Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Stanislas Cazeneuve

jeudi 26 mars 2020, par Cécile Guivarch

S’en remettre au génie de la lumière. Immensément rassemblé. En soi-même. Retiré des souches des jours sombres. Des ombres où manquent les actes. Le visage se tourne vers le ciel choisi. Parmi les passages. On entre du regard. Dans le pur espace. Des souvenirs et de la parole d’avenir. De la promesse silencieuse. Jusqu’à ce que l’on soit humain. Dans la nuit. Et défait. Jusqu’à ce que l’on cesse de trembler à l’horizon. Pour laisser se fixer une pensée lente. Laisser l’illusion flotter dans l’air. S’éloigner d’elle-même. La cruauté face à la caresse. Ne résistera pas. La faute s’établit pauvrement. L’éclairement noie le coupable dans les étoiles. La nature fait place à la douceur. Et nous autres, sommes refaits par le soleil.

 

Une main de vérité venue sur le visage. Interroge les années. Face à face avec la nuit. Sagement. Comme autant de circonstances. Déconcertantes. Et sans le moindre consentement donné. Que l’évidence. L’excellence de l’oeil posé sur la beauté. Comme voir l’enfant porté. Bonté à bout de bras. Va grandir dans la joie. Comme voir le couple. Ses phrases de gestes. Sachant s’aimer. Dans un partage raisonnable des heures. Caresses aux reflets de peine. Lointaine. Entre l’absence et la présence. Comme voir les arbres brillants d’ardoise. Leurs mouvements de lune. Et de vent. Finalement. Renaître au soir. Garder visage d’enfance rassurée. Et puis mourir sans importance.

 

À la place du ciel. Le visage change aussi bien que la mer. La lumière variable encore. À l’abordage de l’air. C’est un jour sacré de connaissance de soi. Le désespoir se poursuit longtemps avec sa délivrance. Dans la part délicate d’un dialogue. Qui ne vient pas. Son langage guette une grâce. Une lettre d’amour et d’attente. Une rareté soucieuse de beauté. Là. Le visage parle à la place du ciel. Découvre un monde nouveau. Où il s’étonne de lui-même. Son ignorance écartée va rompre le silence. Pour façonner de mots la lumière et la mer. Il ne sait pas encore qu’il a manqué l’Univers.

 

Dans la douce apocalypse. D’un supplément de joie. L’aspiration profonde soudainement renoue avec ce qu’elle était. On retrouve les conversations comme rêvées. Qui ne font pas obstacle à soi-même. Ni à l’autre. Le déploiement dans les mots. De la vie qui jusque là se passait dans les yeux. Pour ne pas dire en secret. Le sens du toujours commence à triompher des mauvais souvenirs. La bonté folle pousserait à toutes les promesses. Les sentiments deviennent la raison la plus proche. Quelle distance alors serait infranchissable ? Quand son drame personnel revient comme la naissance du soir. Si peu déconcertant. A force de le vivre. L’idée même de distance s’abolit par le regard aimant. Quand viennent les étoiles. Au-delà du ciel. Faire sienne la noirceur profonde.

 

La lumière plus visible. À travers la tenaille des cils et des sanglots. Réverbère le mystère. Enveloppe l’invisible. Qui change l’oeil. Aussi bien que le ciel. Sa vie s’ouvre avec le bruit de la mer. L’embarcadère intime. L’ignorance des sentiments. Celui qui s’honore d’avoir pleuré. Se sent libre. Avec le temps. Il a des mots disponibles pour tout. L’amour. La naissance irrationnelle. Le visage accompli de l’enfant. La quiétude aventureuse. Il fait le deuil du vide. Et du voyage. Mourir ne passe plus par l’opacité de l’inquiétude. Impossiblement nécessaire. Mais par la musique. Qui simplement cessera. Alors Il peut se dédier à la lumière du matin. À ses dieux de l’instant. À l’écriture. À sa mélodie d’atmosphère. Sa peine au grand jour est une échelle du songe. Paisible à la nuit.

Entretien avec Clara Regy

Commençons alors par ces “habituelles” questions : écrivez-vous ce que l’on nomme poésie depuis toujours ? Avez-vous des moments, des lieux privilégiés consacrés à cet “art” ? Utilisez-vous un clavier ou êtes-vous plutôt “papier-crayon” (avez-vous des objets fétiches) ?

Lycéen. J’étais l’élève d’un professeur de lettres admirable. Poète et éditeur. Henri Heurtebise. Qui finissait ses cours en nous lisant, à voix haute, Apollinaire, Baudelaire ou Rabelais. La classe entière était saisie. Alors, je me précipitais au CDI du Lycée, pour emprunter les livres où retrouver ces textes et leur voix. Puis, en lisant est venu l’écrivant. Comme une conversation naissant avec les livres. Leurs auteurs. Avec les autres, avec moi-même.

Alors, je garde avec moi un carnet de poche et un stylo plume. Partout, à tout moment, je peux noter ce qui me vient de mots, de pensées, d’images. Qui sont les premiers élans de mes textes. Plus tard, je me mets à une table. Où la lampe couve ensemble sa lumière, le papier et les mots.

