« Novembre, c’est un nom qui sent la vanille et les feux de brindilles, un poème de fin de saison. »
C’est aussi un livre, paru le 15 novembre 2018 aux éditions d’autre part (où Jean Prod’hom a publié, en 2014, le magnifique Tessons).
Un livre qui longe la vie, la prolonge, quand elle a la mauvaise idée de s’arrêter.
Un livre dont l’auteur se laisse guider par le hasard, où il obéit à son seul flair, et où il trouve ce qu’il cherche. Ou pas. Ou autre chose et qui fera son bonheur. Le nôtre. Car nous aimons comme lui la lecture (Jean-Christophe Bailly, Sebald, Thoreau, Rousseau, Walser). Et cueillir des tessons.
« J’ai ramassé au pied du mur, côté cimetière, un fond de pelle rongé par la rouille. J’avais appris qu’il n’était pas sans danger de vivre sans boîte à trésors, qu’il était imprudent de ne pas aménager un lieu qui rassemble les traces disparates de nos
passages, petit autel portatif qui atteste que tout ne file pas entre nos doigts, brimborions qu’on aligne sur un rebord de fenêtre, bricoles, débris, lubies qu’on dépose sur une commode ou sur les rayons d’une bibliothèque. Ou même dans un
jardin. »
Le livre que Jean Prod’hom a intitulé novembre répond à ce besoin : c’est un espace devenu lieu, par le miracle de la cueillette -de la lecture-, « un lieu qui rassemble les traces disparates de nos passages ». Ce n’est pas le Palais Idéal du Facteur Cheval, ni la Maison Picassiette, mais un « petit autel portatif », une façon de transporter ses pénates, à la manière de Charles-Albert Cingria, un autre Suisse errant, de les installer dans le provisoire, de s’établir dans le précaire.
Car si le tesson appelle la mosaïque, il la redoute aussi. Même quand elle représente un labyrinthe. Ce labyrinthe, loin de nous égarer, n’est « qu’une succession de quarts de tour, un chemin sans impasse ni bifurcation ». Et celui qui rêvait de se
perdre se retrouve « dans l’unique couloir d’une prison ».
Ce labyrinthe (dont il ne reste qu’une moitié) est « entouré de murailles ponctuées de tours et de portes majestueuses. » Quant à la villa (dont il ne subsiste aujourd’hui que des « maisonnettes de haute sécurité »), l’architecture de l’ensemble « se rapprochait étrangement de celle des Établissements pénitentiaires de la plaine de l’Orbe que j’apercevais en contrebas ». « Le régime actuel de détention dans le pénitencier ne devait d’ailleurs que peu différer de celui qui sévissait dans la villa à l’époque romaine. »
Voilà la prose quand elle oublie son étymologie et d’aller « droit devant ». Voilà le poème. Au sens large. L’élargissement dont parle Jean-Christophe Bailly : la dilatation de l’espace, et la libération. Pour les exclus, les mal-nés. Comme le Facteur Cheval ou Picassiette. Jean Prod’hom va glanant. Après les « pique-assiettes », et sans gêner le travail des archéologues. Quand il a mis la main sur un beau tesson, il écrit :
« Ce rescapé ne datait ni de l’âge du bronze ni de celui du fer, mais il constituait un vrai sauve-qui-peut-la-vie. Je l’ai glissé dans ma poche en guise de viatique. »
Mourir, fût-ce à Chantemerle, n’est pas une bonne idée. Même si c’est pour renaître dans les mots de l’ami qui ne vous a pas dit adieu, qui ne saurait pas.
C’est tout un art, et on n’a pas le temps. Pas envie d’apprendre. On préfère longer le plateau de la Birette ou le canal sur un ancien chemin de halage, « restituer aux alentours cette étrangeté qui habite tout lieu ». Peut-être aura-t-on la chance de rencontrer Robert Walser. Ou une pierre qui parle de lui. Qui nous dise combien est
faible et brève et vulnérable notre vie. Et belle, la forêt.
Denis Montebello>