Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Myriam OH

mardi 26 octobre 2021, par Cécile Guivarch

CORPS-A-CORPS

je me fais des scènes
d’intérieur
y’a des veines qui gonflent et des artères qui se bouchent
à chaque fois que je me prends
en flagrant délit d’infidélité à moi-même
je me fais des crises
existentielles
je me soulève le cœur je me prends la tête

alors je fais quoi là hein
je me lève ou bien je me couche ?
et je suis qui là-derrière
ce matricule quand ça va barder ?

je fais des nœuds avec mes nerfs on dirait une épée ou c’est peut-être une fleur ah tiens non c’est un cygne
je me casse les organes vitraux pour voir la couleur de la lumière et sentir le parfum de la liberté tiens
on dirait les yeux de ma mère
ou peut-être la voix de mon amant
ah non c’est inédit
je m’excite
je me fais des escape games
en solitaire
je m’explore jusque dans les entrailles je cherche des indices ou de bons alibis au fond de l’inconscient
enfin n’importe quoi
qui ferait sortir les murs de leurs gonds
je cherche des réponses
ou peut-être la bonne question
ah tiens non c’est rien qu’la petite bête
qui fait diversion
à chaque fois que je me quitte
sans demander
mon reste

alors j’en suis où là hein
dans le décor ou juste au cœur ?
et pour qui je me prends
quand je me mets hors de moi ?

hey moi là-bas
quand il n’y aura plus assez d’histoires
à ruminer
quand il n’y aura plus assez d’arguments
à appuyer
quand il n’y aura plus qu’à vendre l’âme
il y aura encore
le feu intérieur
alors de quel bois je me chauffe
quand je m’accorde le droit de me tromper
de lieu et de moment avec perte et fracas ?
je me livre la guerre
ah tiens non
c’est l’amour que je me fais.

JE DIS OUI À LA FOLIE

si la folie est
se voir plus grand et plus fort
de partout
du sourire aux rêves ;
je dis oui à la folie
si la folie est
arrêter de se chercher des noises
pour
se trouver d’excellente compagnie
tout contre
autrui et le monde pourtant
je dis oui à la folie
je dis oui à l’invisible je me défile des barreaux
de la réalité
je dis oui à l’indicible je prends un bain
de métaphores
je dis oui à la folie si la folie est
voir la vie belle avec des yeux d’enfants
que j’ai passé l’âge
que mon heure est venue
et que je l’ai manquée
je dis oui à la folie si la folie est
perdre la notion
du temps
et s’en remettre au vent
je dis oui à la folie
je dis oui aux plans B qui n’ont pas d’explications
se projeter sur le bas-côté
c’est se projeter quand même
c’est prendre de la hauteur
par-delà les apparences
je dis oui aux silences qui traduisent à la perfection
l’esprit de la fête
les valeurs de la défaite
pour qui sait lire dedans
je dis oui aux mains froides
je dis oui aux cœurs qui débordent
je dis oui aux logorrhées
à nos façons de surjouer
il faut bien évacuer le superflu
pour que l’essentiel
daigne pointer le bout de son nez
de la tête
à la queue
et si c’est pas pour aujourd’hui tant pis
le temps que son tour vienne, je dis oui
quand
même si la folie est
dans la gueule des gens trop sérieux
une maladie honteuse
je dis oui à la folie
et j’en rajoute une couche
si la folie est
ramasser les étoiles tombées sur le bitume.

