En hommage à Julien Bosc, décédé en septembre 2018, Terre à ciel se souvient de cet entretien, paru dans le numéro de janvier 2017, avec émotion et beaucoup de tristesse. Nous complétons par des extraits de parutions de ces dernières années. Julien Bosc n’oubliait jamais de les faire parvenir en service de presse à Terre à ciel.
Entretien avec Julien Bosc par Cécile Guivarch
Vous êtes une toute jeune maison d’édition, si je puis dire, vous éditez depuis 2013 des plaquettes, comment avez-vous eu le désir de faire de la micro-édition ?
En tant qu’auteur, je ne parvenais plus à écrire depuis deux ans. La relation que je vivais avec le poème, une relation physique, me manquait, non sans douleur (un mot qu’il faut toujours relativiser face aux atrocités du passé ou celles du monde contemporain). D’où ce désir : plutôt que de rester dans la frustration et n’avoir plus aucun échange, de la main aux mots, avec le livre (sinon comme lecteur) autant éditer d’autres poètes et partager leur voix. La parution de la première plaquette, Pierres Milliaires, de Joël Baudry, fut un bonheur immense. C’était « mon » premier livre.
« le phare du cousseix » : comment est venu ce nom ?
La maison que j’habite dans le sud de la Creuse ressemble à une petite tour carrée. Par amour de la mer et ses rivages, je l’avais baptisée « le phare ». Quand au lieu-dit où elle se situe, il se nomme Le Cousseix. Je n’eus ainsi pas à chercher bien loin le nom de la maison d’édition : il s’est présenté comme une évidence. Au début de l’aventure, je n’étais pas certain d’avoir fait un bon choix. Je n’ai depuis plus aucun doute.
Petite édition, mais néanmoins déjà de belles voix au catalogue, Fabienne Courtade, Ludovic Degroote, Erwann Rougé, Jacques Josse, pour n’en citer que quelques-uns. Comment choisissez-vous vos auteurs, comment gagnez-vous leur confiance ?
Tandis que j’envisageais de créer une petite maison d’édition — elle s’inspirait des belles éditions Wigwam, animées par Jacques Josse —, j’en parlai notamment à Muriel Bonicel, amie et libraire à la librairie Tschann. Son compagnon, Joël Baudry, était décédé depuis peu et venait de paraître, à L’Escampette (aujourd’hui La Nouvelle Escampette, animée par Sylviane Sambor) Fruits Maraudés. Elle me proposa de lire Pierres Milliaires, des proses rares et solides – et de telles pierres, pour les fondations d’un phare, c’était de bel augure, à condition d’être à la hauteur. Jacques Lèbre, merveilleux poète dont la voix est trop rare – tant elle est exigeante –, me fit ensuite présent de Onze propositions pour un vertige ; quant à Jean-Claude Leroy (À la porte est le troisième titre publié par les éditions) nous sommes amis depuis plus de vingt ans et j’avais très envie de le publier. C’est dire combien l’amitié a donné souffle aux éditions. Les auteurs dont j’ai ensuite publié un recueil, je les ai le plus souvent sollicités et chacun a bien voulu répondre à l’appel. Pour quelle raison ? C’est à eux de répondre. Je pense toutefois que la plaquette est un espace nécessaire pour les poètes qui n’ont pas, ou ne veulent pas toujours publier de longs recueils, certains de leurs poèmes, courts, ayant une existence autonome. Avec chaque auteur, invité ou non, la relation a été différente et toutes les fois heureuse.
Alors de la confiance ? Probablement. Je pense aussi qu’ils ont voulu m’offrir une part d’eux-mêmes afin que nous tentions ensemble l’aventure. Et des présents tel que ceux-là : ça fait du bien !
Je voudrais aussi préciser que le réseau s’est tissé peu à peu, et va s’élargissant. Jacques Lèbre, à cet égard, est un précieux compagnon de route, un passeur : je lui dois d’avoir rencontré Marie-Paule Blein, la découverte des poèmes de Joël Cornuault ou d’être entré en amitié avec Alain Lévêque dont j’avais lu les livres précédents.
