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Neuf questions à Pierre Dhainaut par Isabelle Lévesque

dimanche 8 mai 2022, par Cécile Guivarch

Pierre Dhainaut, Préface à la neige
Peintures de Fabrice Rebeyrolle
L’herbe qui tremble, 2022 – 94 pages, 14 €


Isabelle Lévesque et Pierre Dhainaut à Dunkerque

 

Isabelle Lévesque : Tu préviens dans Préface à la neige : « Ne pas interroger les poèmes, c’est à eux de poser toutes les questions. » Mais pouvons-nous interroger les poètes en général, et celui de ce livre en particulier ? Et cette partie du livre, « Des ports, les poèmes », ne contient-elle pas une partie des réponses que pose le poème ?

Pierre Dhainaut : Oui, bien sûr, il faut interroger les poètes comme tu le fais si souvent, généreusement, ils ne doivent pas se dérober aux questions de leurs lecteurs, seraient-elles embarrassantes, à la condition qu’ils évitent la complaisance et qu’ils ne se croient pas les maîtres du jeu : je ne désire ni expliquer ni généraliser.
Je me suis rendu sans a priori vers le poème, j’ai essayé de saisir où il voulait se rendre, selon les rythmes et les tonalités qu’il réclamait, que lui ai-je ajouté de trop, qui n’était que de moi, mon savoir, ma volonté ? Les notes que je regroupe à la fin de mes livres se demandent si j’ai été suffisamment attentif, elles aiguisent mes propres questions, elles se méfient de mes tentatives de réponses. La poésie dont j’ai besoin arrache à l’ordre des certitudes, nous n’en avons que trop, elle refuse les résultats qui figent, elle relance, elle réinvente sans cesse le peut-être... Avec ces notes je me mets à l’épreuve, en prose, c’est-à-dire à l’aide d’un langage qui par principe n’a pas la vivacité de celui du poème : suis-je capable de ne pas laisser s’affaiblir l’extrême tension qu’exigeait l’écriture de la découverte ? Entre deux livres les notes qui savent bien qu’elles sont provisoires sont aussi transitoires. Et les entretiens, Isabelle, le dialogue amical, ont un rôle identique.
Le poème a toujours le premier mot, il n’y en a pas d’ultime.

Isabelle Lévesque : Le titre de ton livre surprend. Tu as écrit un grand nombre de préfaces, tout récemment celle de Pourquoi l’oiseau de Pierre Garnier (L’herbe qui tremble, 2022). Voici donc un livre qui ne serait « que » préface… S’agit-il donc de présenter et recommander la neige, de lui apporter ta caution, de préciser ses intentions, d’en amorcer une interprétation ?

Pierre Dhainaut : Je n’ai pas voulu surprendre. En fait, ce titre s’est imposé de façon naturelle, il s’agit d’un hommage – discret – à l’auteur de Préface à l’amour : tu sais l’importance dans mon histoire de Jean Malrieu, je l’ai rencontré dans ce livre initial. Jean l’avait d’abord intitulé L’Amour, il s’est ravisé à la veille de la publication, choisissant un titre plus modeste ou moins affirmatif, qui d’ailleurs préfigurait le poète qu’il sera beaucoup plus tard dans Le plus pauvre héritier.
À vrai dire, nos livres ne sont-ils pas toujours des préfaces ou des ouvertures ? Ma préface à Pourquoi l’oiseau, Violette Garnier, la fille de Pierre, l’a appelée dans une lettre « ouverture », et j’en ai été touché. Tu mets l’accent sur un paradoxe puisque Préface à la neige, rien ne lui succède, elle est autonome. Alors, à quoi ouvre-t-elle ?
Un livre, s’il est juste, se risque, il avance, il se garde de fixer le mouvement qui le soulève. Il annonce ce qui restera en cours, inachevé, tant que n’a pas été mis à l’œuvre ou, pour mieux dire, à la vie le point final. (J’aimerais, puis-je formuler ce vœu au moins entre parenthèses ? mourir au milieu d’une phrase.) Le livre à mes yeux parfait, le chef d’œuvre, ne se ferme pas, il tend le relais. Il participe en portant des noms d’auteurs qui varient à une animation générale. C’est cela, merveilleusement, le peut-être.
Ce titre, Préface à la neige, n’est guère différent de ceux qui évoquent le commencement, le seuil, le passage. Ils témoignent, dans l’éphémère, d’une constante.
De l’amour à la neige, il n’y a qu’une syllabe qui change, à peine audible, et c’est tant mieux. Avec l’amour comme avec la neige s’invite l’enfant que la blancheur enchantait à son réveil, s’invite le silence où s’engendrent la musique et la poésie. A-t-il vieilli, cet enfant ? Il ne devrait pas avoir peur des nuits blanches.

