Bien plus qu’un recueil collectant nombre d’hommages au poète disparu, la Polyphonie pour Antoine Emaz est une œuvre de fidélité et d’amitié : un numéro non seulement hors-série, mais aussi « exceptionnel », ainsi l’énonce l’avant-propos. N 47 a en effet cessé son activité depuis quelques années déjà, et pourtant, cette nécessité s’est imposée : former une nouvelle fois l’équipe placée sous la direction de Ch. Vogels, reprendre du service pour saluer celui qui fut longtemps membre de son comité de lecture et de rédaction. Exceptionnel, ce numéro l’est également par la diversité des contributions qui le constituent. Conformément à « l’esprit » que la revue a toujours revendiqué, nous voyons s’y déplier un « éventail ouvert et varié » de la poésie actuelle. Nous y mesurons ce qu’une ligne éditoriale, dans ses valeurs essentielles, emprunte à une ligne de vie : l’ouverture à l’autre, l’accueil des différences, la découverte de la nouveauté – de ces dispositions généreuses qui président, par exemple, à la façon de vivre l’amitié, et auxquelles, naturellement, Antoine Emaz souscrivait. Ne reconnaît-on pas la richesse d’une personne, son amplitude, sa qualité d’être, à l’étendue autant qu’à la constance de ses amitiés ? Cette Polyphonie nous en dit long sur celles qu’Antoine Emaz a pu nouer, sur les échos, les résonances qu’il a pu trouver ou susciter, sur la variété des voix avec lesquelles il a tissé la sienne.
Cette anthologie rassemble donc 39 contributions émanant de femmes et d’hommes d’âges et d’horizons très divers ; ponctuant ces textes, sept extraits puisés dans des recueils de poèmes ou de notes d’Antoine Emaz (Cambouis ; Lichen encore ; Limite ; Planche ; De l’air ; Lichen, lichen ; Double bleu), deux textes réflexifs inédits, avec l’émouvante surprise de leur version manuscrite – cette graphie claire et régulière qui prend soin de son destinataire et toujours s’applique à poser les mots justes. On trouve également trois photos d’Antoine Emaz (prises par M. Durigneux, sachant que dans l’un des manuscrits en regard, justement, le poète s’interroge sur l’écart entre ce qu’ « enregistre » l’appareil et ce qu’a « retenu » le photographe) et trois interventions d’artistes avec lesquels il a travaillé à plusieurs reprises : M. Alloy, J.-M. Marchetti et G. Titus-Carmel.
Soit donc un ensemble très équilibré, très cohérent et très vibrant, qui articule en permanence ces deux valeurs qu’on sait fondamentales pour Antoine Emaz : la création et la relation. Comme souvent dans une anthologie, les contributeurs apparaissent dans l’ordre alphabétique (hélas, brièveté de l’exercice exige, je ne pourrai pas tous les nommer ici), cela dit, de l’un à l’autre, entre les uns et les autres, des orientations se dessinent et se croisent, même si beaucoup évidemment ne sauraient se laisser enfermer dans une perspective unique. Certains écrits proposés évoquent des temps partagés avec Antoine Emaz, des temps forts, assurément, qui montrent combien il développait une présence intense au monde et aux autres – écrits que j’appellerais les textes de l’expérience (on y trouvera par exemple ceux de L. Degroote, M. de Quatrebarbes, Ph. Longchamp, J. Sacré, Ch. Vogels et de votre servante), et qui établissent un focus sur des moments privilégiés ; on découvre également des textes-portraits (J. Josse, B. Bretonnière, que prolongent les portraits photographiques de M. Durigneux), des poèmes-échos qui font vibrer les mots d’Antoine Emaz, et ceux-là sont majoritaires (C. Guivarch, E. Rougé, A. Dandeville, A. Girard-Daudon, R. Checchetto, J.-L. Bergère, J.-P. Courtois, A. Bertot, A. Gellé, ou encore les poèmes en regard de M. Eck et C. Forget), autant de propositions où il s’agit, comme l’énonce J. Sacré, de « marcher dans tes livres Antoine Emaz » ; et enfin, des textes de la postérité signés J.-L. Giovanonni ou J.-P. Dubost, pour ne citer qu’eux.
Ce titre, Polyphonie pour Antoine Emaz, est, nous le vérifions à la lecture, particulièrement heureux. L’ensemble est agile et concertant, harmonise des voix multiples, des tessitures à chaque fois spécifiques ; il rend hommage à un homme autant qu’à un poète, célèbre la vie qui a été et celle qui continue, et on apprécie qu’il soit dédié à la proche famille, femme, enfants et petit-fils du poète : il s’agit bien d’une anthologie du cœur, qui permet, ainsi le formule S. Ritman, de nous « réchauffer » aux mots d’Antoine Emaz. Et puis, comme ce dernier le voulait pour nous tous, de nous appliquer à creuser les nôtres, si ce n’est à en inventer de nouveaux.
La revue est vendue 20€ (port compris) à l’adresse suivante :
Revue N47
Madame Annick Dandeville
29 rue du Quinconce
49100 ANGERS