Tu dis délivrer la lumière est un travail en poésie et en amitié, à quatre yeux et quatre mains. Pour éclairer ce projet commun, quelques préalables extraits d’une note d’intention que nous avons conçue, comme l’ensemble du recueil, selon un principe d’alternance :
Là où « l’autre côté s’invite », nous voici prêts à tenter l’expérience alchimique : le je étroit où nous enferment les habitudes commence à se dissoudre, à ouvrir son regard vers une autre lumière. Lorsque Florence m’a offert la première photographie, je me suis sentie délicieusement entraînée dans une démarche inédite : me mettre à mon tour à l’affût de parcelles singulières du réel, afin d’en partager l’image.
Que voient les yeux de l’Autre ? Comment accéder à ce qu’il perçoit ? Comment le rejoindre aussi dans sa traversée de l’image, dans son élan vers un invisible outre-là ? Ces questions ont soufflé le protocole que nous avons suivi, Sabine et moi, semaine après semaine, pendant environ cinq mois. Alternativement, chacune de nous deux proposait à l’autre une photo qu’elle avait prise, à charge d’écrire l’une et l’autre un poème en regard, Sabine adoptant les italiques, moi les romaines. Puis, après avoir partagé nos poèmes, nous en écrivions un second en répons. Nous passions ainsi une double porte : celle de l’image, et celle des mots.
Voici donc trois échantillons de cette menée partagée.
Semaines 1 et 2, photo de Florence
Ce sont feuilles mortes entassées
Vieux papiers végétaux
Le feuilletage des jours
Quand tout est consommé
On ne peut pas toucher
Si on effleure seulement
Le temps lui-même va s’effondrer
Les mots se sont tus
Pourtant quelque chose encore appelle
Retient notre attention
La vérité des cendres
Les couleurs que feu a emportées
De l’autre côté
*
Je jette au feu
ma paperasse de pensées
l’arbre dépose dans la cendre
son offrande
ordre de la saison
encourager l’automne
lâcher déchiqueter encore
l’éteint nourrit la vague de poussière
ce qui brûle demeure
***
L’autre côté s’invite
sillage auquel tout est promis
la danse s’est donnée
vibrante
demeure l’air grisé de cendres
berceau d’argent
un souffle-lien formant le pont
du temps cueilli
désir perpétué sans naissance ni mort
en son oscillation
*
On croyait nos jours plus solides
Lames lamines schistes-carton
À tous les étages des promesses
Des rêves des intentions
Tu dis je jette
Et la puissance de l’annonce
Secoue les embarras
Vite oser le geste
Quand le feu est passé par-là
Éventer la poussière
Disperser les reliquats
Semaines 3 et 4, photo de Sabine
Un œil cherche à s’ouvrir
à l’aveuglante
calligraphie des branchesje trace un sens hésitant
qui me ressemble
tissant d’autres toiles
où s’accroche le jourje pousse enfin la porte
vers cet arbre qui sait
m’enseigne la fraîcheur*
Collé à la vitre
Dehors se tait immobileD’autres voudraient un vent bleu
Un ciel rendu à lui-même
Foisonnement dru tapage d’oiseauxEn pays indécis on se sent chez nous
Nos yeux préparés au flouQu’importe si le jardin s’est dissout
On décrète les branches
Une longue patience d’arbre
Dans la lumière blanche***
Les branches rêvent
Derrière la vitre
Cordages et haubans se tendent
L’arbre peut-être veut changer d’horizonEn nous aussi des idées se dessinent
Trop d’images se condensent
Estompent la valeur du traitCela ne nous mènera pas loin
On le saitOpportunément tu dis
Je pousse enfin la porteEnfin commence bien
*
C’est un éveil à la blancheur
au silence habiténous restons au-dedans
dans ce qui monte enfin
une attente sans fruitserions-nous déjà l’arbre
enraciné dans la grande mémoireaurions-nous comme lui
pleine confiance en ce jourau miroir de ses branches
notre étreinte sans nom
Semaines 25 et 26, photo de Florence
Au cœur de l’espace
Dans les courbes du temps
Des foyers d’énergie des cristallisationsQuand l’immensément lointain
Trouve un écho dans le très proche
Certaines parentés deviennent évidentesEntre l’étoile et l’arbre
Des fréquences partagées
Un même goût pour l’expansionPour mesurer leur rayonnement
On n’a qu’un seul recours
S’accrocher aux branches*
L’étoile est née du cœur de l’arbre
rompu sans larmesil était prêt à découvrir
en lui les ondes élargies
autour du feu possiblede toute son empreinte
le sceau de l’astre
se confie au regardet sa gravure
noyée dans l’épaisseur
appelle son rayonnement***
S’esquisse aux branches de l’étoile
le pointillé de flamme où tente de se dire
l’effort simultané de l’arbre
pour briller dans la mortensemble ils accomplissent
l’épreuve de lumièreen deçà du bois et du ciel
l’énergie impassible se tient
seulement solidaire
de la courbe des cœurs*
Tu dis le sceau de l’astre
Ses invisibles palpitations
L’étoile rouge au cœur
Comme d’autres l’ont au frontOn est des têtes de bois
Densité d’être instants superposés
Notre histoire s’épaissit
Inscrit ses rubriques au plus profondEn lettres pourpres l’invite permanente
Faire reculer nos nuits ne pas ternir l’éclat