Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

Accueil > Un ange à notre table > Pascal Fauvel

Pascal Fauvel

jeudi 5 octobre 2017, par Cécile Guivarch

Blanc bleu

Neige près de mer bleue
Ecume de ciel
au bord d’un rivage qui rit de vagues
L’air me griffe
de flocons
comme l’ours en fourrure
des banquises
Devant la poudreuse
dentelles étoilées
canevas sur l’œil
mon chemin glisse
se donne au gel de verre des vents
Les pentes brillent pleines
je vais jusqu’au nuage
chercher l’aube de demain.

Impasse

Je me diffuse dans l’espace tourmenté
d’un courant d’air
La traversée éponge la marche
de ses hésitations
Tant de directions ouvertes
où la langue s’étoile
Le pied s’appuie à la fenêtre
du vertige
Il est tard parfois dans le mot
Tant d’enveloppes écrasées
ont usé les signes et leur chef
Et quand l’ombre soudain me vêt
c’est mon rire qui met en morceaux
la minute devant moi
que je n’ai pas pu prendre.

Un peu de nous

A partir des fleurs
nous cueillons du ciel
Ce bleu là trop penché tient mal
dans l’horizon de ta paume
pendant que je mâche un vieux réverbère
J’ai la glotte qui prend l’eau des oreilles
Tu me mords le dos
dans un après-midi que tu n’aimes pas
et tous tes sourires d’un seul coup
s’empilent dans ma peau
Ta chevelure continue mon éparpillement
sur ton visage
Tu me donnes des yeux d’avance
pour ces nuits qu’on ne voit pas venir.

Complicités

L’ombre de l’arbre coule de ma manche
le long de sillons
aiguisés par les vents de mer
Il pleut dans mes yeux
un ciel de vertige bleu
brûlé par la lutte
de couteaux verticaux
Le pré a perdu l’herbe
que les oiseaux venaient poser
dans la nuit des printemps
La rivière plus loin joue de la flûte
Elle parfume le cœur des bois
qui déploient leur force
dans les coups de mon sang
Quelques nuages me tirent l’épaule
je glisse dans des formes
que le temps ne peut pas connaître.


Entretien avec Clara Regy

Si l’on évoque beaucoup l’amour, le noir, la nuit dans vos textes peut-on, alors, dire que vous avez la tête dans les étoiles ? Petits clins d’œil aussi, à « des mots et des toiles »... Voulez-vous nous en parler un peu ?

Des mots des toiles . Il n’y a pas de et sinon l’effet tombe. Cette expression est la formule d’une rencontre entre une artiste peintre Vinca et moi-même. Les toiles de Vinca m’ont appelé. Leur cosmogonie est une sorte de miroir à mon écriture. D’une façon très intense, j’ai dessiné ces peintures de mon langage. Une force m’a poussé à répondre aux couleurs. C’est peut-être parce que Vinca et moi-même avons été imprégnés de l’espace de la Baie du Mt St Michel, y avons vécu notre enfance, tous les deux assez solitaires dans des promenades sans fin, saisis par cette dérive constante des sols, des eaux, des lumières. La Baie émiette les certitudes, modifie les socles et les bornes. La chose aperçue s’enfuit. L’acquis d’une heure s’absente l’heure d’après. Effacement, renouvellement, disparition, apparition, tamis incessant des particules, brassage, concassage, tout se fait et se défait dans le même mouvement. Ces lieux nous posent dans l’éphémère et donnent à voir la fragilité de notre condition. L’imaginaire et les rêveries, qui s’organisent avec le temps, se sont croisés dans la rencontre avec Vinca et dans cette nécessité de restituer ces trésors cachés dans nos manches.
Notre sensibilité s’est mise à dialoguer. Vinca m’a confié que mes mots l’ont aidée à pouvoir parler de sa peinture, à sortir un peu de l’énigme de sa création, finalement à formuler une part de son œuvre.

Ai-je la tête dans les étoiles ?
A l’adolescence, on me disait « Pascal, tu as souvent la tête dans la lune ! » Je me suis repris depuis. Alors oui, probablement, il y a quelque chose comme cela dans le début d’une sensibilité particulière. N’est-ce pas une condition de départ afin d’accueillir les complexités du monde ? La rêverie n’est qu’une tentative de résolution du réel. J’ai autant les pieds sur terre qu’un œil en vigie dans les infinitudes de l’espace qui n’a aucune limite, dans le grand comme dans le minuscule. C’est un creuset indispensable à l’esprit créatif ainsi qu’à l’humilité. D’une simple observation, notre place nous échappe évidemment.

Parmi vos multiples « expressions artistiques » où se situe la poésie ? Vous souvenez-vous de son « commencement » ?

a/ Au cœur ! Il s’agit du même geste entre photos, romans, poèmes, ou objets peints (je fais aussi), ou le jardin. Ce sont toujours des obliques, du guingois, des formes sauvages, rebelles. Ces décalages, ces accidents, projettent le corps dans une exactitude du chaos qui brille ou se met à chanter.

b/ Le commencement est inconscient. Très tôt. Des mots trop petits dans un espace sans limite et un réel carnivore m’ont fait tomber dans le chaudron de cuisson de la question. Je piquais à deux ans des cahiers vierges de mon grand-père et tressais au stylo des spirales entre les lignes. Un seul fil de bout en bout de chaque page sans interruption. Je ne savais ni lire ni écrire des mots. De la buée articulée sur du papier. Un corps d’écriture cherchait sa forme.

