Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Sylvie Chareyre

mercredi 5 juillet 2023, par Cécile Guivarch

je suis le mensonge de mes aïeux
leur miroir aux alouettes
l’impossible incarnation
d’un frère
apparu
disparu
je suis la consolation
qui ne viendra pas

je t’ai invité
dans les eaux claires
à des jeux d’enfants
j’ai inventé
un peu de liberté
pour toi
pour moi
va
et je serai

Bella ciao se répandait sur la plaine du Pô
d’avril à septembre
chant des mondines dans les rizières

tandis que tu partais
moustache et chapeau
ton air bravache en bandoulière
portait une poche de peines

vous vous étiez retourné
de temps en temps
vous aviez gravé
à chaque fois
une nouvelle image
de votre village
vous en étiez les enfants
héritiers d’un métier
vous creusiez des tunnels

on vous attendait au pied du Mont- Cenis
la galerie ouvrait la montagne
les légendes ne la hantaient plus
les ombres étaient les vôtres
as-tu serré les mains des gueules noires
venues à votre rencontre ?
on t’attendait à Saint-Étienne
le charbon sortait des galeries
les poussières s’accumulaient sur les crassiers
ta vie de mineur commençait
Michel Rondet vous défendait
une statue de lui à la Ricamarie
une photo de toi dans mes mains
moustache et chapeau

je suis du pays des poissons volants
deux ou quatre ailes
je suis du pays des oiseaux plongeants

je suis une barque parfois
les jours d’errance
les jours de vacance
tu t’y assois

tu n’as jamais vu la mer
à tes yeux
les poussières des résidus excavés
font
deux traits sous le soleil de plomb
quatre traits lorsqu’ils plongent
par dessus bord

la sueur roule et goutte
à la pointe de tes mèches collées
le barbier est passé
tu creusais
il va de campements en campements
ses outils dans sa besace
il reviendra

nous, nous cabotons
un point le jour
une ombre chinoise
entre chien et loup
le jour échappe à la nuit
au fond
sur la ligne d’horizon

qu’un paquebot nous avale
mon rêve disparaît
entre les vagues
ton chant heurte l’acier
de la ligne de flottaison
jusqu’aux canots
j’emporte son écho

il n’est pas encore midi
nos ombres ont disparu
elles se croisaient
n’en faisaient qu’une
ou se doublaient
fines silhouettes
sur les murs blancs
des villes désertes
étirées
jusqu’à en perdre la tête
nous les retrouvions
parfois
juste à côté
de nos pas

tu cours
où j’ai grandi
sur les murs de pierres sèches
le vent, la pluie,
tombent les pierres
en petits tas
et déjà
les ronces lancent leurs tiges
septembre mêle la brume
aux herbes mûres

sous le chêne
l’écorce à nos dos
tatoue des reliefs

il est des matins
où la beauté de ciels
souffle des désirs
de peinture au couteau
de corps perdu et revenu
nous sommes au bout du geste
pêcheur en bord de Saône
nous remontons la lumière
dans les aplats et la couleur

je suis née d’un principe
de précaution défaillant
sans début
arrachée à tant d’histoires
confinée dans le néant
un cri pour un cri

j’ai des efforts désespérés
j’ai une vie qui s’en va
j’ai des souvenirs falsifiés

je parlerai

en soulevant la poussière
je parlerai
en buttant sur des mottes de terre gelées

entends les onomatopées de la terre
entends le silence des planètes

j’ai décalqué mes pas
sur les pavés
au coin de la rue
je suis
si nue

j’ai ton ombre en souvenir
celle qui au clair de lune
étonne, se faufile entre les murs
se profile sur les bateaux
que je regarde partir
elle vacille sous le joug de ma colère
tombe dans le fleuve
cherche le passeur

c’est une ruelle en pente
un long escalier doublé
d’une large rigole
on a beau se mettre
sur la pointe des pieds
on ne voit pas la fin
on emporte
en descendant
ce qui en haut
l’œil enhardi
par le matin
nous fait peintre d’un jour
du zinc
des tuiles
jusqu’à la Saône
une épaisseur de bleus et blancs
sur laquelle s’appuie
le vert sombre des collines
je continuerai demain
en attendant
Nicolas de Staël


Entretien avec Clara Regy

Écrire ! Est-ce nouveau pour vous ?
J’écris depuis une dizaine d’années, la musique des mots est arrivée en premier, puis un jeu de sons et de sens. Lorsque j’ai trouvé de la justesse à cet ensemble, j’ai souhaité poursuivre. C’est parfois une nécessité. L’émotion, le plaisir, la portée que procurent cette justesse m’accompagnent souvent.

Quand vous écrivez avez-vous des rituels, une organisation, des moments particuliers ?
J’ai besoin de calme, de formes d’abandon pour écrire. De moments de flottements, de consciences, d’échanges, d’écoutes intérieures et les émotions, les souvenirs de mon corps.

La poésie que vous aimez ?

Les différentes voix des poèmes lus dans ma scolarité m’ont plu. Celle de chacun d’entre nous et des poètes. C’était à part et bien présent. Je pense aussi à la poésie de Boris Vian, sa façon de faire sonner les mots. Mes poètes du moment sont Roger Dextre, Marilyn Hacker, Esther Tellermann, Laure Cambau, Alexandre Gouttard. Je relis Blaise Cendrars avec grand plaisir, et découvre la poésie de Melville.

Et cette fameuse question subsidiaire : la poésie en 4 mots !
Sons, rythmes, sens et couleurs.

Sylvie Chareyre habite Lyon et a exercé plusieurs métiers dans la restauration.
Les revues Verso, Arpa et Rumeurs ont publié certains de ses poèmes. Elle a été invitée à participer à un ouvrage collectif, le courage des vivants, paru chez Jacques André éditeur.


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