Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Sabine Dewulf

mardi 24 mars 2020, par Cécile Guivarch

Jadis                                  assise enfin
j’ai affronté les yeux d’une mère défaite,
lui ai livré le sac entier de ma déroute.

En ce fauteuil l’angoisse fut dissoute.

Maintenant je détourne la tête :
compression dans l’écart où se fixe un fantôme.

Partout l’espace bleu, la ronde des forêts

J’aimerais tant défaire
ce nœud d’airain,

l’assouplir de consonnes de soie,
langue déployant l’air.

L’œil est un œuf de clarté où circulent
sans trêve les eaux.

Mais l’enfantine s’égosille.

Son masque longuement
contenait mon visage.

Méduse s’attarde.

Laisse sa voix effleurer l’air.

Elle a fondu,
tu marches dans la flaque.

L’enfant a caché sa colère
dans l’ombre de ses mères,

laquelle on ne sait.

Pleure-la quand tu peux.

Plus qu’un nœud à défaire à la croisée des nerfs.

Y passer tout le temps nécessaire,
tout l’air libre

Derrière un front sans fenêtre,
le champ de ruines.

L’amour au loin,
la distance de glu.

Chacune des pensées faut-il ensevelir,
renverser désespoir sur pentes du sourire
ou poursuivre les fleurs ?

Choisis ce qui te reste.

Immense libre volupté,
le champ des ailes.

Je grave à l’arme d’or
la limite où les fantômes meurent,
où commence le corps.

Je garde ligne close
entre l’ombre et ces doigts qui respirent.

Trait continu de ton humilité,
ce poids de liesse.

Seront notés ces jours.

M’est apparue la plaine
sous l’abîme cachée,
                  soudaine inespérée

si blanche et solide.

Le sol et le lit.

Plaine libre,
seule vibre.

Il me faut maintenant me relire
tout le dos,
toute l’histoire montagneuse

jusque sous la langue.

D’une autre me souviens,
encore enfant,
portant un prénom rouge.

C’était hier, il y a longtemps,
la route éteinte

mais rouge brûle.

Sur cette fleur je n’ose peindre.

Seulement la pensée
Souvent,

le soin de ralentir.

Toute pensée invite à revenir au corps,
la cible creuse.

Chacune veille,
même l’errante.

Sur ruines de croyances,
enraciner l’idée aimante.

Usant de nos dons d’aiguilleur,
affinons nos lueurs

dans l’immense lampe de la vérité,
repère de la nuit à vif.

Jambes d’air traversées,
poids du corps à sa place
plus basse.

Je suis assise en moi.

N’oublie jamais la foudre.

La chair se purge de pensées,
l’impossible s’épuise.

Ce que veut notre éclat dans les veines triomphe,
le réel et sa flamme.

Proche et sûre la voix
dans les bras de l’amie.

L’œil enveloppe mon corps,
l’espace rond.

Comme mousse tomber,
descendre jusqu’en vallée douce
de berceau.

L’arbre d’hiver se mesure
à son fourmillement d’antennes
palpant le ciel.

Pose tranquille,
ancrage au creux de ce qui sait
jusqu’au frémissement.

Au vibrant
il m’initie.


Entretien avec Clara Regy

Deuxième épisode de cette rencontre...

Où en êtes-vous de ce « cheminement » en poésie ?

Pour ce qui est de ce cheminement, je dirai que la publication de mon premier recueil, « Et je suis sur la terre  », aux éditions L’Herbe qui tremble, en janvier 2020, m’a ouvert un passage plus large, plus confiant, là où auparavant je pouvais piétiner, voire renoncer. Laisser paraître, se laisser découvrir, dans une intimité jusqu’alors dissimulée, c’est abandonner une protection devenue inutile. J’écris maintenant plus régulièrement et plus aisément. Participer à une telle publication, c’est aussi entrer dans un dialogue avec l’éditeur qui peut permettre de se connaître soi-même encore mieux. J’évoquerai ici simplement, à titre d’exemple, le choix du titre. J’en avais, pour ma part, choisi un autre, mais Thierry Chauveau m’a d’emblée réorientée vers le titre de la seconde grande section de mon recueil. J’ai pu alors ressentir la manière dont cet éditeur s’était pénétré de mon texte, de son esprit. Au fond, il a senti mieux que moi la direction d’ensemble. Et quand je relis ce titre, je mesure chaque fois ce qui, dans ma propre existence, a été accompli, en partie à travers l’écriture de ces poèmes. C’est là un apport très précieux.

Avez-vous découvert de nouvelles belles choses ? Voulez-vous bien nous en parler, et plus particulièrement de ces partages autour des livres d’artistes ?

Oui, en effet. J’ai poursuivi avec joie des explorations qui m’étaient chères. Je pense tout particulièrement à l’œuvre de Pierre Dhainaut dans sa dimension manuscrite et artistique. Une grande exposition est programmée pour l’année 2021, à Lille, sous la direction de l’un des conservateurs de la médiathèque Jean Lévy, Jean-Jacques Vandewalle, que Pierre Dhainaut m’a proposé de seconder dans cette passionnante entreprise. Les très nombreux manuscrits et livres d’artiste que le poète a réalisés en collaboration avec des peintres, des graveurs ou photographes – Marc Pessin, Youl, Jacques Clauzel, Fabien Giry, Marie Alloy, Caroline François-Rubino, pour n’en citer que quelques-uns – vont donc être exhumés des profondeurs de la bibliothèque pour être révélés au public. La poésie, à mes yeux, ne rayonne jamais aussi bien que lorsqu’elle « entre en échanges », pour paraphraser un titre de Pierre Dhainaut, avec d’autres œuvres… D’une manière générale, elle me paraît indissociable des rencontres amicales qui la nourrissent et nous font avancer.