 

Jean Malrieu et Pierre Dhainaut

 

Isabelle Lévesque : Si la préface est un avant-dire, à la lecture des poèmes, on peut parfois penser à un prélude, comme avant-jouer, quand la neige s’attache à l’enfance, ou à un préambule, comme avant-marcher, quand sont évoqués des déplacements dans le paysage.
Une apparition de la flûte, une présence très forte du mot « silence » et surtout la grande musicalité de ton écriture pourraient faire pencher vers le mot « prélude » qui, en musique, chez Chopin ou Debussy, peut-être une pièce autonome. Pour toi, la musique est-elle plus proche de la parole ou du silence ? Et le poème ?

Pierre Dhainaut : « Prélude », dis-tu, l’emprunt au vocabulaire musical me convient. Plutôt qu’à Bach ou à Franck, je pense en effet à Debussy chez qui il désigne une forme indépendante, et quelques-uns de ses préludes, rappelons-nous, sont dédiés à la mer, au « vent de la plaine » et à « la neige » qui « danse ». Coïncidence heureuse.
Est-ce que je me réfère à une musique particulière en me tenant devant ce que depuis longtemps j’appelle ma table d’écoute ? J’entends les mots, je les entends de plus en plus, je me soucie de leur substance sonore, de leurs capacités à se rapprocher, se heurter, se déchirer, se perdre ou s’unir : les mots et ce que nul dictionnaire ne définit, les intervalles entre des segments de phrases, des vers, des strophes, toutes les ressources propres aux poèmes sont nécessaires, de l’essor à l’éclat, à la dissonance, à la résonance. Pourquoi opposer parole et silence ? La poésie les comprend, les rend solidaires. Sa voix se déploie, elle porte à leur plus grande intensité le murmure, le chant, le cri et le silence encore. Plus la voix est libre, plus les poèmes se concentrent ou s’élargissent, c’est pareil, disant toujours davantage que ce qu’ils sont censés dire, comme la musique.
La musicalité n’a rien d’une imitation, des bruits par exemple. C’est une création. Écrire consiste à me mettre dans un état où je suis au service des mots passionnément, rigoureusement, ils révéleront ce que j’avais envie, en secret souvent, d’exprimer, de communiquer. Accorder aux mots ce privilège, refuser le bavardage distrait, trop de poètes me semblent sourds.
Et bien sûr mon oreille a été formée par la musique. Je garde en mémoire tel ou tel timbre de flûtes orientales, jamais je n’ai su expliciter en quoi elles me fascinent, et sans doute voudrais-je en retrouver l’écho dans la perspective d’un poème. Un roseau ou morceau de bambou creusé et troué, les pouvoirs d’un instrument si simple sont infinis. Nul besoin d’un orchestre. Nul besoin non plus de beaucoup de mots et de beaucoup de pages : modulons notre souffle à travers eux, nous revivrons, nous appartiendrons au monde que nous croyons perdu ou inaccessible.
Je serais ingrat si je ne faisais pas l’éloge d’autres instruments, le violon, le violoncelle, et de la voix dont ils sont proches, l’inépuisable voix.

 

© Fabrice Rebeyrolle
Photographie Denis Durand
pour la Galerie Capazza, Nançay.

 

Isabelle Lévesque : Le livre est composé de trois sections, la première comportant quatre parties de neuf poèmes chacune. Ce 3 et ce 9 sont-il interprétables ?

