Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Rémi Froger

vendredi 12 juillet 2024, par Cécile Guivarch

Né en 1956

Auteur de :

  • Poursuites, Tarabuste, 2023
  • planches, P.O.L, 2016
  • quelque chose de lisible, Contre-mur, 2013
  • reliefs, lnk, 2011
  • regarde ça, P.O.L, 2011
  • lignes de dérivation, ed. de l’Attente, 2009
  • des prises de vues, P.O.L, 2008
  • Transferts, Triages / Tarabuste, 2008
  • Routes, repérages, publie.net, 2008
  • Je continue, Passages, 2008
  • chutes, essais, trafics, P.O.L, 2003
  • Échelles, Tarabuste, 2000
  • Rémi Froger peintures et revêtements, Carte blanche, 1999
  • Des fétus, des noms, Cahiers du Confluent, 1983
  • Les Bruits qui meurent, Le Dé bleu, 1980

Extraits de des prises de vue, P.O.L, 2008

11

deux mille kilomètres - je vais à Mesola - mine de rien -
je crois que j’ai envoyé un télex - j’ai mis quelques mots de côté -
est-ce qu’il vous reste de la place, je vous raconterais une histoire
s’il vous reste de la place - que nous étions au printemps, que c’était long,
que cette saison, nous ne pouvons pas le nier, cette saison, nous ne savions pas la poser.
Et la nuit, la nuit je suis sorti - la nuit où je suis sorti à cheval - deux jours -
le système a connu des défaillances chronologiques - l’écran-témoin
l’indique. - S’il vous reste de la place, je pourrais concéder une fable.
Après je poserai bien tout ça dans quelque chose comme un théâtre,
la scène, prenez place - la scène s’efface à l’usage, je vous écoute,
pour entretenir tout ça - quoi, que disiez-vous - je ne me souviens plus du titre -
on distingue des empreintes de pas près de l’évier. Les chaussures sont boueuses.
Je devais aller à Mesola. J’ai gardé quelques mots avant de partir.
Vite écris sur un bout de carton : nous changerons : nous serons meilleurs

20

l’angle se renverse doucement pour le paysage aquatique. Il veut autant
d’eau que de personnes, que l’eau reste en permanence, sans aucune coupure.
Les personnages prennent l’eau. Le bateau essaie de se montrer. Le soleil.
L’île est prise en séries. Nous n’en finirons pas de les accepter telles qu’elles sont.
Des falaises attaquées par les vagues. De hautes falaises qui sont bien adaptées.
On ne regarde l’île que face à la falaise. Ils n’iront pas très loin ainsi.
Mais Anna disparaît. Mais l’île disparaît. Ils marquent les falaises d’un rien.
Ils arrivent sur des plages. Du sable, des galets. Ils arrivent de l’arrière.
Du sommet, on voit un couloir entre les rochers mais personne ne regarde.
Des personnes glissent à droite du cadre. La région disparaît peu à peu.
Le bateau se déplacera probablement. Tous les côtés de l’île sont défaits.
En même temps que la rue s’éloigne nous comptons les immeubles de droite
jusqu’à ce que la vieille route s’enfonce : cela se passe loin derrière nous.
J’imagine que les gens ont cessé de circuler - les passages sont fermés, coupés.
De la terre est promise, de la terre en premier. Les paysages sont déboîtés

Extraits de chutes, essais, trafics, P.O.L, 2003

14

NY NS 2210 tu tiens le monde dans un écran, volonté de voir,
de voir qu’il faut tenir très fort comme sauvé très fort par des pompes à essence,
n’oubliez pas que vous aimez quelqu’un même assis dans le cimetière,
n’oubliez pas, même crachant par terre, même assis en boule -
même un mot pour les murs les poteaux les bornes - souvenez-vous que vous aimez quelqu’un
comme celle qui saurait ce qui est, ce qui monte, comme la route est hors
de la circulation, comme le monde est hors du monde, trois croix sur les lieux
de l’accident à un kilomètre peut-être d’un habitat désossé, palmiers et crasse,
encore un mot, les nuages suspendus, cette petite dame aux yeux, levés, son nom, levé

26

il voulait savoir, et c’est ainsi que ça commence. C’est ici que ça commence.
C’est une belle place, vraiment, une belle place, ombragée. Des tilleuls. Mais c’est trop,
une vieille place aux tilleuls. On s’accommode progressivement - on s’accommode.
Il reste rarement un endroit où ranger la poussière. Je vais de mieux en mieux.
Aujourd’hui je vais rarement dans ces endroits. Je vais ranger mon matériel.
C’est ainsi que tout a commencé : il traversait une vieille place. Je dis vieille
sans aucune preuve - il pose des murs, des façades, il se fait au moins un siècle.
Il répond en coloriant. Il revend. Il vient rarement dans cet endroit.
C’est de la compagnie. La compagnie est de côté. Le matériel est bien rangé

