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Résider - Un échange poétique entre Clara Regy et Lou Sarabadzic

jeudi 1er juillet 2021, par Cécile Guivarch

LS : Qu’est-ce que vous voulez, on ne peut pas arriver dans une Villa Beauséjour sans savoir que tôt ou tard, on en repartira : la réponse est dans la question, même si la question, elle, n’est pas là. La question est dans le nom comme elle est toujours dans chaque nom, dans chaque non oui mais pourquoi / parce que / et pourquoi / pourquoi pas.
Qu’est-ce que vous     on ne peut pas arriver dans une vie sans savoir que les nuits / sans savoir que l’après / sans savoir que tôt ou tard / et bien si.
Qu’est-ce          on appelle ça une résidence mais ça pourrait s’appeler autrement, est-ce que résider c’est déjà habiter pas toujours mais alors quoi, ça peut bien être dans l’interstice ce qui d’habitude ne s’exprime pas et puis franchement ça peut-être tout – on a dit tout – ce que vous voulez, basta !

CR : Je compte et décompte les jours, les nuits aussi comme toi.
Ne suis toujours pas habituée à la mesure de mon appartement.
Je sais qu’il est d’angles droits, mais de courbes ; je voudrais croire.
Il ne fut pas le séjour de mes aïeux, appartient à ma descendance, la cave est vide
comme une place sans pas : c’est triste et c’est beau. Pas de grenier, pas de grain, pas de lieu de conservation.
Je vis surtout derrière la grande fenêtre, la lumière me guide et me réjouit, on se parle parfois.
Les livres tiennent les murs ou l’inverse. Les « à l’envers » me plaisent vraiment.Le ciel, sur la tête de l’immeuble est généreux et se partage pour couvrir aussi des humains, des
animaux que je ne connais pas.
Et ici, c’est chez moi. Près de la gare, départs et arrivées, tout le temps, pour de vrai !

 

 
 
 

 
 

 
 
 

 
 
 

 
 

 
 
 

J’aime que ton immeuble ait toute sa tête et qu’il soit sous la poussée de ton élan
rentré dans la mienne. Invitée passée future j’ai voulu monter par ta fenêtre
jusqu’au grenier qui n’existait pas, puis redescendre tourner lentement les pages des
murs.
Qu’est-ce que ce serait, être à la mesure d’un chez soi ? Je me dis tout le temps en
quittant quelque part que j’aurais dû l’habiter différemment.         J’ai beau avoir vécu ses jours je me     dis est-ce que j’ai vraiment donné à cette fissure toute sa place, ai-je suffisamment parcouru le plafond ? Et puis rien du monde ne dit combien de mois il faut pour connaître un tiroir.
Là où tu es, que te dit la lumière quand vous vous parlez ?

Elle - cela peut-être l’ombre aussi - dit que ce n’est pas grave, que rien n’est grave.
Parfois je me demande ce qu’elle veut dire et ne sais quoi répondre. Parfois, rien.
Une mésange bleue vient picorer la boule de nourriture sur le garde-fou de la fenêtre.
Et c’est la possibilité de sa chute qui m’inquiète. Mais elle ne tombe pas, pas folle
l’enfant. Elle part en chantant, c’est si beau son petit vol. Où dort-elle ? Avec qui ?
Pourquoi je dis « elle » ?
Un bocal vide a vécu dans ma bassine bleue cette nuit, il invitera mes céréales. Il
sera propre, accueillant, poli, dira « bonjour mesdames ». Les céréales y attendront
l’instant de mon ventre : une autre maison qui bouge, bouge.
Et toi, tu t’en vas aujourd’hui, tu prendras deux maisons qui bougent, trois même avec le métro.
Départs et arrivées, mais jamais tout à fait comme avant. Mais avant quoi ?

