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Thierry Metz

samedi 15 juillet 2017, par Cécile Guivarch

De Thierry Metz, Jean Grosjean notait en 1989 : « C’est que vivre a quelque chose de terriblement élémentaire... Chaque soir, quand la fatigue ne l’a pas anesthésié, Thierry Metz note la part respirable des heures qu’il a traversées ».

Né en 1956, Thierry Metz s’est donné la mort le 16 Avril 1997.

« J’écris pour ne plus trop m’éloigner de ce que j’ai à faire » (extrait de L’homme qui penche)

Extrait de Poésies 1978-1996, Pierre Mainard Editions, 2017

Cela ce qui est écrit
traversé par la main
je le sors du jour
mot après mot
avec la fourche
et la brouette
mais sans demander
comme si
un jour
j’avais eu à parler

Extraits de Dans les branches

D’elle j’attends ce dessin presqu’un oiseau
une branche ce quelque chose entre le ciel
et ma main
et ce caillou qui ne m’arrête pas
est-il autre chose pour s’éloigner
que d’avoir grandi où elle aura passé

Ainsi chaque jour un travail
perché sur mon épaule
la terre en vue retournée
par la mort
un instant
de ce qui brille
les yeux fermés

Paupière une écriture
si fine frissonne de recueillement
dans les branches
d’un oiseau gavé de lumière
comme un fruit

Extraits de Lettres à la bien-aimée

Entrer et sortir à chaque mot, comme d’une
maison.
Je t’y retrouve pour que dure l’improbable,
un silence, un mot, ou quelques pas dehors.
Se relever. Ecrire. Ecouter la maison. Peur
d’avoir oublié quelque chose.

Tout se révolte autour du livre. Et s’im-
plante.
Car tout peut encore s’esquisser dans les
marges, dans les blancs.
Une saute d’humeur.
D’où je reviens, pour tarir la nuit.
Pour reboiser l’instant.

Tu reviens du travail. Tu me caresses la joue.
Les enfants sont encore dans un feuillage de
mots, dans un livre.
J’ai posé deux assiettes, un plat de riz.
Un silence. Par où ils reviendront. Par quoi
se fait le jour.

J’aime m’allonger contre toi, le soir, sans les
épices de la lampe, une main sur ton ventre,
mon visage entre le cou et les cheveux.
Là : un oiseau pourrait se poser, sans crainte.
Je sais bien que nous pensons à des soucis,
à des transhumances. Mais comment ne pas se
mesurer à ce qui est ? à une vie courante ?
Nous n’en parlons pas. Nous sommes où les
quatre vents nous ont amenés.
C’est là qu’est le puits. Ta bouche contre la
mienne comme des gosses qui ont mangé des
fraises, ou fait tomber des pierres pour entendre
jusqu’où on l’entendrait.

Sans qu’on s’en aperçoive tu vas de la cuisine
au monde.
On te laisse passer avec des œufs et du lait.
Avec aussi le petit pain d’écriture. Qui dure
une semaine.

Extraits de L’homme qui penche

1.

CENTRE HOSPITALIER DE CADILLAC EN GIRONDE,
PAVILLON CHARCOT. OCTOBRE 1996

C’est l’alcool. Je suis là pour me
sevrer, redevenir un homme d’eau et
de thé. J’envisage les jours qui viennent
avec tranquillité, de loin, mais attentif.
Je dois tuer quelqu’un en moi, même si
je ne sais pas trop comment m’y prendre.
Toute la question ici est de ne pas perdre
le fil. De le lier, à ce que l’on est, à ce que
je suis, écrivant.

24

Un homme marche dans les feuilles,
non loin du pavillon. Il se déplace si
lentement, avec tant de précautions
qu’il ne s’aperçoit pas qu’un arbre le
suit.

38

Je n’arrive pas à leur parler. Pas
entièrement comme je voudrais. Je
laisse des mots derrière les mots -
arrivés mais cachés, en retrait de
l’enterrement.
J’effleure ce que j’écris comme après
une longue journée de travail.
Chaque mot m’essouffle.

51

L’homme qui penche se penche
pour écrire, pour retenir, peut-être,
ce qui était plus penché que lui. Il y
a les bruits que fait quelqu’un dans
mon oreille. Et quelque chose qu’on
a laissé tomber.