votre connexion a été interrompue

vous ne savez plus qui vous êtes d’où vous êtes partis où vous vous rendez, vous ne savez même pas où vous êtes d’ailleurs ni qui sont ces gens autour que vous avez autant envie de mordre que d’embrasser comme ils posent leur regard sur vous, vous ne savez plus lire dans le non verbal pas plus que dans les boules de cristal, les plans les boussoles les signes parlent une langue étrangère et l’univers tout entier aujourd’hui ressemble à un escape game sauf que vous n’avez plus aucune envie de jouer

le signal a été perdu

vous ne reconnaissez ni les visages ni les paysages qui défilent – d’ailleurs sont-ce eux qui passent ou bien vous qui vous mouvez – vous n’avez plus de nom plus de maison, on peut bien vous appeler mon dieu ou mon chien papa ou monsieur le directeur général de mon cul sur la commode, on peut bien vous jeter à la rue ou sur un canapé vous visser le cul derrière un bureau ou l’exhiber dans une galerie d’art moderne, vous ne vous sentiriez jamais ni dans le bon costume ni dans le bon décor

vous êtes

perdus

vous êtes

las

vous ne savez plus si l’eau du bain est trop chaude trop froide ou juste tiède, et si d’ailleurs « juste tiède » est la bonne température ne faudrait-il pas opter pour du « un peu trop chaud » en anticipant la température qui baisse de concert avec le temps qui passe, vous ne savez plus si vous avez mal si vous êtes bien ou si vous ne ressentez plus rien – les pensées font des ricochets dans l’eau des bribes tombent au fond de la baignoire d’autres remontent à la surface – le siphon avale l’eau encore tiède abandonnant les résidus et vous

vous êtes

le client et le SAV

le créateur et l’œuvre

le bourreau et la dépouille

vous êtes

déconnectés le cordon a été coupé les dégâts étant occasionnés par vous-mêmes ou un tiers : aucune prise en charge n’est possible merci de vous rapprocher de celle qui vous a enfantés pour bénéficier d’un câlin de confort, veuillez noter que le moindre cri pourra être retenu contre vous qui que vous soyez ou ne soyez pas pour rétablir le signal

veuillez procéder à trois séries de vingt génuflexions entrecoupées d’un alléluia

votre connexion a été réinitialisée

veuillez vous excuser pour la gêne occasionnée.

ILLUSIONS D’OPTIQUE

la douleur est une illusion d’optique
la douceur est une illusion d’optique
la dyslexie
est un luxe dans certains cas

se payer la tête du monde est une marque d’affection
qui soulage sans laisser de bleus
y’a pas de maladie honteuse
y’a des maladies qui n’en sont pas

illusions d’optique

corps qui refusent d’avaler
fellations qui échouent sur l’oreiller
les hypersensibles ont mal à des protubérances invisibles
du coup ça compte pas
les dépressifs sont des narcissiques qui ont usé
le miroir du côté grossissant
si ton corps pouvait porter plainte tu terminerais
derrière les barreaux (mais lui aussi
le con)
c’était mieux avant quand les poules avaient des dents
les idées reçues sont détraquées
un truc qui remonte à la surface
un truc rentre-dedans
parfois les coups de pieds au cul font couler

illusions d’optique

le rouge ressemble parfois au vert
le non veut parfois dire oui
mais la réciproque est beaucoup plus vraie
va savoir ce qui se trame
dans les histoires qui parlent de toi mais te regardent pas
droit dans l’aorte
dans tes bottes
même ta propre bobine se débine
quand il s’agit de remonter le fil du temps
de trouver sa place
tu préfères dire « la vie est dégueulasse »
tu préfères dire « excusez-moi »
l’inconscient a le dos large mais pas les épaules
va voir ailleurs si t’y es plus

illusions d’optique

le bruit ressemble parfois au silence
les sourires suintent par-dessus
cela dit on n’est pas en sucre
suffit d’un imperméable
pas besoin d’être souple pour prendre ses jambes à son cou
y’a pas de bonnes raisons
pas de prétextes valables
quand c’est toi-même qui te toises dans le miroir
brise-le, colle ton poing dans ta propre existence
du sang dans le lavabo
des larmes sur les joues d’autrui
un viens vaut mieux que deux tu verras
ce n’est pas ce que tu n’as pas dit
mais la manière dont tu t’es tu