Pierre Dhainaut : D’avance je ne décide rien. Je peux imaginer une couleur ou une sonorité dominante, non une architecture d’ensemble, elle serait trop rigide. Des poèmes arrivent, dont sur le coup je ne devine pas la destination, ils insistent, ils exigent une suite, ils seront à l’origine d’un nouveau livre. Ce sont eux qui déterminent une certaine durée, une certaine longueur. Dans ce cadre, j’improviserai, je partirai à l’aventure. Les contraintes facilitent la concentration. C’est ainsi que fut écrite Préface à la neige, d’une traite, en 2020, pendant le premier confinement. Le chiffre 3 s’est imposé en cours de route, puis le chiffre 9. Le 3, impair, dynamique, dépasse l’antagonisme pour atteindre l’union. Quant au 9, outre sa signification rituelle de plénitude, il agit à la manière des lettres disséminées à travers un texte, il a une portée secrète, il suggère en outre le renouvellement.

Isabelle Lévesque : Tu places souvent à la fin de tes livres un ensemble de notes ou courts textes en prose qui pourraient entrer dans un art poétique ou, peut-être, un livre de sagesse. Cette fois ces notes forment une sorte d’intermezzo qui colore donc la lecture de la troisième partie. Est-ce parce que tu pensais ces brefs poèmes verticaux aux vers courts très différents de ceux de la première partie ?
Tes poèmes semblent toujours faits pour la voix. Dans cette dernière partie, « Neige sur la neige », on lit :

Un tremble,
un arbre
et davan-
tage
sous la neige.

ou encore :

De voix
en voix,
et toutes
de neige
ou de
neige.

Comment lire ces poèmes avec justesse ? S’agit-il de poésie visuelle ou faut-il détacher les mots comme les vers y invitent ?

Pierre Dhainaut : Par la force des choses, les notes sont rejetées au terme du livre, mais celles-ci refusaient d’apparaître comme une conclusion, elles avaient besoin de « ces brefs poèmes verticaux aux vers très courts » qui leur apportent des points de suspension. Tu connais mes réticences à l’égard du point qui indique avec trop de netteté un arrêt, un terme, une clausule. Je rêve d’un livre qui s’achèverait, ne s’achèverait pas, par un autre signe de ponctuation, les deux points.
« Neige sur la neige », la troisième section, propose des poèmes qui font tout pour éviter de conclure. Ils ne relèvent pas, à proprement parler, de la poésie visuelle chère à Pierre Garnier, mais c’est l’évidence, ils s’adressent aux yeux, ils les convient à s’adapter à leur forme vacillante, furtive. Fréquemment j’ai recours à ce genre d’écriture elliptique qui échappe aux lourdeurs de la syntaxe et aux conventions du rythme, mais tu as raison : comment lire à haute voix des vers disposés ainsi ? La lecture orale qui me paraît indispensable, la plus vivante, ne peut se permettre de s’interrompre au bout d’un vers qui n’a qu’une syllabe. Il convient de suggérer le suspens du son et du sens par de légères hésitations. L’idéal, ce serait que ces petits mots ressemblent à des notes, musicales, identiques à celles des percussions de Bali, qui n’en finissent pas de se détacher une à une et de vibrer ensemble.

Isabelle Lévesque : Les différentes parties du livre adoptent des formes poétiques, mais surtout strophiques, différentes. La forme naît-elle avec le poème ou s’agit-il d’un façonnage pour la constitution du livre ? On trouve en particulier une série de sonnets (sans la régularité des mesures et des rimes). S’agissait-il pour toi de te placer dans une certaine tradition ?