 

 
 
 
 

 
 

 
 
 

 
 
 

 
 

Les maisons les mésanges et pas un mensonge dans le bol du matin. J’ai pris une tasse derrière la porte au-dessus de l’évier, tu ne le croiras peut-être pas à la vitesse où l’on va mais rien n’avait bougé. C’est normal me diras-tu, avant ça n’existe pas.
    Comme beaucoup d’enfants j’ai longtemps cru qu’il existait un calendrier de l’après
    Comme beaucoup d’enfants j’ai longtemps cru
Recommencé à bosser de chez moi    bosser jour déjà nuit dehors l’herbe ronfle à moins que ce ne soit mon ordinateur, à moins que ce ne soit la fatigue que j’ai mise dans un lit dans un train dans un avion un autre lit    tu dis « elle » et chez toi tout est bleu aujourd’hui dehors c’était chez toi alors et le soleil soupirait sur les draps    Comme quoi même par précaution on ne peut pas respirer uniquement de l’air expiré par soi

Pourquoi je pense alors à la maison des taupes dans les jardins, ces petites bosses où elles cachent leurs draps de terre et comment elles respirent...Je n’ai jamais vu de ventre de taupe se soulever, j’ai beau réfléchir non vraiment. C’est curieux comme tes mots projettent des images et c’est bien… Des images apaisantes-pas peur de mourir dans la terre- étaler mes orteils comme des petites pattes, animale et joyeuse. Aujourd’hui dans la salle lumineuse d’une bibliothèque de lycée, nous avons parlé, la jeune fille inquiète et moi, parlé de L’Etranger. Elle m’a dit « il est fou comme moi ». Il ne sait pas ce qu’il faut faire… Je me demande ce que j’ai su lui dire, elle a souri, un peu engourdie dans ce qui ferme parfois comme une porte dans sa tête. Elle a souri et c’était bien, même si je n’y suis pas pour grand-chose. Souri.

 

 
 
 
 

 
 

 
 
 
 
 
 

 
 

 
 
 

Pas pour grand-chose ? Ce galet tu l’as lancé, il est venu jusqu’à moi sans s’arrêter à la porte fermée car j’ai eu un sourire-ricochet.
Force du contact à distance, la main a tenu > a donné l’élan > n’est plus là > libérée la phrase de cette lycéenne me touche, ouvre tout.
(Pensé aussi qu’une fois de plus, la formule est trop tentante, c’est L’Étranger qui nous ramène à nous-même.)

De formule contre les inquiétudes je n’en ai pas,           j’ai beau creuser des trous dans ma tête,
pas plus que d’humidificateur d’air pour les taupes      heureusement apparemment pas besoin
je n’arrête pas de toucher la terre il faut qu’elle soit      sèche avant d’arroser et certains bouts
ne sèchent pas en ouvrant les emails aujourd’hui         je n’aurais pas pensé devenir taupe
maintenant j’en suis ravie, comme quoi on ne sait      jamais ce qu’on veut ni où est le caillou

Ton chemin « jardin à la française » tout droit, le petit Poucet, pas besoin de cailloux, miettes pour s’y retrouver. La lumière tout au fond comme un phare qui est une maison « et beaucoup davantage »... Vivre dans un phare, un mirador, une tour qui s’écroule un jour.
Boum ça tombe. Peut-on s’écrouler lorsque l’on rampe ? Je te le demande, c’est une vraie question. Hier, cadeau : collier de berniques sur un fil de coton. Pas une vilaine blague, mais un clin d’œil affectueux de jeunes filles du lycée, les prénoms au feutre noir écrits dessus...
Pour ne pas les oublier !    On a ri bien sûr. Pendant -quelques secondes- j’ai porté des petites maisons autour de mon cou.
Patelles, chapeaux chinois, berniques tous ces mots et avant, leurs petits corps dans
la coquille.
De la vie quoi ! Alors on a mangé des carambars caramel !

 

 

Bordélique comme je suis j’arrive encore à faire des jardins à la française depuis les terres du milieu de l’Angleterre. Les pieds pris dans des bordures bien marquées on me demande encore régulièrement à bout de sourire : « so when are you going home ? »
Tu me le demandes. Je crois bien que quand on rampe on peut s’écrouler, oui. Si on ne peut empêcher la chute, alors peut-être au moins pouvoir choisir la matière de son sol ? J’y pensais il y a quelques jours prenant l’air, alors que je retirais de gros cailloux de la terre meuble pour que des vies rampantes s’y écoulent.
Dis, quelle musique fait ton collier cadeau quand tu bouges ? Est-ce qu’on y entend la mer, et votre rire d’hier ? Pas de coquilles ici, je n’entends rien. Trop loin des vagues sur une île, fallait le faire ! Alors je prends le son à ton cou.

