Extraits de Lentement la nuit
Le soir.
La pluie sur le soir.
Le vent, silence comme d’une place vide, battue.
On revoit l’abri, la forêt. On entend de plus loin
la pluie qui tombe. Des yeux clos.
Le regard traverse
encore quelque chose. Le souffle chaud.
La pluie aux vitres. La porte est tout près.
Assieds-toi. J’aime que tu sois là.
Il y a des fruits ouverts sur la table,
les arbres par moments sont de passage.
Nous n’avons plus l’un et l’autre
qu’à attendre, sans nous voir,
que le silence qui couvre tout
sorte de nos bouches,
fatigue la langue.
Ce sera notre façon d’être là,
un silence pour les choses,
quand tout l’espace crie
de ta chaise vide.
Les froissements. L’air est plein de souffles,
insectes qui viennent de naître,
lumière, comme un voile tendu derrière le regard.
Sais-tu ce que nous cherchons,
mains coupées, enfoncées
sous les jours saturés d’ailes ?
Qu’est-ce qui nous retient ?
A présent ce qui dure
nous sépare.
On déplace des os blancs,
les pensées débordent.
Tu as tout déposé.
J’aurais voulu pencher les yeux,
par-dessus quoi ?
Tout autour, la tache s’étend
si lente, sans pouvoir
être suivie des yeux. C’est le jour, déjà.
La nuit.
Il n’y a pas de signe.
Derrière la vitre les yeux ne savent plus
quoi regarder. Le sol ruisselle.
Se recroqueviller dans la mémoire,
son feuillage d’ombres.
Un bruissement continu
noie ta voix. Peu à peu dans l’air brouillé s’éteint
la pluie. Le crépitement.
Quel corps est le tien, maintenant,
au-delà du bruissement d’épines, des tessons
crissant de pas,
du silence, de n’être plus que soi tout autour ?
Nous vieillissons, avant d’être un cœur d’enfant qu’on soulève.
Souvent tu me tiens dans tes bras.
Je ne pèse pas lourd de vie.
L’ombre se décolle, peu à peu
le soir, l’herbe claire pour les pas.
On n’entend plus les aiguilles
la terre est molle,
ni le cri à l’intérieur, d’oiseau tout près
qu’on ne peut nommer.
Quelque chose se pose sous les embruns,
le vent sur nous colle sa bouche.
On marche, à travers ce qui arrive
comme si cela nous était dit.
Le temps se défait
de tes bruits.
La pluie tombe. Sans souvenir
le soir qui vient,
la pluie jetée dans l’eau du soir.
L’étau se desserre,
lentement la nuit.
Petit entretien avec Clara Regy
Pouvez-vous nous raconter vos premiers moments d’écriture ? Avez-vous commencé par la poésie ? Un événement particulier vous y a-t-il conduit ?
Cela remonte à l’enfance. Vers sept ans, je me suis mis à fabriquer mes propres « livres », de petites brochures d’astronomie. J’y écrivais ce que je savais, sous quelques planètes tracées au compas ! J’avais aussi un grand-père féru de lettres et d’histoire. Toute sa vie il a écrit des poèmes, inspirés de ceux de Hugo ou de Musset. Il a beaucoup compté pour moi. Nous nous ressemblions, sur bien des points.
Avez-vous des rituels d’écriture ? Des lieux ? Des objets ? Ou tout ce qui vous mène vers ce besoin, voire cette nécessité d’écrire ?
Pas de rituels, ni de lieu en particulier. Un vers ou quelques mots viennent, comme un fil qu’il s’agit de dérouler, doucement. Le poème naît comme ça. D’un paysage, d’une sensation, de choses simples, élémentaires, de la nature. Cela peut aussi venir de l’état dans lequel m’a plongé une lecture. Ensuite je retravaille, fais lire à quelques proches, essaie de gommer les maladresses qui collent au texte. C’est un ami qui m’a décidé à chercher un éditeur. Nous avons beaucoup retravaillé mon premier manuscrit ensemble. Il s’appelle Antoine Will, et a publié de son côté, en 2009, un petit livre qui vaut le détour, aux éditions Al Dante, Il ne s’est rien passé à Artolsheim.