Extraits de regarde ça, P.O.L, 2011

55

le terrain de sport brûlant de goudron – le déroulement sans équilibre
deux ou trois hommes et femmes devenant étrangers à gauche du terrain
je note les différentes espèces de plantes – je ne sais pas où sont passés les chiens
des voitures qui semblent abandonnées – un camion benne à l’horizon
je garde une certaine curiosité – des antennes se sont déployées là-bas
trois jours que je n’étais pas venu – le camion arrive parmi les antennes fixes
le visage de la femme le visage aux traits d’oiseau le livre des noms des plantes

65

ce sont des phrases rares qui attendent depuis dix ans l’automne
en écoutant Monteverdi tu es la même lamentation la même sonorité
la douleur pour passer vers un autre temps pour se présenter autrement
le chœur a la bouche cousue depuis que les siècles sont en terre
la lumière tout le monde la voit mais toi tu sais son nom furieux
rompre ce rythme - rompre les configurations automatiques
ce sont des phrases rares - d’autres phrases s’y ajoutent et s’encordent

Extrait de lignes de dérivations, Editions de l’Attente, 2009

10

nous écouterons la chanson qui passe en continu en mangeant
des grappes de raisin noir – la chanson qui se tasse ou qui rampe –
les leurres lancés dans les nuages – une trajectoire sous ton oreille -
je recouvre l’appareil d’une bâche en plastique noir pour ne plus
voir claquer les soudures - les membranes - pour sortir de l’ère
de la chanson inutile - les casiers sur les camions grelottent -
toutes les cinq secondes le sommeil essaie de gagner une manche

Extraits de poursuites, Tarabuste, 2023

*

trois mètres carrés
le toit percé
une pièce carrée
à ras de terre
quatre poteaux
un bardeau manque
trois mètres carrés
quatre poteaux
une pièce tassée
à ras de terre
un bardeau manque
un trou dans le toit
manque un poteau
quatre mètres cassés
la porte carrée
et la fenêtre
à ras la terre

*

elle cueillait des fruits verts, citrons, olives, le bras tendu,
le ciel dégagé - le bras tendu dans le ciel dégagé.
Une pause dans la fuite, une pause dans la course -
il ne se souvient plus bien sinon du visage
encadré par le bras replié et la branche pendante -
sous le ciel - le ressac du ciel dans la poussière - l’écume
du chemin entre deux murets très bas durant le soleil.

La bouche très basse, la chemise aux bandes roses -
tout près des feuilles la bouche avale l’air et l’air -
un été - une tempête dans l’été s’échappe du profil -
tourmente en plein midi le profil messager.
Rien ne finira ici - agenouillée sous le pont
elle guette le filet d’eau - l’été terrible de profil -
l’été aux fruits pendus à l’arbre - l’été à la bouche, aux fruits

Extraits de planches, P.O.L, 2016

I, 6

je ne peux rien faire d’autre, je parle de la matière, j’apprends les verbes,
le verbe jusqu’à ce creux, le verbe du sommet, le verbe dans une boîte,
le verbe n’arrache rien, j’écris sur les côtés. L’enfant bloque les images,
la résolution est découpée en bandes sur un terrain microscopique,
ma langue est bloquée. Nulle part. Je tiens dans cette formule.

Au bout de la caméra coursive obscure, la silhouette déplie
les bras, courbes tangentes, je n’identifie pas les arbres, les gris,
dilatation, les losanges érigent le haut du buste, l’arc d’un cheveu
érige la peau, je reprends bleu, buste, mer, cou et joues, gemmes.
Je parle des yeux dans la solution, palombes pommes montagnes

III, 6

brouillard vite au cadre - la vie des boucles - s’inscrit page à temps.
Le monde est remplacé par la planche à telle couleur. Un tas d’objets.
Le verbe dans la phrase agit par monde de peau, des noms arrivent de partout,
le verbe suivre enregistre des liaisons, l’ensemble des phrases glisse,
tu voulais dire quelque chose où les phrases ne pourraient s’achever.

Il cherchait la couleur en même temps. Je ne sais pas encore quelle durée.
Le soleil et la troisième personne, l’eau et le nom de la terre.
Peut-être que tu marchais. Un sentier devant du bleu. Il est en trop,
il s’efface, il copie les empreintes. Un noyau balancé par l’œil au soleil.
Ce n’est plus qu’une autre limite. Fondre, voici de l’avenir

VII, 7

léger signe vers les autres lieux, des silhouettes derrière les rideaux,
des rivages fermés de silences de fumée. Une forme rectangulaire
sans signification, la dernière bribe de lueur s’y accroche sans raison.
Vers les autres lieux marqués d’un rien, vides répétitions, des trains,
il attendait le commencement de la partie, n’en savait pas davantage,
ne savait pas qu’il n’y aurait jamais rien d’autre. Pousser les pierres
jusqu’à dix pour faire un nombre, le don d’un nombre aux pierres,
d’un visage aux fentes des pierres, donner d’un nom du sang aux songes,
des branches mortes tombées à terre noires déjà, des fractions du ciel
au-delà de la fenêtre ouverte, le bruit n’a pas faibli, le spectre de la lumière


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