Racontez-nous alors ce que vous voulez-tout simplement en dire, nous dire, de ces rencontres qui, en fait, peuvent « nous » faire « avancer »…

La toute première de ces rencontres vivantes a été précisément celle de Pierre Dhainaut, dans les années 2000. Entendre un poète parler de sa poésie (et de la poésie en général) de vive voix en s’imprégnant de sa passion et de son engagement (celui de toute une vie) pour la poésie, c’est incontestablement un privilège qui donne un goût différent à la lecture des poèmes. C’est d’ailleurs ce poète qui, un jour, m’a suggéré d’écouter vraiment ce mouvement que je pressentais et qui allait me conduire à publier des poèmes. C’est aussi par l’intermédiaire de Pierre Dhainaut que j’ai rencontré, en 2016, son amie Isabelle Lévesque, avec qui j’ai ensuite entretenu une correspondance. C’est à elle (à sa générosité, à ses encouragements et son soutien sans faille) que je dois d’avoir osé proposer mes poèmes à la publication. Elle m’a également invitée à écrire à ses côtés, sur de beaux papiers, des livres dits « pauvres ». Tout cela nourrit l’élan de confiance en sa propre parole. Disposer d’un espace offert par l’autre sans que les deux voix ne se mêlent ni ne s’altèrent, tout en participant à un dialogue qui s’inscrit dans le sillage d’une photographie ou de simples mots, c’est gagner en écoute, en accord avec l’autre et en respect de soi-même. C’est rendre plus vif le sentiment de l’interdépendance tout en s’affranchissant des contraintes – et parfois de la violence – des échanges ordinaires. Cela me paraît de nature, en tout cas en ce qui me concerne, à fluidifier le poème qui s’écrit déjà dans le corps avant de se risquer sur la page. Ces rencontres peuvent aussi être celles d’artistes. Je pense ici à Caroline François-Rubino, qui a offert aux poèmes d’« Et je suis sur la terre  » ses aquarelles si sensibles, et avec qui j’ai aussi partagé de précieux petits livres manuscrits. Je songe également à Bruno Normand, qui m’envoie régulièrement, par amitié, des poèmes inédits, comme si nous pouvions nous rencontrer de manière plus authentique dans des mots qui librement résonnent en se ramifiant. Je suis par ailleurs engagée dans un très beau projet de coécriture avec Florence Saint-Roch. Toutes ces amitiés puisent à une source commune : la quête d’une certaine vérité, celle de l’instant vécu et pleinement partagé, c’est-à-dire, au fond, de ce qui nous relie en deçà de nos peurs et de nos désirs propres. Cela peut naturellement nous mener très loin !


Sabine Dewulf

Née en 1966 dans le nord de la France, agrégée de lettres modernes et docteur ès lettres, Sabine Dewulf a réalisé un long travail de connaissance de soi. Depuis 2000, elle s’intéresse de près à toutes les formes de spiritualité. Formée en psychanalyse « rêve-éveillé » par Marc-Alain Descamps, elle a également créé des jeux de connaissance de soi liés à la poésie et elle anime des ateliers. Elle a publié des articles ou des notes de lecture à propos de la poésie dans différentes revues : Nord’, Tra-jectoire, Linea, Nu(e), Revue des sciences humaines (université de Lille III), Revue régionaliste des Pyrénées, Reflets, Diérèse, Terre à ciel, Poezibao, Terres de femmes

http://azur-shiatsu.com/
Page Facebook : Le Miroir d’Or de Sabine Dewulf

Bibliographie

Jules Supervielle ou la connaissance poétique (2 tomes), L’Harmattan, 2001.
Les Jardins de Colette – Parcours symbolique et ludique vers notre Eden intérieur, illustrations de Josette Delecroix, éditions du Souffle d’Or, 2004.
La Fable du monde – Jules Supervielle, coll. « Parcours de lecture », Bertrand-Lacoste, 2008.
Pierre Dhainaut, coll. « Présence de la poésie », Les Vanneaux, 2008.
Jules Supervielle aujourd’hui, actes du colloque d’Oloron-sainte-Marie, textes réunis et présentés par Sabine Dewulf et Jacques Le Gall, Presses Universitaires de Pau, 2009.
Le Jeu des miroirs – Découvrez votre vrai visage avec Douglas Harding et Jules Supervielle, illustrations de Josette Delecroix, Le Souffle d’Or, 2011.
Les Trois cheveux d’or – Parcours de guérison avec les frères Grimm et Pierre Dhainaut, avec la collaboration de Stéphanie Delcourt et Eric Dewulf, Le Souffle d’Or, 2016.
Raymond Farina, coll. « Présence de la poésie », Les Vanneaux, 2019.
Introduction au catalogue d’exposition Ise et perdre le fil publié par le Musée La Piscine de Roubaix, sous la direction de Sylvette Botella-Gaudichon, 2019.
Et je suis sur la terre, L’Herbe qui tremble, 2020.


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