Quels sont les auteurs (poètes et autres d’ailleurs) qui vous accompagnent ? Avec lesquels vous « vivez » en quelque sorte...
La poésie de Jules Supervielle et celle de Jean Follain m’ont marqué. Follain est encore méconnu, mais il a écrit une poignée de livres merveilleux, comme Des heures ou Tout instant. L’obsession qu’il avait du temps transparaît dans la plupart de ses titres.
Sinon, il y a quelques recueils en particulier : Sphère et Paroi de Guillevic, Une petite fille silencieuse de James Sacré, L’homme qui penche de Thierry Metz (et le petit ensemble Tel que c’est écrit, publié à L’Arrière-pays), Neige de Gérard Bayo ; les livres de Roland Reutenauer (récent Prix Guillevic pour l’ensemble de l’œuvre, dont La rivière le chêne, Biographie des songes, Le voyage en Argovie, tous parus chez Rougerie), un poète important, que j’ai la chance de côtoyer puisqu’il habite près de chez moi, dans l’Alsace dite Bossue. Je citerais aussi Os de Seiche de Montale, Grille de parole de Celan, la Quinzième poésie verticale de Juarroz, les Voix de Porchia (un autre poète argentin), Journal de déportation de Ritsos et puis, publiés chez Unes, deux recueils de l’Irlandais Geoffrey Squires, Sans titre et Poème en trois sections.
D’autres livres m’ont nourri dernièrement, tandis que je travaillais sur les poèmes que vous publiez ici. Ce sont les premiers recueils de Jean-Louis Giovannoni, fraîchement réédités chez Unes (Garder le mort et surtout Les mots sont des vêtements endormis). Description du mensonge, d’Antonio Gamoneda (paru chez José Corti en 2004, mais qui date de 1977), son œuvre phare : l’écriture y est ferme, percutante, allie la densité oraculaire à une exigence de clarté. Enfin, Hier soir, de François Heusbourg, paru chez Æncrages. Le climat que l’écriture y installe peu à peu (réverbéré par les gravures de Robert Groborne) est prenant, à la fois intimiste et oppressant. La maison, les objets jusque-là familiers, échappent. On ignore ce qui s’est passé la veille au soir. D’un petit bloc de prose à l’autre, le langage ripe, bégaie, tout près de son centre : un fait inavouable, une anomalie dans la concrétion des souvenirs. Ce livre m’a impressionné.
« Poésie » en 3 mots ?
Difficile de répondre… Je dirais quand même humilité, honnêteté et sensibilité. Il y a toujours la tentation, il me semble, de vouloir trop en dire en poésie, et que les mots se mettent à porter le sens à bout de bras. On tombe vite dans la surenchère d’images et d’effets. Une autre conséquence limite serait l’hermétisme ou le fragmentaire à l’excès, où chaque mot « accroche », sans parvenir à se faire oublier ni à se raccrocher aux autres. Il faudrait plutôt de la clarté avec la parcimonie. C’est déjà compliqué d’y voir clair, en temps normal, dans ce qu’on vit, il faudrait que les mots obscurcissent le moins possible. Ce qui peut être dit, dans l’idéal, doit travailler de façon limpide à faire sentir ce qui ne peut pas être dit, et qui est l’essentiel. Si donc quelque chose ne peut être dit, ce n’est pas parce que c’est obscur ou complexe (c’est souvent le contraire), mais parce que cela n’est pas de l’ordre des mots. La poésie, dès lors, serait une tentative pour épuiser le langage, une manière d’amener tout au bord. C’est ce qui me plaît et m’a marqué dans les quelques livres que je viens d’évoquer avec vous.
Né à Dijon en 1980, Olivier Vossot réside depuis 2005 en Alsace, où il enseigne les lettres classiques. Quelques textes ont paru dans des revues (Arpa, Voix d’encre). Un premier recueil de poèmes, Personne ne s’éloigne, est publié aux éditions L’échappée belle (2017).