Avez-vous des rites d’écriture, des objets, des lieux, des moments « nécessaires » ?

Je connais tout. Des silences des gardes de nuit à l’hôpital au brouhaha de cafés enfumés. Là, j’écris sur la table de ma cuisine pour vous répondre Clara. Je n’aime pas mon bureau/bibliothèque pour créer. J’ai l’impression qu’ils me scrutent tous à travers les pages, celles et ceux qui sont dans les livres. Pas de rituels. Surtout la sensation d’une secousse tellurique, une fibrillation intérieure qui m’annoncent que quelque chose cherche à sortir.

Quels poètes (et autres artistes d’ailleurs) peuplent votre quotidien ?

Oh la la ! Bien du monde ! Entre lectures et rencontres en chair en os (quelle expression !).
Le premier arrimage à la Poésie c’est Guillevic par cette formule « l’eau de l’étang est occupée à garder le temps ». Cela me résumait tout en m’agrandissant. Coup de foudre ! Et puis viennent Eluard, Rimbaud, Baudelaire, pas les moralistes comme Aragon, (Mallarmé pouah !), Ponge trop fort, les contemporains Bernard Noël, Henri Meschonnic, Henri Droguet ( qui a été mon prof de français), Patricia Cotron-Daubigné (j’aimerais lui écrire, si vous avez son mail) et les grands littérateurs comme Gracq, Duras, Haddad et beaucoup d’autres.
Et des peintres Bacon, Chagall, Bosch, Tapiés, Dali, De Staël, Niki de Saint Phalle, Mondrian, Vinca.
Et des architectures, des villes, des fleuves, des paysages, des sites particuliers.
Et Bowie, Hendrix, Pink Floyd, Murat, Bashung, Eric Satie, Wagner, Mahler etc…

Et question finale : définissez la « poésie » en trois mots... Exercice toujours difficile !

Une remarque à cette question. Une définition doit avoir un caractère universel et chacun doit s’y trouver. Pour la Poésie c’est une affaire un peu fichue à l’avance comme pour toute forme d’expression artistique. Je vais donner une formule qui paraît surtout concerner mon approche donc singulière. Je reste lucide que je ne peux pas définir toute la Poésie car déjà la mienne m’échappe puisque chaque poème est une tentative d’attraper qui n’aboutit pas. Trouver une définition c’est comme trouver un centre , c’est réduire un phénomène en prenant une forme de pouvoir en le rationalisant.
Ma réponse : l’homme paysage.


Né le 14 juin 1957.
Publications nombreuses en revues : Poésie 1 : les poètes et la folie, les poètes de Bretagne, les poètes et la violence ; Poésie 2002 n°94 (voix vives) ; N4728 etc.

Recueils :
Oxymoron
La griffe
Jardins d’émeraude
Rond
Les heures nues
chez Marc Rigault
L’œil dans la peau ed L’Harmattan/Poètes des cinq continents
Les surfaces de glace ed L’Harmattan/Poètes des cinq continents/ Espace
expérimental dont un extrait de commentaire pour ce dernier ouvrage de Jean-Marc
DEBENEDETTI ( Poésie 1 n°51) : Fauvel nous présente le corps à la fois comme obstacle et médium, intercesseur entre l’être, c’est à dire ce qu’il est, la manière dont il se perçoit et dont il appréhende sa réalité, et le réel se révélant en surface seulement, à travers sa peau qui constitue son « moi »

Egalement, passionné de photographie et animateur d’atelier d’écriture en Psychiatrie.

Un bleu de poche réalisé en 2011 avec le compositeur et musicien Slawek, objet
sonore et musical. Album de la semaine sur France Bleu Armorique avec une heure de direct le 10/09/2011. Article dans Ouest-France le 3/06/2011. Passage le 16 janvier 2012 à FRANCE INTER l’émission de Serge Le Vaillant : Sous les étoiles exactement.
Un bleu de poche, recueil paru récemment à L’Harmattan.
Bernard NOEL écrivait ceci à propos du travail de l’auteur : « oui, j’aime les associations surprenantes, qui cassent le sens attendu, l’habitude, etc…Et puis surtout la force qui violente le rythme, les images et jusqu’à la lecture. »
D’autres ouvrages en prose ; Le marchand de sable, L’Enfant Arc-en-ciel,
L’Autre-là ( « récit bien tenu, cursif, profondément sincère » Hubert HADDAD), La femme d’écume (en cours d’écriture) sont en attente d’éditeurs.


Bookmark and Share


Réagir | Commenter

spip 3 inside | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 Terre à ciel 2005-2013 | Textes & photos © Tous droits réservés