éd. Les Lieux-dits, coll. Cahiers du Loup bleu
Pierre Maubé, ETRANGE suivi de Onze kaddishim pour Rose,
éd. Les Lieux-dits, coll. Cahiers du Loup bleu
En poésie il est bon de chanter la vie, le bonheur et son exaltation, tout le reste serait d’un noir nihilisme. D’ailleurs, les éditeurs le savent bien, les lecteurs souhaitent avant tout se réjouir ! Il ne faudrait donc pas lire Etrange de Pierre Maubé. D’autant plus que le sous-titre nous entraîne vers le noir absolu, fut-il lyrique : Onze kaddishim pour Rose.
Il semblerait que nombre de poètes soient prêts à entonner le slogan inventé par les magasins Carrefour, et dont le néologisme fut entériné par l’Académie : « il faut positiver ! » Puisqu’il faut être heureux pour consommer … c’est un falloir, un rigoureux devoir aux accents curieusement puritains, car il exclut tout négatif. Rien de tel chez Pierre Maubé. En treize ( !) poèmes il (dé)qualifie la vie, comme « renouvellement/de la douleur », « courant irrespirable », « nausée, partout et tout le temps ».
« Etrange vie (…) qui me dévore » ajoute-t-il. Puisqu’un désir est à l’œuvre, malgré tout.
(..) le corps se heurte à des parois de brume
trébuche et tombe, chaque fois, chaque fois,
et se relève, pourquoi, il ne sait pas.
J’ai pensé au blues inventé par des esclaves dans les champs de coton. Dire sa peine en la chantant fait s’élever une joie – malgré tout.
Le 27 octobre 2018, sous l’ère Trump, un certain Bowers entre dans la synagogue Tree of life, Pittsburgh, USA, il ouvre le feu en criant « Tous les juifs doivent mourir ! ». Parmi les onze personnes assassinées, Rose Mallinger, 97 ans, pour qui Pierre Maubé a écrit ses onze kaddishim.
Car nous somme semblables, Rose,
Nous avons tous en nous
Le fiévreux désir de vivre
Et la peur rongeuse de la solitude
Un fiévreux désir de vivre, malgré tout. Qui fait du slogan cité, « il faut positiver », une pure obscénité.
Mathias Lair