Entretien avec Guylaine Monnier par Cécile Guivarch
Bonjour chère Guylaine, la revue Radical(e) vient de sortir son 3ème numéro à l’automne 2021. Une revue qui fait belle part à l’originalité car vous procédez en deux phases. D’abord une version noir et blanc de votre tract-revue (brut) et plié puis une version Open Art, augmentée plastiquement par chaque autrice. Alors je compte sur vous pour nous raconter comment est née cette idée de revue et pourquoi avoir opté pour ce format ?
Amélie Guyot et moi-même nous sommes retrouvées en tant que poètes lors d’une publication de Nicolas Vermeulin. Nous l’avons prolongée et personnalisée.
Nous partageons une même préoccupation formelle, voire plastique, dans nos pratiques d’écriture. Il faut dire que nous venons du milieu de l’art, moi en tant que commissaire d’exposition, et Amélie ayant travaillé dans des galeries. C’est ainsi qu’est née la nécessité de proposer en contrepoint du format imprimé de la revue, une version Open Art. Aussi chaque autrice dispose librement d’exemplaires, matière pour créer de nouvelles propositions plastiques (dessin, caviardage, collage, etc.) Nous constituons par ailleurs une collection que nous projetons d’exposer.
Cette seconde phase est un temps de (ré)appropriation de l’objet par ses acteurs, cette démarche est militante, et un retour sur création du littéraire qui l’a précédé.
RADICAL(E) est finalement telle qu’elle a été initiée. Je ne connaissais pas Amélie auparavant, l’idée de la revue a donc été suscitée du collectif et, en outre, s’est faite acte, geste, avant idéation.
Version pliée (Radical)ière
La dimension du collectif s’est vue être au cœur du projet dès son initiative et ne pouvait être secondaire par la suite. De la même manière, en tant que poètes (souvent publiées en revue), nous avions à cœur de trouver des réponses, même approximatives, mêmes anecdotiques, à nos propres expériences, par occasion frustrantes. À commencer par l’attention que l’on porte aux personnes et aux choses. S’est posée, par exemple, la question d’une rémunération, impossible avec un tarif de 5 €, nous ne visions pas le profit, seuls le partage et la poésie nous motivent. C’est pourquoi les autrices vendent directement les exemplaires Open Art qu’elles créent, à leur manière et à leurs conditions (une fois le lancement passé). Si l’aspect financier est anecdotique ici, reste qu’il est envisagé. Je trouve cette préoccupation d’autant plus importante pour la femme poète qui va consacrer du temps « à son art », l’inscrire sur la durée, se l’autorisant socialement, aux côtés d’autres rôles attendus comme prioritaires. Au regard de la société, toute rémunération ramène la pratique au-devant qui devient travail et se justifie. Personnellement j’ai longtemps culpabilisé du temps et de l’énergie que je pouvais consacrer à l’écriture.
Couverture (Radical)ette - automne 2021
Vous vous êtes donc appuyées sur le concept du livre pauvre pour imaginer votre revue. Peut-être pourriez-vous nous révéler en quoi pour vous la poésie, les mots, et l’art plastique, l’objet visuel sont intimement liés ?
RADICAL(E) s’appuie sur le « livre pauvre », diffusé hors circuit commercial, mêlant texte et dessin, la rencontre de leurs auteurs (à propos du livre pauvre Leuwers parle de création en escorte) ; le tract, militant et à faire circuler (poésie pour tous) ; puis l’affiche, publique, à exposer ou placarder (lors de performances par exemple). Au-delà de l’héritage historique et de la fonction, ces formats sont intéressants à investir formellement. Je suis par ailleurs adepte de la contrainte dans l’art, qu’il s’agisse du cadre logique d’un système mis en place, ou du canal sensible qu’ouvre une technique plasticienne.
Notre critère éditorial premier sera toujours l’exigence de l’écriture. Nous sommes attentives à la poésie et à la prose poétique contemporaine. Le travail sur la langue est au cœur de notre projet, dans sa fonction de matériau, que le geste assigne. La démarche est proche de la fabrique, corps impliqués, donc des arts plastiques.
Ensuite, nous serons curieuses de toute pratique artistique (je rêve de rencontrer une poète-origamiste), car nous savons que l’étape Open Art ouvrira ici une réelle recherche en regard de la poésie. Cela dit, nous avons été témoins de jaillissements de la part d’autrices non-praticiennes, l’expérience étant d’autant plus réjouissante qu’elle ouvre alors une réflexion nouvelle sur comment réinvestir, compléter, ou augmenter le littéraire. Tout cela est très ludique. Il y a dans le geste même quelque chose de spontané et naïf qui me touche beaucoup. C’est une forme de générosité, qui commence par la lecture attentive des autres textes, avec la nécessité de considérer l’ensemble dans son unité. Nous sommes bien dans le collectif. Je participe parfois à la phase Open Art et c’est toujours un joli moment, créer des ponts entre les textes, autour, recomposer avec, fabriquer à la main, souvent pour une personne identifiée qui passe commande, ce qui est assez particulier en termes d’adresse. Lors du Marché de la poésie, les autrices ont créé la version Open Art en direct et en public. C’est une forme de partage supplémentaire que le concept de la revue permet.
Participer à RADICAL(E) convoque tous les sens, et ça c’est radical !
Version Open Art Anne-Marie Zucchelli
Depuis le printemps 2020, il y a eu (Radical)ée, (Radical)ière, (Radical)ette... Quel sera le prochain ? Toujours au féminin il me semble. Vous pouvez nous en toucher quelques mots ? (aussi bien sur le prochain numéro que sur le pourquoi du toujours au féminin !)
RADICAL(E) est une revue au féminin. Nous avons choisi de publier des autrices pour donner à entendre une polyphonie de femmes. La sensation également que plus les revues sont importantes, plus elles publient facilement des auteurs.