Pierre Dhainaut : En choisissant de temps à autre, une fois par livre, le poème de quatorze vers sans respecter certes le système des rimes ni toujours mettre un intervalle entre les strophes, je ne revendique aucune tradition, même si je reconnais ma dette à l’égard d’un poète rencontré quand j’étais au collège et que j’ai alors beaucoup imité, l’auteur des Regrets. Les restaurations contemporaines du sonnet ne m’intéressent guère. Si une forme me semble utile, je ne vois pas pourquoi, parce qu’elle est ancienne, je la refuserais. Ce terrorisme-là est caduc, je ne milite pour aucune cause.
Quatorze vers – un peu plus, un peu moins –, voilà pour ma respiration une bonne mesure : la trajectoire du poème aura l’espace et le temps qui lui conviennent afin de se développer, il échappera aux dangers de la sécheresse et du flot verbal.
Quelle que soit l’échelle envisagée, le livre entier ou l’une de ses parties, c’est le poème écrit en premier lieu qui dicte le nombre et le type de vers, et je lui fais confiance, il s’est rarement trompé. Comment se fait-il que je me sois toujours comporté ainsi ? Cela, je l’ignore.
Et mieux vaut que les formes soient multiples, elles feront varier les approches, elles feront miroiter différemment les facettes du prisme en train d’apparaître.
‒ Relisant ces pages avant de te les adresser, Isabelle, je m’avise qu’une interprétation est possible, qui expliquerait mon recours aux mètres réguliers et aux formes fixes : je l’ajoute sans corriger ce qui précède.
Une dualité profonde, fondatrice, caractérise tout ce que j’écris, elle m’oblige à me rendre en permanence d’un pôle à un autre, d’un extrême à un autre, à les envisager ensemble : l’oxymore est évidemment la figure principale puisqu’il rapproche les contraires, les rythmes juxtaposent élans et ruptures, les sonorités la grâce et le rauque, etc. Cette fatalité, je la revendique, je refuse les réconciliations stériles, les conclusions. Chaque vers, chaque poème, chaque livre, un même mouvement les anime, de va-et-vient, de vacillement, qui ne peut que susciter le vertige. Paradoxalement la dislocation appelle l’organisation. L’emploi de distiques, tercets ou quatrains et celui d’octosyllabes ou d’alexandrins se justifient ainsi, mais les apparences sont trompeuses. Ces vers et ces strophes qui se conforment aux traditions, le mouvement revient les miner de l’intérieur, les rend instables à leur tour.
Est-ce que je m’égare ? En particulier je me demande si j’avance, si je piétine.

Isabelle Lévesque : Que fais-tu des livres lus ? Les ranges-tu ?
Tu cites Robert Pinget. Les livres nourrissent-ils ton écriture ? Orientent-ils tes rêveries ?

Pierre Dhainaut : La mémoire est riche de nos rencontres, et quand j’écris tout ressuscite. Parfois les lieux qui m’inspirent sont remerciés par des mentions, les personnes par des dédicaces, les livres par des épigraphes. Jeune, j’ai cité les auteurs dont je me sentais redevable. J’ai tenu ensuite à ce que le paratexte soit aussi sobre que possible pour laisser le lecteur libre de s’orienter seul. Ainsi avais-je au début de Préface à la neige choisi de reproduire ces lignes de Cédric Demangeot : « Es-tu de ceux que la neige alourdit ou de ceux qu’elle allège ? » Je les ai supprimées en corrigeant les épreuves, leur justesse n’est pas en cause, mais elles s’adressaient directement au lecteur, ce que pour ma part je ne fais pas. En revanche, j’ai conservé la citation de Robert Pinget, « Tout reprendre pour tout renouveler » : à la dernière page, elle n’influencera personne.
Le hasard a fait, est-ce un hasard vraiment ? que pendant le confinement j’ai relu les carnets de Pinget, Théo ou Le temps neuf (Minuit, 1991), où un vieil écrivain parle à son jeune neveu ; je tiens à recopier cet autre passage que je trouve sublime, qui était de saison : « Redire l’arbre en fleurs au printemps. / Redire lys et framboises. / Redire trois notes du merle. / Tout redire pour qu’une saison nouvelle commande le seul progrès de l’œuvre. / [...] Et pour que les paroles de l’enfant ressuscitent celles des poètes. » Comment mieux dire ? Eh bien, en empruntant une citation de plus à Pinget dans les Taches d’encre (Minuit, 1997) parues quelques mois avant sa mort : « Redire jusqu’à manquer de souffle. / Seule leçon des années de travail. » Seule leçon, parce qu’elle n’a rien d’orgueilleux.
Il y a tellement de livres à la maison que je n’ai plus de bibliothèques rangées, mais les livres de Pinget et de quelques autres poètes sont à la portée de la main, toutes les langues sont représentées, toutes les générations, sans hiérarchie.

 

© Fabrice Rebeyrolle
Photographie Denis Durand
pour la Galerie Capazza, Nançay.

