Edit. L’Ail des ours
Voici un petit livre par son format, illustré par Renaud Allirand, où la parole, faussement légère nous envole et nous ravit aux deux sens du terme, comme le font en général les recueils d’Albertine Benedetto.
Avec un vocabulaire de couturière, elle tisse pour nous de courts récits peuplés d’oiseaux.
A l’aube les oiseaux
De leurs becs faufilent
La clarté
Sur l’envers de la nuit
Il est question d’écheveau subtil/que l’oreille démêle, alors qu’ailleurs on tisse de soie et de plumes/une étoffe de mots, et qu’A flanc de nuit/les oiseaux en découse les bords. Légèreté nous avons dit, musique aussi puisque oiseaux il y a, mais aussi références à des œuvres
musicales.
Qu’il est doux pour un instant d’être mouette volant dans la lumière loin des pensées mauvaises alors que nous ne sommes que des ogres/prêts à ingérer/la terre entière et non des géants.
Ce poème ouvre une réflexion sur l’anthropocène, ce mot venu de loin pour dire la folie des hommes. Fini les rires des dieux nous dit la poète, l’Azur des lyriques s’est dissout dans les hauts fourneaux.
Mais ce rappel à la Terre souffrante par la faute des hommes n’est pas asséné, n’est pas condamnation. Il se glisse au milieu des voix, du souffle du poème qui secoue/ l’ombre collée à nos souliers. Chant du poème, chant des oiseaux. Chant à l’aimé ?
Et cette note qui s’est sauvagement inscrite dans le mémoire, quelle est-elle ?
Par les voix multiples du café te revient
la note isolée
d’un oiseau entendu ailleurs
note répétée
comme un appel
jamais déchiffré
qui insiste pourtant revient
heurter le cœur
la dernière fois déjà tu ne savais pas
mais l’appel
lancinant s’est inscrit
dans la couleur de ce jour-là
comme une entaille
dans le matin étale
un avertissement sourd
De traces en tresses, d’océans en déserts, Albertine Benedetto n’oublie pas ceux qui eux sont contraints, pauvres gens/oiseaux de migrations sans fin et dédie un poème au poète Salah Al Hamdani. Elle évoque les hommes migrateurs qui eux aussi ont cherché ailleurs/ des routes marines/ leurs ailes trouées/ d’un espoir trop lourd/ leur bouche désertée/ muette sous la mer.
Puis l’auteur avec humilité rejoint le « nous » de l’humanité prédatrice.
Prométhée de pacotille
nous sautons de poussières en étoiles
éblouis par leur éclat
mort depuis longtemps
nous perdons la mémoire des arbres
nous dit-elle dans ce poème qui se termine sur cette prière :
ô retrouver le chant de l’eau
Depuis l’oiseau de Pierre et le Loup jusqu’aux geais aux ailes bleues, en passant par les pigeons de la place San Marco, nous cheminons en compagnie de nos petits compagnons ailés qu’Albertine Benedetto met en scène pour nous dire la grâce de l’éphémère, la beauté de notre terre, mais aussi nous rappeler à quel point elle est fragilisée par l’empreinte profonde et irréversible déposée par les activités humaines.
Geneviève Liautard