Extraits de Dolmen

échappé des fables
tu vas - chercheur d’eau -
sans demander où est la terre
archive de l’ici

mais va plus loin
où l’on tresse

et frappe
- à même le sol -
le tambour des langues

INSTANTS

tu peux tenir longtemps ici
dans le cratère - dans l’inachevé -
seul
avec la parole et la graine

demeurer où il y a toujours à faire
seul avec l’absent

un visage à la cime des mots

LACUNAIRES

Extraits de Terre

J’entraîne mes pas.
Dans une demeure que je n’attendais pas,
si frêle
où ma voix
comme une torche
s’éteint.
Ne s’entend plus
que sur un bûcher.

Mais la voix revient, chargée de foin :
Où sommes-nous ?
Quelle heure est-il ?
Il n’est que maintenant. Et c’est le livre. Et je n’ai rien trouvé d’autre. Mais je sème. Tout ce que je suis. Pour qu’il y ait un chemin au croisement de nos voix.
Je me tais.
J’écoute.
Un oiseau s’est posé sur moi.
Quelqu’un dans la haie a
ouvert un livre
malgré les épines

Extrait in Revue Friches 50 (et dans Diérèse 56)

Un visage, une amande : demeurer ce petit homme dans la rue qu’une ombre immobilise, une orange dans la main, un désert dans les yeux. Sans le savoir il n’est plus que ce qui doit être : le souci d’une mère et un oiseau.

Revue Friches 50 (et dans Diérèse 56)

Un avril d’oiseaux s’éveille dans les arbres. Qui sait où je vais ? Pas un nuage, seulement le chemin de castine puis le bois. Je rôde par là vers rien. Dans cette lumière qui me cherche comme une ombre. Seule, agaçante, une abeille me tourne autour. Mais chacun des pas compose un chemin.
Ce n’est pas que moi. Né d’une fougère.
Promeneur sans bâton.
Toujours lui, jamais le même. Une branche, peut-être de l’indiscernable.

Extraits de Carnet d’Orphée, éd. Les Deux-Siciles, 2012

Je n’emporte rien puisque tout tient dans l’intime et immense espace du regard.
Des instants de ciel sous les pas.

*
Tout ce que je pense n’a peut-être plus d’importance. On dirait qu’il ne reste plus que les outils – que l’instrument.
Un instrument pour chercher.
Un instrument pour construire.
Mais je suis en direction de ce qu’il n’y a plus à comprendre, pour ainsi le comprendre, y laisser de l’écriture.

Extrait de Sur la table inventée, Éd. Jacques Brémond, nouvelle édition 2014

« Demande au veilleur là-haut
sur sa branche
parmi les lucioles
dans la braise des mots
dans le presque rien d’écrire
il sait – lui- l’attardé
que son aujourd’hui
dorsale de l’ailleurs
n’a pas d’autre horizon que sa langue
où l’éclair se dénude »


Bibliographie

  • Dolmen, La demeure phréatique (Cahiers Froissard, prix Froissard 1989)
  • Sur la table inventée (Jacques Brémond, prix Voronca 1989)
  • Le Journal d’un manœuvre (Gallimard, l’Arpenteur, 1990)
  • Entre l’eau et la feuille (Arfuyen, 1991)
  • Lettres à la Bien Aimée (Gallimard, l’Arpenteur, 1995)
  • Dans les branches (Opales, 1995)
  • Le drap déplié (L’Arrière Pays, 1995)
  • De l’un à l’autre (Jacques Brémond, 1996)
  • L’Homme qui penche (Opales, 1997)
  • Terre (Opales / Pleine Page, 1997)
  • Dialogue avec Suso (Opales / Pleine Page, 1999)
  • Sur un poème de Paul Celan (Jacques Brémond, 1999)
  • Tout ce pourquoi est de sel (Pleine page, 2008) Inspiré par le travail pictural de son ami M. Feld.
  • Carnet d’Orphée (Les Deux-Siciles, 2011, avec une aquarelle de Jean-Claude Pirotte)
  • L’homme qui penche (Éditions Unes, 2017, nouvelle édition)
  • Poésies 1978-1997, rassemble ses poèmes jamais parus en livre (Pierre Mainard [archive], 2017)

Diérèse 52-53 et 56 (deux numéros spéciaux entièrement consacrés à Thierry Metz)
L’homme qui penche a fait l’objet d’une adaptation au théâtre par le comédien et poète Lionel Mazari en 2003 à la Médiathèque intercommunale de Miramas

Sur un poème sur Thierry Metz de Cédric Le Penven, chroniqué par Yann Miralles

Photo tous droits réservés Françoise Metz


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