Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Michel Lautru

lundi 22 octobre 2018, par Cécile Guivarch

Enseignant en école élémentaire, j’ai toujours été un passionné du livre. J’écris des textes qui tournent autour de l’humain, des bonheurs et des misères de la planète. En poésie, ce sont en général des textes courts avec un mélange d’humour et de gravité, mais aussi de rêve et d’utopie.
J’ai toujours voulu lire et écrire. Mon père est né à la campagne en 1900. Il n’est jamais allé à l’école. Mon premier souvenir d’enfant de 4 ans, c’est de le voir pleurer devant un journal qu’il n’arrivait pas à lire.

Écrire pour la jeunesse est un acte évidemment lié à ma propre enfance.
Je pense que la lecture permet de se forger un vaste imaginaire. C’est encore plus vrai à notre époque où des milliers d’images arrivent tous les jours dans les têtes des plus jeunes... des images imposées à l’enfant et non des images qu’il se crée lui-même.
J’aime la poésie qui, par un concentré de mots, met en éveil tous les sens chez l’enfant.
J’aime tout autant les albums jeunesse qui peuvent être de vrais bijoux.
Je conseille aussi de lire des nouvelles ou des romans... Du texte, rien que du texte, justement pour vivre les choses de l’intérieur, en se créant des images mentales et en se créant ainsi une personnalité bien plus authentique. C’est tout aussi important que des jouer avec les autres, ne rien faire ou rêver.

Animateur pendant vingt ans de la revue Cotcodi, auteur de chemins poétiques dans des villages de l’Orne et de la Sarthe, animateur en lecture-écriture dans des écoles maternelles, élémentaires, mais aussi dans des collèges et des lycées, responsable de la sélection BD et jeunesse pour le salon du livre de Sablet dans le Vaucluse, auteur d’une trentaine d’ouvrages.

Extrait de Autour de tout/Tout autour, éditions Cotcodi

Mélangés
Nous sommes tous mélangés
Un pied romain, l’autre ostrogoth
La face burgonde, le torse normand
Un peu de 732 dans les veines
Et de 1515 dans les artères
Mélangés
Nous sommes tous mélangés
Et nos télés
Nos voitures, nos frigos
Sont aussi mélangés
Fabriqués par Aziz
Par Abdel, par Tonio
Mélangés
Nous sommes tous mélangés
Et nos cimetières de France
Sont de curieux mélanges
De peaux noires, de peaux blanches
De peaux et d’os mélangés
D’humus étrangement mélangés
Pour faire pousser les ailes de la liberté.

Extrait de Cartes postales, éditions Donner à Voir

Je rêve d’une terre bleue
D’une terre douce
Comme les courbures d’une femme
Une terre qui offre le lait des étoiles
Une terre qui porte longtemps ses petits
Même pendant les années de chagrin.

Extrait de Sur les deux rives du sud, éditions Groutel

A mon vieux Driss
Je te vois souvent
Dans ta chambre sous le toit
Faire longuement ta prière
Sur ton tapis d’ailleurs
En pleine conversation avec ton Dieu
L’angélus vient de sonner
Et tu ne l’entends pas
Toi qui habites place de l’église.

Extrait de J’ai une sorcière dans mon cartable, éditions Voix Tissées

Mamie rapetissait
Se recroquevillait à vue d’oeil
Toute petite sur le seuil
Une chatte amie
Une mouche, une fourmi...

Mamie rapetissait
Mamie disparaissait
Plus petite qu’un moustique
Vraiment microscopique
Mais encore très coquette
Entre deux brins de moquette.

Extrait de Mon papa a deux gros bras, éditions Soc et Foc

Comme chaque soir
J’ai compté mes moutons
Il y en avait des millions
Comme chaque soir
J’ai compté mes papas
Il y en avait bien trois
Si ! Si ! J’ai trois papas
Maman te le dira.

Extraits de Si la graine parle encore, éditions Soc et Foc

L’encrier d’encre violette
Se souvient-il de mes je t’aime ?
Et les buvards ont-ils gardé en eux
Tous mes silences heureux ?
Seuls mes doigts se souviennent parfois
Du sucre et des bonbons que je voulais t’offrir.

       *

S’il ne reste qu’un arbre
Qui tient tête aux bûcherons
A la terre entière
S’il ne reste qu’un arbre
Et si sa graine parle encore
Alors, prends cette graine
Car c’est bien dans les déserts
Qu’on fait naître l’espoir.

