extraits de L’Os qui tremble
Os qui tremble
en ces demeures
où je n’ai pu naître
égorgez-moi un matin
où le couteau se présente
avec une telle force
une telle évidence
qu’il ne soit plus possible
de faire autre chose
que d’en tester le fil
plus proche encore
plus facile d’accès
la réserve à poisons
seule issue
ce cri
dans lequel déjà
je ne suis plus
c’est le bois fendu de la grande horloge
la plaie n’est pas encore assez grande
pour que s’y glisse
tout entier
l’os du siècle
L’OS
au seuil
attend une vision
la roue tourne
la nuit n’a pas son pareil
pour écraser le jour
la roue tourne
le puits est à sec
la corde miaule
le seau vide cogne sur les pierres
laissez-venir en mes os
le vacarme profond des dissonances
les fleurs noires
les portes de bronze
les lions de pierre
aux rugissements de sable
laissez-venir en mes os
les chapelets blancs
colliers d’osselets
des tombes
puis
l’infortune des vents trompeurs
la cohue des ventres affamés
l’interminable
chevelure du sang versé
LA FATIGUE
l’immense fatigue du corps
dissimule celle qui travaille en-dessous
celle qui attise l’esprit
lui adjure ne pas renoncer
de ne rien lâcher
juste un frémissement
tremblement vertical
à la lisière d’un foisonnement
d’une lumière serpent
séisme
vraie déchirure
langue suspendue
pendue
aux traces
fossilisées
langue
évènement
pour écrire encore
la force de cet os
résolument
en mouvement
LA LANGUE
serpente
s’accroche aux barbelés
défie les miradors
la langue serpente
contourne les fosses
toutes lumières éteintes
nous forgeons encore
dans le secret de nos ventres
des énigmes de feu
des mystères de sang
toutes lumières éteintes
la bouche aimante
confond le membre
avec l’os raide de la nuit
IL FAUT TAILLER
l’os
jusqu’à la moelle
tailler l’os
pour le faire outil
ou arme
lente apparition
derrière la barrière des dents
victoire de cette terre
gardienne des crânes
le récit prend figure
os après os
un visage se déplie
se fait livre
il faut oser l’os
oser cette mise en scène
de la décomposition ultime
OS à mots
mastiqué
sous les dents du mort
qui lui seul sait
ce que mort veut dire
ce que mort emporte
au seuil du monde
où le mot tombe
signe sa défaite
d’OS
Petit entretien avec Roland Dauxois, réalisé par Jean-Marc Undriener
[lilas] Pourquoi la poésie ? [/lilas]
On pourrait tout aussi bien dire pourquoi être poète ou pourquoi se dire poète ? Quand on interrogeait le peintre Bram Van Velde sur son choix d’existence il répondait qu’il n’avait jamais été capable de faire autre chose, cette réponse se situait bien au-delà du souci de modestie. Bien évidemment on peut tenter de démonter et démontrer tous les mécanismes qui nous poussent vers ces chemins aussi inutiles qu’essentiels, une rencontre, un livre, autant de hasards qui peuvent décider de notre itinéraire, mais la poésie, c’est une évidence, était là avant nous, elle a toujours été présente dans cette volonté humaine de transcrire, de transmettre, c’est elle qui nous choisit et nous ne faisons que lui prêter les outils de notre esprit et de nos mains, nous sommes ses ouvriers.
[lilas] Comment naissent tes écrits ? Où, dans quoi, puisent-ils leurs origines ? [/lilas]
Je reprendrai le dernier terme de ma réponse à la première question car je le veux central à ma préoccupation d’écriture : ouvrier. C’est bien en tant qu’ouvrier que je veux vivre ce travail poétique, je suis ouvrier quand je suis à ma table d’écriture et qu’il faut ligne après ligne construire le poème comme on peut construire le lieu qui va nous abriter, les origines du poème sont ses fondations, plus les fondations sont solides, profondes, plus le poème s’ancrera dans une réalité palpable et prendra les accents de la sincérité. C’est bien ce mot d’ouvrier qui peut éclairer au plus près cet acte d’écrire : après l’apprentissage du verbe, la lente et patiente accumulation des outils, l’observation et la mémoire des choses, des gens, la volonté aussi de construire un ouvrage qui veut échapper à la dictature des horloges et des esprits soi-disant « éclairés » de notre temps. Cet ouvrier poète n’est pas enfermé, n’est pas contraint, c’est un ouvrier qui n’obéit à aucun ordre, c’est un ouvrier libre, seulement traversé par ce besoin viscéral de poésie.
