUIETUDE (LE QUATUOR), éd MAZETTE, 50 p, 10 €
Nicolas Rouzet VILLA MON REVE, éd MAZETTE, 60 p, 10 €


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