Extrait à paraître chez Gros Textes

Les exercices à trous

Tu te souviens de ton copain Aziz, mon Loulou... Il a bien rigolé quand il a fait pour la première fois un exercice de Bled. Lui, il croyait que c’était de la géo et qu’on allait lui parler de son village. Au lieu de cela, il a fallu faire des exercices à trous. C’est marrant au début, puis c’est un peu lassant.
Dans le village de son père, il y a des trous dans les rues. Il y a toujours quelqu’un pour les reboucher. C’est toujours le même homme et cet homme-là n’a jamais été employé à faire la rue ! Il rebouche les trous et les trous, c’est têtu, car au fil du temps, ils réapparaissent.
Pas drôle ! Faut dire que les trous sur la chaussée, les trous des exercices, les trous de mémoire, ça ne se répare pas. Ils se reforment toujours aux mêmes endroits. Si tu as un trou dans ta chaussette, mon Loulou, tu peux demander à mère-grand de te le réparer, mais on te dira toujours que tu as une chaussette à trou. Tu le sens. Alors, je crois qu’il vaut mieux savoir faire une chaussette que de réparer un trou du gros orteil.
Pour savoir écrire, je crois bien que c’est pareil. Si tu ne bouches que des trous, mon Loulou,tu n’écriras que des phrases qui ne seront pas à toi, avec seulement des trous bouchés qui t’appartiendront. Écris pour de vrai, et s’il y a quelques trous ici et là, ce n’est pas grave. Tu auras des textes à toi, avec des trous venus d’ailleurs et ces trous venus d’ailleurs, personne ne les verra. Ils arrivent d’un bled que personne ne connaît, même pas moi.

Extraits de Marguerite, éditions Groutel

À Marguerite

À l’heure de la grande vieillesse
On connaît toutes les larmes de la solitude
Brodant tous les fils de la nuit
On a beau faire appel aux étoiles
C’est le noir complet de l’existence
Qui s’installe
Et l’on se lève la nuit
Pour ouvrir les volets.

       *

       À Patricia et Sylvie, filles de Marguerite

Salon de thé improvisé
Tes filles et toi
Quelques madeleines
De menues confidences
Sorties de l’enfance
Et une fin de vie comme un tourment
Pas très faim en ce moment.

       *

Hier, tu glissais sur l’autre rive
Et tu as fait demi-tour
Pour nous surprendre à exister encore
Tu as insisté du regard
Puis tu es repartie
Dans tes pays reculés
Le regard trouble dans la lumière.

Extraits de Où allons-nous ?, éditions Voix Tissées

Les migrants
Soudain devenus sédentaires
Construisent du provisoire
Parenthèses de terre
Nations dans la nation
Grains de sable indestructibles
Dans la boue de l’Europe.

       *

Ils rêvent d’expliquer leur misère
De chanter à tue-tête
Ils rêvent de murmurer des mots d’amour
A ceux qui les accueilleront
Ils rêvent de leur porter
Des paniers de fruits imaginaires
Des bouquets de fleurs de leurs pays
Tous ces rêves
Tous ces espoirs
Les tiennent en vie.

Extraits de Rouge cœur-Bleu tendre, auto-édition

Toucher des mains
Toucher la chaise en paille
Et le curieux espoir d’être assis
Les yeux fixés
Dans le désir de l’autre
Comme une vague
Qui arrive et se retire.

       *

Le soleil d’octobre
S’est posé sur les arbres
Tout est roux
Comme une chaleur rentrante
J’aime te caresser
J’aime aussi le murmure
Des feuilles de hêtre.

Extrait de Bleu tendre/Rouge cœur, auto-édition

Je t’aimerai demain
Pas aujourd’hui
Aujourd’hui, j’écris des poèmes d’amour
Que tu puisses garder toujours
Aujourd’hui, je pense à ma belle
Ma belle journée passée à t’aimer
Aujourd’hui, je suis tant épuisé
Que j’ai besoin de congé.

Extrait de Poèmes en liberté, éditions Cotcodi

Et si le bûcheron
Avait perdu son h
Et si la barre du b
Avait soudain glissé
Et si le vent perplexe
Avait d’un coup décidé
De vraiment tout balayer
Même l’accent circonflexe
L’homme aux gros bras ronds
Ne serait plus qu’un puceron
M’en faudrait bien dix millions
Pour cisailler un petit tronc.


Bibliographie

  • Les jupes s’étourdissent (Soc et Foc), prix des lecteurs de Lire et Faire Lire dans le cadre du Printemps des Poètes 2007. Illustrations de Marlène Lebrun.
  • Le P de la poule et le Q du coq (Mémoires et Cultures) prix Joël Sadeler, 2008. Illustrations d’Agnès Rainjonneau.
  • Si la graine parle encore (Soc et Foc, 2011). Illustrations d’Agnès Rainjonneau.
  • Tétracordes (Soc et Foc, 2011). Illustrations d’Agnès Rainjonneau. Ouvrage en commun avec Gilles Brulet, Liska et Jean-Claude Touzeil.
  • Sur les deux rives du sud (Atelier Groutel, 2015)
  • Quand vous étiez tous les deux (Voix Tissées, 2018). Illustration de Martine Morel.
  • Pan ! C’est toi le loup ! (Voix Tissées, 2018). Illustrations de Claudine Loquen.
  • J’ai une sorcière dans mon cartable (Voix Tissées, 2018). Illustrations de Loïc Leconte.

Album jeunesse :

  • Les bretelles vertes du Père Noël (Lis et Parle, 2015). Illustrations de Bruno Lebeurrier.

Parutions dans des anthologies chez Larousse, Belin, Nathan, Milan, Bayard jeunesse, Rue du Monde.


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