[lilas] Comment se déroule ton travail d’écriture ? [/lilas]
Pour continuer avec cette image de l’ouvrier je répondrai que ce travail se déroule chaque jour sur l’établi mot après mot, un établi où l’esprit pose patiemment chaque chose, chaque geste, exactement comme un artisan range méticuleusement ses outils après et avant chaque manipulation. Mon grand-père était ébéniste et il me disait que pour travailler le bois il fallait toujours « aller dans le sens du fil sinon l’ouvrage était définitivement blessé », cette parole a toujours eu de profondes résonances en moi, bien souvent quand les chose se cassent, se brisent c’est que nous n’avons pas su aller dans le sens de leur fil. Dans le travail du poème les premiers mots ou parfois seulement le titre donne le sens du fil du poème, il nous appartient ensuite de ne pas aller en sens contraire, de ne pas le trahir.
[lilas] Pourquoi l’Os ? S’agit-il de cette partie qui tient le tout et qui vient parfois à faire défaut ? [/lilas]
La première phrase qui ouvre le poème et lui donne tout son éclairage (mais qui ne figure pas dans l’extrait) est celle-ci : C’est un os un os creux qui vibre d’un souffle continu et ce souffle se veut sans apaisement aucun comme un écoulement de sang.
Décaper l’os, lui enlever son mensonge de chair, tout le poème est une rivière de sang (d’où l’absence de ponctuation) qui lavera l’os, lui rendra son éclat originel. Pour répondre plus directement à la proposition qui figure dans la question : la blancheur de l’os c’est certes le triomphe de la mort, l’enfouissement de l’os dans la terre signe la grande disparition, mais l’os est aussi une preuve de vie, cette petite partie qui tient effectivement le tout et défie l’absence.
L’os qui ose le tremblement se délivre de la tyrannie des chairs, il devient alors l’instrument de délivrance de cette humanité qui marque son territoire de forêt d’os percés là où des multitudes d’os regardent passer d’autres os sans le moindre sentiment fraternel.
Le poème existe bien alors dans cette urgence, dans cette nécessité de « tailler l’os jusqu’à la moelle ». Le travail est là avec cette terrible tâche : ce n’est pas celle du fossoyeur ni celle du pillard mais celle du découvreur : il s’agit d’extraire l’os, de le nettoyer de tout ce qui peut le recouvrir, le soustraire à la quête de vérité, lui rendre son histoire. Cet os s’il est creux il faut le remplir, choisir les signes qui peuvent l’habiter, faire de ce vestige un os vivant, un de ces « os qui tremble » comme la feuille tremble à l’unisson avec le feuillage de l’arbre à l’approche de l’orage.
[lilas] De quoi et de qui se compose ta bibliothèque ? [/lilas]
Si je veux être cohérent avec mes autres réponses je vous répondrai que les livres de poésie qui composent ma bibliothèque sont alignés comme un ébéniste dispose ses ciseaux, gouges racloirs, rabots, en fonction de leur utilisation, les livres les plus feuilletés étant les plus facilement accessibles, René Char est le plus immédiatement visible car toute son œuvre me hante depuis l’enfance, ce dialogue perdure et se consolide au fil des années. Suivent d’autres poètes Pierre Reverdy, Benjamin Fondane, Pablo Neruda, René Daumal, Audiberti, Cesare Pavese, Octavio Paz …. en arrière-garde veillent toujours les grandes voix : Hölderlin, Novalis Baudelaire, Rimbaud, Victor Hugo.
Roland Dauxois
Poète et peintre lyonnais, Roland Dauxois a exercé différents métiers dans l’industrie des arts graphiques. Il édite son premier recueil en 1977 (La veine secrète). Elève de l’atelier du peintre Jean Dulac à Lyon, il se lie d’amitié avec l’artiste belge Jean Raine disparu en 1986. Expositions personnelles dans des lieux publics, nombreuses expositions collectives (Salon d’automne, membre du jury du salon Regain). Lectures publiques et émissions radiophoniques. Membre de la Cave littéraire dans l’Isère (fondée par Jean Paul Morin). Parutions dans les revues Friches, Sezim, N4728, Diptyque, publications régulières dans la revue Verso animée par Alain Wexler. Participation en 2013 au premier numéro de la revue papier de Nathalie Riera, les Carnets d’Eucharis. Des poèmes sont édités également en 2013, dans la revue de poésie internationale Place de la Sorbonne animée par Laurent Fourcaut.
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