Jusqu’à présent, je le regrette, je n’ai pas assez publié de jeunes auteurs – sans doute voulais-je d’abord bien asseoir la maison. Mais dès 2018, outre les voix déjà connues de Franck Guyon ou Frédérique Germanaud, de nouvelles seront à découvrir : Pascale Alejandra ou Antoine Boisseau dont j’ai reçu les manuscrits. C’est aussi pour eux que j’accélère le rythme des publications.
Quelle poésie souhaitez-vous défendre et pour quel type de lectorat ?
Celle que j’aime ! Des poèmes (en vers ou prose) qui, dès la première lecture, me ravissent et me font entendre une voix. C’est mon seul critère pour choisir et n’ai donc pas de « ligne éditoriale » à proprement parler. Je le dis pourtant souvent, notamment à ceux qui ne lisent pas de poésie : les auteurs publiés par le phare du cousseix écrivent sans posture ; il sont ancrés dans la vie (sa part lumineuse, sa part obscure) et chacun peut se reconnaître dans leur poésie, la lire sans s’y perdre, ni la trouver trop fermée ou abstraite. Et parmi mes grandes joies d’éditeur : celles de lecteurs, particulièrement ici dans la Creuse, qui ne lisent jamais de poésie mais la découvrent à travers les plaquettes et s’aperçoivent qu’ils peuvent, eux aussi, y prendre intérêt et plaisir.
Un souvenir d’édition que vous aimeriez partager ?
Les mégères de la mer, de Louis-René des Forêts, publié au Mercure de France en 1967. Un beau livre, du bel ouvrage ; à mes yeux l’un des plus grands poèmes des temps présents.
Mais si vous voulez parler du phare du cousseix, chaque livre est une traversée ouverte sur des émotions singulières. Toutefois, l’une de mes plus fortes émotions fut la découverte du Moulin du Got, des presses, du plomb, du travail et des savoir-faire des imprimeurs.
Je vois sur le site, des titres à venir, encore de belles plumes, Louis Dubost, Jean-Christophe Bellevaux, Françoise Clédat, Michel Bourçon, Dominique Maurizi, Etienne Faure, Sylvie Durbec... Un mot sur chacun de ces titres ? Quand paraîtront-ils ?
Les livres des cinq premiers auteurs paraîtront en 2017, aussi celui d’Etienne Faure, dans la mesure du possible, et à raison d’un tous les deux ou trois mois.
Un mot donc sur chacun d’eux :
Fin de saison de Louis Dubost : D’un homme peut-être en fin de course, des sortes de regards par la fenêtre, celle d’une demeure et du temps.
L’emploi du temps, de Jean-Christophe Bellevaux : Qu’est-ce que vivre quand on écrit et prépare une salade de lentilles.
a ore Oradour, de Françoise Clédat : Un retour sur le désastre, aussi sur ceux d’aujourd’hui.
À l’arbre que l’on devient, de Michel Bourçon : Une suite de courtes proses, traductions d’une attention au dehors qui ricoche contre des tourments d’écriture.
Vacarmes, de Dominique Maurizi : Une tête dans laquelle l’écriture ne cesse pas de parler
Écrits cellulaires, d’Etienne Faure : Trente-neuf poèmes de deux à six vers : autant de cellules pour enclore la mort, parfois l’amour, le petit jour.
(bien difficile de) TRANSFORMER LA JALOUSIE EN BALLOND ROND, de Sylvie Durbec : La construction d’une maison, l’enfance ; un drame, peut-être, et l’apparente légèreté nécessaire.
Plaquettes, cela signifie, livres de quelques pages, quelques vers, quelques lignes de prose, auriez-vous envie à l’avenir de vous lancer dans des parutions plus conséquentes ?
Le format des plaquettes est établi : deux in-quarto, soit seize pages dont treize de texte. Il n’est qu’une exception : L’art d’être tigre d’Ana Luisa Amaral, publié en version bilingue, avec quatre pages supplémentaires.
De 2013 à 2015, trois plaquettes ont paru chaque année ; en 2016, quatre. En 2017, le rythme passe à cinq, voire six publications annuelles — aussi car les éditions sont soutenues par le CRL en Limousin et la Région Nouvelle Aquitaine depuis deux ans.
