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Trois lectures de Jacqueline Persini

vendredi 29 octobre 2021, par Cécile Guivarch

Jeanine Baude, Les roses bleues de Ravensbrück, La rumeur Libre, 72p., 2021

Jeanine Baude est auteur de nombreux recueils de poèmes, de récits qui s’inscrivent dans une grande ouverture au monde.

Avec un non à toute forme de violence, un oui à la beauté et à la jouissance, elle poursuit sa marche dans un besoin vital de poésie. Son écriture exigeante ravage et sauve. Tous ses livres semblent habiter un lieu de risque, d’énergie, de résistance. Avec un même souffle, elle entremêle les fils du dehors et du dedans, de l’intime et de l’universel.

Dans ce recueil, elle parle aux femmes de Ravensbrück : « Tuées, Trouées, Clouées, Battues, Violées / par les nazis, dans le camp de concentration ». Sa mémoire est une mémoire du corps, comme si circulait dans ses veines à elle, leur sang, comme si leurs jambes la portaient, l’incitaient à tenir debout. Et par la magie de la sculpture de ses phrases, on la voit donner la main à ces femmes pour sauver leur peau, sauver la sienne et la nôtre…S’identifiant au « matricule des roses bleues de Ravensbrück », avec Adèle, Adrienne, Sophie, elle résiste, rit, danse, invente un chant. Le désir est comme « une couverture chaude et pailletée/ en perles de rosée/en roses de sang », désir qui sait aussi se vautrer dans l’audace du premier amour. Une louve hurle : « il n’y a que/ le désir/ pour réparer crabe et cancer/jetés contre un rocher/ écrabouillés ». Il faut s’en sortir « comme/ elles s’en sont sorties » … « surfer/sur la vague du courage », « s’épouiller du mal », afin d’atteindre le versant ensoleillé de la vie.

Surgis des entrailles de la terre et du corps, ces poèmes bougent le sens de nos blessures et celles de l’Histoire tout en ouvrant l’espace du courage, du partage, de la sororité.

Et la mer, toujours présente dans les recueils de Jeanine Baude, la mer dans ses mouvements, sa vastitude nous apprend le dépassement, l’acquiescement au violet de son encre. Les vagues nous relient à la force du désir de toutes ces femmes, désir qui soulève « la mort/ comme se lève une voile de navire ».

Sylvie Fabre G., Pays perdu d’avance, couverture Fabrice Rebeyrolle, L’herbe qui tremble, 2019, 113 pages.

Dans ce recueil, nous est livré le combat de l’écriture et de la vie pour « déposer la mort » et le silence. La poétesse nous confie ainsi ce qui fonde son geste d’écrire avec un retour sur son enfance perdue mais réinventée. Un espace intime qui renvoie au plus universel, à ce qui, dans notre humanité, se partage.

Dans la première partie « Quand la lumière tombe », les litanies de « la vieille enfant » tentent d’approcher « l‘indépassable douleur » d’un mal qui lui a été légué avec « la lampe de la vie ».

Dans la deuxième et plus grande partie vient « Le chant de l’oiseau » avec sa romance… S’égrènent les souvenirs du « grand pays perdu d’avance. » qui est l’enfance. « Ce sont les hirondelles qui ouvrent l’horizon dans « le grand air des mots ». Ces oiseaux métaphorisent le chemin de vie et d’écriture de la poétesse. Tantôt dans le silence, tantôt dans un chant ivre de vitalité : « je devenais la virevoltante hirondelle », celle qui fait face à l’énigme de la présence absence du père, de la mort du frère. Les poèmes se dépensent sans compter comme le faisait la mère qui a toujours pris le parti de la vie et des livres. Dans « la ronde mouvante des hirondelles », l’espace s’agrandit, les mots « se repassent » « au fer brûlant de l’amour et de la disparition ». Les battements des ailes attirent le bruissement des mots, délivrent du silence et réconcilient la langue. La mort s’aère. « La splendeur de la parole » de la mère a été transmise à la fille qui peut ainsi consentir à l’envol.
Dans la troisième partie « Quand rayonne la nuit », le noir n’est plus noir profond mais ouverture vers de nouvelles compositions de souvenirs. Et dansent les hirondelles pour accompagner « une autre mise au monde ». Dans « ce pays perdu d’avance », la boussole est l’amour de la mère où, semble-t-il, les ferments poétiques et les éclats de vie ont été puisés. Avec pudeur et délicatesse, Sylvie Fabre G. transforme les douleurs profondes, fait émerger ce qui était resté sans mot. Ainsi ses voix multiples traversent la nuit et le temps pour nous parler de ce lien profond et complexe mère fille. De belles litanies bercent « la vieille enfant » qu’elle est et que nous sommes. Nous voici un peu apaisés, un peu consolés…

Anne-Lise Blanchard, Le ravissement de la marche, cinq encres de Sabine Péglion, L’atelier du grand Tétras, 2021, 92 pages.

Dans ce nouveau recueil, Anne-Lise Blanchard poursuit le ravissement de sa marche en haïkus. « malgré tout se tenir droit » et même avancer… Le mouvement fait partie intégrante de la vie et de la poésie de cette voyageuse du corps et de l’âme.

Ses poèmes ciselés ponctuent le chemin avec un festin de couleurs, de frémissements, avec l’écoute de ce qui gronde, pépie, siffle, chuinte... Des parfums effleurent nos narines, ne sommes-nous pas encore « Vivants/ un jour de plus ? » Du nouveau-né au corbillard, du ciel noir à la lumière, la poétesse nous offre un regard attentif à la pointe des instants qu’elle capte. La face sombre du monde n’est pas gommée : la poubelle, les plastiques en folie, le chaos, la solitude, « le bandeau noir sur la ville/ le fleuve/ ce 11 novembre ». L’encre de la couverture où domine le rouge accompagne les jaillissements du désir, du plaisir dans la marche vers soi, vers les autres dans un univers en reliance avec le végétal et l’animal. Si la nature reste essentielle et fonde une philosophie basée sur le respect, l’émerveillement, l’humilité, la ville est aussi présente : « Matin encore gris/ dans le tram/ stigmates sur le visage ». Les encres de Sabine Péglion où domine le bleu résonnent avec « l’éclair bleu du matin », « mai qui pétille » et avec de nombreux versets. Sur la crête de la montagne ou sur celle des poèmes, nous voici en dialogue avec l’univers entier, dans le ravissement d’instants de grâce. Peut-être devenons-nous plus conscients de la chance de notre passage ? Et pourquoi ne pas » gravir l’échelle adossée/ au mur épais de brouillard/ décrocher le soleil ? »

Jacqueline Persini


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