illusions d’optique

les promesses même gravées sur un banc à la pointe du canif
y’a toujours un cul qui finit par s’asseoir dessus
l’émotion est un trompe-l’œil
que le temps fait passer même de travers
ça glisse
ou ça crisse
va croire en quelqu’un d’autre
si toi-même tu sais pas
faire
le bitume dégueule par-dessus la neige qui fond
le chat miaule depuis une heure
et les crocus hésitent
y’a pas de tests de paternité pour la connerie

la vérité est obsolète

l’amour est une illusion d’optique

la mort est une illusion d’optique

la folie

est un luxe d’être humain.

 

Entretien avec Clara Regy

Nous commencerons par une question toute simple à priori, qui sera ainsi posée à tous Les Anges de ce mois de Novembre. Deux questions, en fait...

Depuis quand écrivez-vous, et pourquoi partager « ses » écrits ?

Depuis que j’ai compris que j’avais appris à parler, mais pas à me dire. Ce qui vibre fort, je ne sais pas le verbaliser. L’écriture est une porte pour traduire l’émotion. Pour qu’elle ne prenne pas trop de place. Pour qu’elle continue de circuler. D’où le partage. Parce qu’il y a des mots qui sauvent. Et comme les mots m’ont souvent sauvée, je laisse les miens résonner « au cas où ». On a beau avoir les deux pieds dans une ère où chacun est, plus que jamais, seul face à lui-même : nous faisons partie d’un tout qui a sa propre cohérence et où les questions se répondent, si on tend le cœur.

Vos remarques concernant votre propre écriture semblent tenir à la fois, de la « communication », de l’échange et ainsi que vous le notez « de la quête de soi », comment conjuguez vous ces 2 ressorts à la fois ?
Est-ce aussi le fil conducteur de vos ateliers ?

C’est compliqué de parler de ce qu’on ne connaît pas. Ou alors en surface. L’expérimentation est de mise pour aller au cœur des choses. Cependant, tout ce dont on parle est biaisé d’office par nous-mêmes. Tout ce qui traverse le corps en ressort avec sa patte. Et toutes les pattes qui l’ont touché, avec douceur ou violence, avec toutes les nuances entre les deux. L’idée est donc d’aller en quête de celui / celle que nous sommes pour traduire le message le plus justement possible – dans l’instant du moins. Communication et quête de soi sont donc, en ce sens, inévitablement liées. Dans l’écriture comme dans la vie. Et ce qui importe, c’est le chemin. Qu’on peut choisir ou subir. Les ateliers d’écriture créative sont en quelque sorte une proposition d’accompagnement, tant dans l’exploration de son propre univers que dans l’incitation à sortir de sa zone de confort, en résonance avec la richesse d’un groupe. Depuis le temps que j’anime des ateliers d’écriture (avant de me lancer dans l’aventure de auto-entrepreneuriat, j’ai travaillé pendant dix ans en tant qu’animatrice-coordinatrice), je suis toujours émerveillée à la fin de chaque séance de ce qu’une simple proposition d’écriture à laquelle se frottent différents univers peut engendrer. C’est la plus belle preuve que la somme de nos différences est une force qui nous dépasse individuellement.

Quels sont les auteurs, vivants ou morts, poètes ou non, qui vous « intéressent » voire vous inspirent ?