La revue se nomme RADICAL(E), avec une écriture ici attendue, un état. Dès le deuxième numéro, nous avons refusé le système de numérotation, trop éloigné de notre enjeu poétique, lui préférant la variation du RADICAL, (radical)ière, (radical)ette, avec son ancrage saisonnier... Pour l’édition, c’est l’occasion d’un jeu renouvelé autour de la langue et l’identité féminine de la revue. À commencer par la connotation du mot imaginé. L’ensemble forme la collection RADICAL(E), où chaque numéro est à nommer, qui déplace les parenthèses ailleurs que sur nos corps de femmes.
Il n’y a pas de thème annoncé, seulement cette déclinaison dont on peut ou non s’inspirer. Il nous est aussi arrivé d’ajuster le nom du numéro aux propositions reçues. Je n’aime pas la notion de thème, qui ne tient pas compte du continuum de création et de recherches personnelles. Cela participe de l’attention portée au travail des autrices. La contrainte se situe ailleurs. De fait, plusieurs des textes que nous avons édités, extraits de travaux en cours, ont depuis trouvé leur maison d’édition.
Le prochain numéro d’été devrait être un (radical)ice, promesse de calices et autres délices, la rime de nos chères autrices !
Version Open Art Liliane Giraudon
Comment imaginez-vous chaque numéro ? (si on peut imaginer l’objet final !) Enfin, comment procédez-vous ? Appel à textes ? Comité de lecture ? Et ce que je n’imagine pas ?
Nous proposons un appel à textes et photographies sur Internet, ouvert à toutes. Par souci d’égalité, les propositions sont anonymisées, avant lecture par le comité. Nous pouvons inviter des autrices dont nous aimons particulièrement l’écriture. Cela nous permet de faire côtoyer des notoriétés et univers variés : Liliane Giraudon, Rim Battal, Aurélie Foglia, Laure Gauthier, Mélanie Leblanc, Murièle Camac, Élisa Darnal, Claire Le Michel, Anne-Marie Zucchelli, Nathanaëlle Quoirez, Marine Riguet et d’autres. Citons aussi Anna Ayanoglou, qui depuis sa participation dans la revue, a fait paraître Le fil des traversées, chez Gallimard et a reçu le prix de la Découverte, et celui de la SGDL.
Lors de l’appel à textes le nom du numéro est d’abord dévoilé, avec pour seule contrainte la limite du nombre de caractères puisque l’affiche se composant en zones déterminées, au contraire d’une revue paginée, sa composition est contraignante. Le format « affiche » annonce le projet : dépliée, elle donne à voir une œuvre singulière et collective, une cartographie de voix qui se trament. C’est un ensemble, l’unité étant essentielle pour la version Open Art afin de rendre possibles les ponts entre les textes (interventions graphiques globales, caviardages, tissages). Il faut pourtant respecter la singularité de chaque texte (et ne pas empêcher la lisibilité de chacun), accorder davantage de place aux blancs. Le format affiche, par son unité même, invite aussi les autrices à se lire puisqu’elles participent d’un même ensemble. En revue classique, j’avais pu constater que les auteurs ne lisaient pas nécessairement l’ensemble.
Version Open Art Mélanie Leblanc
Nous allons certainement ouvrir aux soumissions spontanées bientôt, pour constituer un corpus de textes, pouvoir y puiser, et déterminer le nom du numéro d’après celui-ci. Nous recevons beaucoup de propositions lors des appels à textes. Chaque numéro n’accueillant que 5 à 7 autrices, il y a peu de places. L’appel à textes représente un temps long de lecture et d’échanges avec les personnes. Il ne sera donc plus systématique à l’avenir, afin de nous consacrer à d’autres projets autour de la revue, et être capables d’accorder assez de temps à chacune.
Aussi, je suppose que ce n’est pas toujours facile en tant que petite revue. Quels moyens utilisez-vous pour la diffusion et vous faire connaître ?
Nous avons d’abord communiqué sur les réseaux sociaux (Instagram @radicale.la.revue | Facebook @pupillesvagabondeseditions). Quelques pages sont également consultables sur le site de Pupilles Vagabondes où l’achat de la revue (version brute) se fait. On peut aussi y voir les versions Open Art de tous les numéros.
Nous avons répondu à des invitations de festivals ou de salons. Donner des lectures, rencontrer le public, faire en sorte que les autrices se rencontrent, c’est l’idée même de notre collectif. Nous étions présentes lors du Salon de la revue et du Marché de la poésie cette année. Ce fut un réel plaisir de partager un peu de temps avec les autrices et d’échanger avec les visiteurs. Les coûts restent cela dit assez élevés pour nous permettre d’y participer autant que nous le souhaiterions.
Personnellement, et au-delà même du collectif RADICAL(E), j’aimerais aussi explorer d’autres pistes de création collective, d’autres formes. J’ai créé, par exemple, une séance de vidéopoèmes proposée dans le contexte du Festival de poésie d’Alençon cet automne, que j’aimerais faire tourner sur d’autres festivals, en créer d’autres (avis aux directions artistiques !) J’ai moi-même été directrice artistique d’un festival au Centre Pompidou pendant dix ans, je partage donc l’enthousiasme de ces événements. J’avais également conçu une performance collective à Alençon, et en tant que performeuse, je réfléchis à de telles interventions de nos autrices, que nous pourrions proposer lors d’événements (avis aux directions artistiques !) Malheureusement les invitations manquent, puis le temps souvent (avis aux grands égreneurs des heures, prière de les retenir !)
Version Open Art Muriel Camac
Sur les réseaux : @amelieguyot et @guylainemonnier
https://www.pupilles-vagabondes.com/radicale