Le son est parti dans le mur, il voulait dormir tout contre l’arbre sous l’arche du
pont, tu vois ma photo n’est pas un mensonge. Mais elle ne bouge pas, pas comme
les tiennes, sauf si je la prends dans ma main. Tenir un arbre dans sa main, voilà
une jolie phrase, mais, je n’aime pas beaucoup les jolies phrases !
À la hauteur de mon regard des petites feuilles toutes tendres, papotent, la pluie
les a fortifiées : depuis quelques jours, elles brillent plus fort. Et c’est bien, la pluie.
Je suis retournée dans ta résidence, jeudi, tu n’étais pas là, avec ta voix grave et
tous tes projets, mais il y avait un peu de toi sur l’étagère et Zweig m’a parlé aussi.
Le chat dort en P LS, ça le rassure sans doute, il a le vertige parfois... C’est un drôle
de chat !
Et toi ?

 

 
 
 
 

 
 

 
 
 
 
 
 

 
 

 
 
 

Oui, moi aussi je suis un drôle de chat. J’adore dormir, je pourrais dormir tout le temps, mais plutôt recroquevillée qu’étalée. J’ai le vertige, aussi, mais peut-être pas un vertige félin, un truc nettement moins gracieux. Il me faut des surfaces de partout pour mesurer la gravité, lester mon sommeil, d’ailleurs je dors souvent avec une couverture (un manteau, une étole, …) sur la tête. Idéalement rien ne dépasse et si je pouvais je ne bougerais même pas. Dans le train c’est souvent qu’on me prend pour une pile de vêtements. En partant de Rennes fin mai j’avais encore une fois dormi cachée.

C’est quand même fulgurant. La pluie, oui, et la notion de présence. Suis émue que tu sois repassée à la Villa Beauséjour. Que ce soit un lieu que je connais dans un présent que je ne connais pas.

Aujourd’hui ma bouilloire a ronronné beaucoup, et j’ai fait ce que je sais faire de mieux : rester la caresser à l’intérieur en pensant à tout ça.

Merci à toi, chat - en PLS -, (si, si), toi qui attends « comme beaucoup d’enfants le
calendrier de l’après » te dire que nous avons, un peu, écrit le nôtre après Beauséjour en glissant nos mots et leurs espaces dans ces tubulures magiques.
Du grenier à la mésange, du précis de respiration de la taupe, des trous dans la tête,
des miradors aux cailloux, nous avons déposé dans un espace défini ou pas, des
moments d’existence...
Les kilomètres, la mer, nous séparent, les années aussi, mais je te promets de
chercher une bernique sur une grande et belle plage de Bretagne, en m’appliquant
j’écrirai « LOU » sur la coquille avec un joli feutre indélébile, et hop une mouette rieuse l’emportera.
Mais il est fort possible qu’elle n’ait pas envie de jouer les pigeons voyageurs, c’est pas grave, c’est l’intention qui compte. N’est-ce pas !
Et toi tu feras quoi ?

Ce texte a été écrit directement sur écran, par échange d’emails, de mai à juillet 2021, à la suite d’une rencontre et de cigarettes partagées sur les marches de la Villa Beauséjour, à la Maison de la Poésie de Rennes. Lou Sarabadzic était alors en résidence, et a proposé de réfléchir à deux (et donc forcément à bien plus que ça déjà) à l’idée de « résider », à la notion même de « lieu de résidence ». Prendre ces idées comme point de départ.

Pour la transparence du processus, ces textes ont été écrits dans l’ordre où ils apparaissent ici, et n’ont pas été modifiés ensuite. Parce qu’il est difficile de retoucher une lettre déjà envoyée, non ?

Les images sont des superpositions de photos créées précisément pour ce texte : l’une par Clara Regy, l’autre par Lou Sarabadzic. Parce que quitte à mêler les imaginaires, autant y aller à fond. Cependant, les autrices se sont laissées la liberté de mélanger les temporalités, et de ne pas s’en tenir à la chronologie réelle comme elles l’ont fait pour la partie textuelle, c’est-à-dire par exemple de prendre une photo du début de l’échange et de la fantômiser sur une photo de fin. En gros, les
autrices ont fait un peu ce qui les arrangeait


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