 

Isabelle Lévesque : Tu collabores souvent avec des artistes. Un partie de tes réalisations dans ce domaine ont d’ailleurs donné lieu à un important catalogue, constitué par Sabine Dewulf, lors de leur exposition à Lille (Sabine Dewulf, En regard, à l’écoute – La poésie de Pierre Dhainaut à travers les livres d’artiste – Éditions Invenit, 2021). Quelle est pour toi l’importance de cette collaboration, comme ici avec Fabrice Rebeyrolle ? Et quelle est l’importance du livre comme objet par rapport au poème qui tend vers l’immatériel ?

Pierre Dhainaut : Je n’aurais que trop tendance à ne plus toucher terre, à n’aspirer qu’à ce que tu désignes avec le mot « immatériel ». S’il m’arrive, disons : entre deux portes, d’entendre des fragments de phrases augurales, j’ai besoin pour en connaître la suite d’une feuille de papier sur laquelle, au crayon puis à l’encre, je tracerai en m’appliquant les signes. J’éprouve ainsi la sensation d’une activité concrète. Je serais malheureux, démuni, si mon travail s’effectuait uniquement devant un écran. De même, je dois lire les poèmes dans les livres que je touche, en tournant les pages.
L’activité qui consiste à réaliser des livres ou des manuscrits d’artiste est donc pour moi indispensable. L’exposition de l’an passé, à Lille, en témoigne, des centaines de titres. Mots et images côte à côte se complètent, rivalisent, s’accordent : le poète et le peintre ou le photographe échangent leurs ressources. Ces ouvrages, je les appelle « livres d’échanges » en vue d’une création commune.
Préface à la neige est seulement un livre illustré comme la plupart des livres de poésie que publie L’herbe qui tremble. J’ai choisi dans le catalogue d’une exposition récente de Fabrice Rebeyrolle quelques reproductions qui convenaient parfaitement à mon livre, Fabrice m’a autorisé à m’en servir. Nous nous connaissions, nous avions collaboré, et pourquoi ne pas le rappeler ici ? nous sommes tous les trois, Fabrice, toi et moi, les auteurs de plusieurs livres. La connivence est évidente. Ce que j’aime dans sa peinture, la matière justement, travaillée avec force, densité, intensité, d’où émane une lumière qui est la vie même, dans l’arbre, par exemple, et sur la neige.

 

Isabelle Lévesque, Fabrice Rebeyrolle et Pierre Dhainaut
au Marché de la Poésie, Paris – juin 2019

 

Isabelle Lévesque : Dans un entretien pour Terre à ciel, Fabrice Rebeyrolle, dont les peintures accompagnent Préface à la neige et à qui tu consacres un texte à la fin du volume, répondait à l’une de mes questions : « J’essaie autant que possible que ma peinture soit humaine et garde une sorte de gravité philosophique en lien étroit avec l’émotion ressentie face au monde. Mes tableaux sont simplement cela, ce mélange indissociable. Bachelard souligne que « le peintre change le monde en peinture ». Ce que je ressens se transforme en peinture. »
Le poète peut-il changer, pour son lecteur, le monde en poème ? Ou, au contraire, le poème en monde ?
Plus modestement, peut-être, jusqu’à quel point peut-il être un « baume » ?

Pierre Dhainaut : Voici la neuvième question, celle qui nous permettra de ne pas conclure.
Une œuvre se doit d’être « humaine », dit Fabrice Rebeyrolle, « en lien avec l’émotion ressentie face au monde », la sienne, si riche, est exemplaire, elle envisage la totalité de notre expérience. La naissance, l’enfance, l’amour, la douleur, la mort, chacun a sa propre expérience, plus ou moins limitée, plus ou moins forte : un poète devrait en rendre compte en n’excluant rien, et plus qu’en rendre compte, la transmettre, la transcender, si possible, la transmuer, et puisqu’il n’y a pas de résultats définitifs, recommencer.
Mais l’art emprunte des chemins paradoxaux. Nous ne nous soucions, en apparence, que de la mise au monde du poème, et cependant il s’ouvre et par son langage décanté il nous met en présence du monde. Le poème et le monde ne se confondent pas, ils sont indissociables. L’art nous rend confiance, c’est le « baume » qu’il nous apporte. Nous écoutons si peu la poésie.


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