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Pays, paysage, un aperçu de Monde, genoux couronnés, de Béatrice Bonhomme.

samedi 1er juillet 2023, par Florence Saint Roch

L’autrice de Monde, genoux couronnés (on goûte au passage la puissance suggestive de ce titre porté par les éditions Collodion) a reçu en juin dernier une couronne de plus : celle du prix Mallarmé.
Bien sûr, on ne présente plus (comme on dit) Béatrice Bonhomme. Il s’agit plutôt de la lire : de trouver, dans ce recueil encore (mais on dirait une première fois, parce que si ses ouvrages se suivent, ils ne se ressemblent pas), sa façon toute personnelle de dire l’être au monde - une présence inséparée malgré toutes les questions, un frayage intime et arborescent, une articulation sans cesse rejouée entre particulier et universel.
Bien mieux que je ne saurais le faire, elle décrit et définit ci-dessous sa relation aux mots et sa manière de vivre en poésie.
F. Saint-Roch

Vivre les mots, par B. Bonhomme

Si je reviens sur mon parcours, je sais que je suis poète avant d’être critique littéraire ou professeure. Bien avant, même si tout ensuite va se lier. Comme j’ai désiré les mots en tant que poète et que les mots m’ont permis d’habiter le monde, je suis ensuite devenue une passeuse de mots. La poésie commence très tôt pour moi. Elle ne cesse de m’accompagner, depuis l’enfance. C’est une chanson intérieure qui se poursuit dans ma tête, un rythme et un être au monde. Mon premier poème, je devais avoir 5 ans : « Le soleil, le soleil est à toi » ou encore « Papillon, papillon, bats les soldats de la prairie, papillon, papillon, mon ami ». Cela ne veut pas dire grand-chose mais tout le temps, dans ma vie, il y a ce chant, cette musique des mots.
Le fil déclencheur de mon amour des mots, la première expérience, a été celle de l’apprentissage de la lecture. Ma mère m’a appris à lire dans la colline, au bord d’une petite route. Elle m’asseyait sur ses genoux, et elle me tendait le livre de lecture. De ce premier mot qu’un jour je suis parvenue à déchiffrer sont nées la magie, la possession, l’impression d’avoir à soi le monde entier. Ce mot et de lui la puissance de saisir. C’était comme si j’avais possédé cette matinée éclatante de soleil. À cet âge, je ne fais pas de différence entre les éléments et les mots, le mot « soleil » brille sur la page, le mot « bleu » comprend la mer et le ciel. Ensuite, chaque fois que j’ai approché un texte littéraire, un poème, j’ai éprouvé la même sensation de merveille et j’ai eu envie de transmettre cet éblouissement. C’est ce désir des mots qui marque tout mon cheminement.
Je suis poète, enseignante, chercheuse, revuiste. Pour moi, tout cela est lié. Je suis une passeuse de mots. Je suis éblouie de littérature et de poésie. Les mots sont ma façon d’habiter le monde. Ecrire, c’est une manière d’être en lien avec le monde et dans le partage avec l’autre. Je partage des mots des rythmes et un être au monde, une façon d’habiter le monde, une raison d’être et d’exister. Je pense que le lyrisme et la poésie sont essentiels dans notre société car ils apportent une forme de confiance dans la langue, même si c’est une confiance qui reste critique et lucide, « une langue de poésie qui se justifiât entièrement comme chant » dit Jouve. Il ne s’agit pas d’un chant naïf, il s’agit d’un amour de la langue comme lien à l’autre et au monde, comme possibilité de pensée.
Les mots ne sont pas isolés pour moi, ils font lien vers le monde et vers les images. Ils sont tactiles et visuels. Le lien à la peinture est comme le lien aux mots. J’ai été élevée dans l’odeur de peinture et de térébenthine. Mon père était peintre. Il était comme un artisan, un bricoleur, qui marouflait partout des toiles, utilisait des pigments, de la colle, des pinceaux, des palettes. Les couleurs, comme les mots, c’était de la matière, du matériau, les formes habitaient le monde avec nous. Je ne faisais pas vraiment de différence entre la table de la salle à manger, un livre de lecture et un appentis où poser des pots de couleurs. J’étais parmi la peinture et les mots comme parmi les meubles auxquels on se tient pour apprendre à marcher.
La poésie pour moi justement, c’est le lien retrouvé, le lien tissé dans l’amour ou la mort, le lien à l’autre, le lien au monde. Les motifs du bleu, de la mer et de la lumière des paysages méditerranéens sont tissés, cousus ensemble et apparaissent comme dans une tapisserie, une fresque, un tissage. C’est comme si je tricotais le monde et les mots, une maille à l’endroit, une maille à l’envers, ou que je recousais bord à bord le monde et les mots. La mer et les paysages qui lui sont associés, le bleu et les couleurs du paysage, la lumière et les corps, comme des matériaux de la fresque et de la tapisserie. J’aime bien ce que dit Sartre de son enfance : « Je pris longtemps le langage pour le monde. Exister c’était posséder une appellation contrôlée quelque part sur les tables infinies du verbe, […] Les livres ont été mes oiseaux et mes nids, mes bêtes domestiques, mon étable et ma campagne ». Je pourrais dire la même chose. La différence, c’est que mon enfance a été aussi une enfance en pleine nature et que les mots ne remplaçaient pas le monde. Ils en faisaient partie. Les éléments, les arbres, les fleurs, les animaux, les pierres faisaient partie de ce monde qui était aussi mots et couleurs.
En poésie, il ne s’agit pas de « je » mais de « nous », de quelque chose d’universel. Ce qui est partageable par la poésie, c’est paradoxalement ce qui est le plus singulier, notre émotion, « sans mesure commune », mais qui devient commune par les mots de la poésie. Nous touchons là au paradoxe qui veut qu’entre les humains, le plus incommunicable soit aussi le plus commun et inversement. Il s’agit d’amener l’absolu singulier dans les parages du commun. La poésie semble donc inséparable d’un point de vue individuel et être en même temps d’un lieu commun. Liée à l’intime, elle est pourtant partagée par tous.
Alors s’il y a un parcours, c’est celui de l’amour des mots, de la couleur, de la musique et je suis heureuse de travailler aussi bien avec des peintres qu’avec des compositeurs et des musiciens. Je suis heureuse de pouvoir transmettre cet amour des mots et de la création.

***

Quelques pages extraites de la section « Devenir d’arbre » :

Paysages
En temps feuilleté
En temps suspendu
Arrêté
Ce soleil
Dans le champ arasé de blanc.

Le matin
Coupe le souffle
Et tu reçois tout
En brassée
L’enfance, la mort, le temps
Et les yeux au bord des larmes
Giflés par le bouquet de ciel.

***

Le crissement du gravier gris
Les éclaboussures de lumière
Réunis en liens de paysages et de temps.

L’épaisseur d’un monde
Bruissant de vies de morts
Lames superposées.

***

C’est tous les jours cet émerveillement
De la lumière et des champs blancs.

C’est tous les jours cette morsure au cœur
Du temps et de la mort venus avec le soleil.

***

À chaque moment de vie intense
La blessure d’être la merveille d’être
Et la boule au ventre de ce qui fut.

***

On entre dans la chaleur du paysage
Il vous reçoit, lumière pailletée d’ombre
Dans son temps de plénitude dorée
Dans son instant de paysage.

On entre dans la chaude liqueur du paysage
Il vous reçoit dans son étreinte
Sa présence de miel fondu.

***

On entre dans un devenir d’arbre.

***

Le paysage vous prend par la main
Et mène à l’humilité du regard.


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