« Je n’ai pas de genre, que des moments », c’est une phrase qui résonne régulièrement en moi. Il m’est extrêmement difficile de nommer sans préciser l’émotion derrière, de faire des listes qui ne sont jamais exhaustives et risquent de devenir obsolètes. Cela dit, ma bibliothèque ne comporte aucune œuvre complète de qui que ce soit. Je crois que ce sont surtout les petits détails – qu’on dits parfois « sans importance » – qui m’intéressent. Pour les auteurs / poètes en tant que tels : ce sont des mots croisés au hasard d’une revue, de la toile, d’un événement, d’une rencontre, d’un rayon de librairie ou de bibliothèque.. qui me font parfois plonger plus profondément dans un travail. Parfois ça dure un temps. Parfois ça dure dans le temps. Mais j’ai tendance à voir la poésie partout, et des poètes en puissance en chacun : dans les mots ou même dans les attitudes. C’est le quotidien, donc celles et ceux qui le peuplent qui m’inspirent le plus. (je dis souvent, lors de mes ateliers d’écriture, que les contraintes sont faites pour être contournées, que chaque réponse est la bonne puisqu’elle est la nôtre - j’espère que vous partagerez cette réflexion et me pardonnerez cette réponse-esquive :) )

Poésie écrite, poésie orale : est-ce une vraie question pour vous ?

J’ai croisé un jour le chemin d’un sans-abri auprès de qui j’ai eu la chance de passer un bout de nuit sur le parvis d’une mairie. Il y avait un autre garçon avec un accordéon aussi. A un moment, le sans-abri s’est mis à déclamer des mots. Des mots qui coulaient de lui à la manière d’un fleuve dont le barrage vient de céder. Et qui emporte tout sur son passage, le décor de la ville et les costumes de l’auditoire. L’autre garçon a pris son accordéon pour l’accompagner. Une claque poétique. Comme on peut en avoir en lisant. Mais à laquelle il manque une dimension. Celle du collectif qui se rejoint l’espace d’un instant. Comme lors d’un rassemblement de quelque ordre que ce soit où une même énergie circule. J’ai aussi le souvenir plus récent d’un concert d’une harpiste donné dans une église. Dans les pauses de mes rêveries où la voix et la musique m’emportaient : je regardais l’assemblée. Tous avaient les yeux rivés sur l’artiste, les fesses vissées au banc de l’église : pourtant chacun était plongé dans son propre univers façonné par cette émotion partagée. C’était comme si le plafond de l’église – à la manière de la Chapelle Sixtine – se drapait de tous ces horizons emberlificotés. Pour répondre à la question, c’est – je crois – vers ça que je tends profondément : le vivant. Seulement, contrairement au sans-abri, je ne sais pas improviser. J’ai besoin de poser les mots sur le papier en amont. De prendre ce temps avec moi avant de venir au monde avec eux. L’écrit a cela dit l’avantage de la nudité : il n’a pas de voix, pas de visage. Il est invitation à trouver les siens. Écrit et oralité sont complémentaires. Comme ils ont aussi parfaitement chacun leur propre existence.

Et le petit rituel, si vous deviez définir la poésie en 3 mots (pas un de moins, pas un de plus) quels seraient-ils ?

Force. Faille. Nuances.

Myriam OH (Ould-Hamouda) évolue avec le cœur dans les domaines du social et de l’artistique, y trouvant de précieux outils pour planter des graines, qui donneront des plantes et des fruits différents selon le parcours de vie de celui qui les accueille. Poétesse dont le travail s’articule à ce jour autour des thématiques de la communication et de la quête de soi, elle considère l’écriture comme un outil de médiation créatrice et propose des ateliers d’écriture créative nourris par sa double approche sociale et artistique. Comédienne pratiquante, elle travaille en parallèle des projets de spoken word en collaborant avec des artistes issus de différentes disciplines : c’est en donnant vie aux mots par la voix et par le corps qu’elle vibre au plus haut.

  • Calendrier de l’Avent (du monde d’après), recueil de poésie, MaelstrÖm reEvolution, 2021
  • Ce n’est pas ce que tu n’as pas dit, mais la manière dont tu t’es tu, recueil de poésie, Lunatique, 2021
  • Scènes d’intérieur sans vis-à-vis, recueil de poésie, Lunatique, 2021
  • Instantanés, Délits buissonniers, 2017
  • Les lectures audiovisuelles, performance voix/musique/images, 2021

www.myriam-oh.com
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Instagram : oh_myriam


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