En quelques mots, pouvez-vous vous présenter ?

Né le 1er octobre 1976 à Toulouse, j’ai passé mon enfance dans le Volvestre. Après des études de droit et de philosophie, je vis aujourd’hui dans une aire affective dont les points cardinaux sont l’Ariège, Collioure et la Martinique. Peu enclin à quitter ma maison, où qu’elle se trouve, je passe mon temps à lire, composer des chansons et converser. J’écris peu.

Vous êtes plutôt “dans le monde” de la philosophie et aussi, bien sûr, dans celui de la poésie. Quelles relations établissez-vous entre ces deux usages ou formes de la pensée et de l’écriture ? (même si ce sont des relations secrètes …) Et ces deux mondes existent-ils vraiment ? Se côtoient-ils vraiment ?

J’aime votre question. Qui rassemble poésie et philosophie. Comme des usages de la pensée. A l’origine, la philosophie ne se distinguait pas de la poésie. Elles étaient expressions d’hommes debout, étonnés dans l’infini de la vie et la mort. Parménide a exposé son attention à l’être, son ontologie, dans un texte qu’il a nommé poème. Lucrèce a mis en vers la doctrine d’Epicure. Le poète Pindare a voulu que la beauté questionne la vérité. Poésie et philosophie, depuis toujours, interrogent le monde par la volonté du langage. Un langage de l’un qui s’adresse à chacun. De la solitude à la multitude. Puis, sous l’influence de Socrate, mais aussi des sophistes, les philosophes se sont donné un langage de logique, d’arguments et de systèmes. Parfois, leur raison raisonnante est froide. Souvent, ils gardent de grandes qualités littéraires (Boèce, Maître Eckhart, Montaigne, Heidegger…) Jusqu’à Nietzsche qui retrouve une écriture fragmentaire incluant des poèmes. Poésie, comme création qui va vers la pensée, et philosophie, comme pensée qui regarde ce qui est, n’ont jamais cessé d’être un Voir dit, comme l’a formulé Guillaume de Machaut, avec fulgurance. Leur intimité est richesse. Car elles provoquent la rencontre du pur raisonnement et de l’émotion pure. Qui attisent la conscience humaine du beau et du vrai. Le feu de la civilisation.

Êtes-vous particulièrement sensible à l’écriture de certains auteurs (poètes ou non) ? Pourquoi ? Et quel rôle jouent-ils dans votre quotidien ? Votre écriture ?

Comme tout lecteur, je me sens fait des livres pour lesquels j’éprouve la plus grande gratitude. Un sentiment de don reçu en propre. Qui me rehausse. Je passe bien plus de temps à lire qu’à écrire. Avançant dans l’âge, je constate que ce sentiment a le prix de la rareté ; ce qui étend encore ma gratitude en poids, comme dirait Montaigne.
Mais, j’ai une bien pauvre mémoire. J’oublie, dans les détails, et parfois même jusqu’au titre, la plupart des livres lus. C’est une perte amère mais qui, après tout, est conforme au vivant qui s’efface peu à peu. Pour Flaubert, on ne connaît bien que cinq ou six livres, dans une vie entière. Il m’est donc nécessaire de relire les livres qui me sont les plus chers, les plus constitutifs. Au fil du temps, ces lectures répétées deviennent une éducation intrinsèque qui m’établit un peu. Par réflexions, par émotions. Comme des filiations voulues. Des réalités choisies dans le réel. Une façon personnelle d’habiter l’habituel. Vraiment.

Ainsi, deux textes -lus pour la première fois lorsque j’étais lycéen- continuent de me façonner : Les Lettres à un jeune poète de Rilke et Les Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau. Les premières disent qu’être poète c’est être capable de convoquer les moindres beautés quotidiennes contre un ennui, un absurde de la vie. Les secondes ont fait entrer en moi les mouvements de la conscience, et, par instants, une contemplation de ce qui est. Les premières me disent que la vie devant soi est notre création. Les secondes m’invitent à un regard qui ouvre la pesanteur et la grâce.
Lire et écrire contre “l’oubli de l’être”, comme dit Heidegger. Je crois que vivre, lire et écrire sont indivis.

Et pour terminer, la question traditionnelle : si vous deviez définir la poésie en 3 ou 4 mots ?

La vie augmentée par les mots.


Stanislas Cazeneuve
Né le 1er octobre 1976 à Toulouse, Stanislas Cazeneuve a passé son enfance dans le Volvestre. Après des études de droit et de philosophie, il vit aujourd’hui dans une aire affective dont les points cardinaux sont l’Ariège, Collioure et la Martinique. Peu enclin à quitter sa maison, où qu’elle se trouve, il passe son temps à lire, composer des chansons et converser. Il écrit très peu.

Poésies a paru dans la revue Multiple en 1993. Après Larmes Qamar en 2016, Origine Horizon est son deuxième livre publié par les éditions de la Crypte en janvier 2020.


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