Les trois premières plaquettes étaient imprimées en numérique. Grâce à Jean-Pierre Thuillat (revue Friche) j’ai ensuite découvert le Moulin du Got, à Saint-Léonard-de-Noblat et les livres sont depuis imprimés sur presse typographique — grâce au travail remarquable des imprimeurs, Isabelle Pastor et Christophe Roudaud.
En outre, depuis le dernier mois de juin, des tirages de tête sont imprimés avec, le plus souvent, l’intervention d’un artiste (Marc Girard – il a aussi créé le logo des éditions – pour Papiers retrouvés, de Fabienne Courtade, ou Valérie Linder, laquelle accompagne Fin de Saison, le livre de Louis Dubost).
Cet historique pour souligner que le phare du cousseix n’est pas figé. Et je pense, oui, depuis quelques mois, à publier, un jour ou l’autre, un livre qui excéderait le format actuel. Si ce projet voit le jour (les projets, car les envies ne manquent pas : poèmes inédits en français d’Umberto Saba, réédition d’un livre épuisé de Jacques Lèbre, un ouvrage d’Édith de la Héronnière…), il s’agira d’une publication marginale (une par an ou une tous les deux ans ?) car les plaquettes sont le cœur de la maison — où l’on entrebâille une fenêtre pour écouter une voix.
Le grand rocher sur la plage a grevé ma mémoire stylet il a écrit dans ma cervelle il s’est servi de moi comme d’une tablette il s’est servi de moi pâte molle – stylet considérable à l’ouvrage inconsidéré. Le grand rocher lui-même signé par l’écriture baratte les vagues ponctuées par les vents, qui ne dit plus que le règne de l’eau le grand rocher qui me blesse et m’enchante jouit de la même cellule que moi et la mer la grande maîtresse de l’écriture est dictée par la nuit porteuse d’enfants analphabètes.
Pierres Milliaires, Joël Baudry
Des souvenirs plus lointains, par exemple
une visite de René Char,
remontaient parfois à la surface
si l’on t’interrogeait sur ton passé
afin d’entretenir encore un peu la conversation
comme on jette une dernière bûche
dans un feu sur le point de s’éteindre.
Onze propositions pour un vertige, Jacques Lèbre
tu écris peut-être quelques mots
sur des cahiers cachés dans des placards
quelques mots qui n’ont rien à voir
qui sont encore loin de ton secret
mais cherchent à le rejoindre
des mots tremblants qui rougissent
des mots de feu qui ne chauffent qu’un seul endroit
À la porte, Jean-Claude Leroy
Voici Castell Fferwynt à droite, de l’autre côté la vue se coince avec le fond de la vallée ; des conifères bordent le jardin de la maison ; la route redescend doucement malgré le dénivelé, à gauche, on voit des moutons et des pierres, de l’herbe rase et des taillis formant bouquet, c’est-à-dire des moutons-fleurs, des pierres-fleurs, de l’herbe rase-fleur, des taillis-fleurs, formant bouquet tandis que je longe Yewtree court, formant bouquet parmi d’autres : Ty-côch, Dan-yr-heol, Upper llwyn-celyn, Castell Fferwynt, d’un bouquet l’autre, moi : neutralisé par cette force de l’émerveillement : voir, dire, exister : enchevêtré, érodé, traversé : formant bouquet.
Llanover-Blaenavon, Ludovic Degroote
do amor
Tempos como de estrelas olhos abertos, |
de l’amour
Des temps comme des étoiles les yeux ouverts, |
L’art d’être tigre, Ana-Luísa Amaral
(édition bilingue portugais/français, traduction de Catherine Dumas)
En mes forêts
Pas loin de vos maisons
Il y a des endroits où vivre
Est encore possible
Rien qu’à humer l’air
Le récit est une voix timide, Marie-Paule Blein
Hirsute,
rentre des bois,
son chien sur les talons,
la boîte de bière à la main
et l’urne bleue sous le bras.
A passé l’après-midi assis sur une souche.
A boire et à causer avec le frère.
Devant la maison à vendre
et la carcasse rouillée
d’une voiture enfouie
sous les ronces.
Au célibataire, retour des champs, Jacques Josse
c’est arrivé du côté
de la taie d’un nuage
la rosée noire sous les dents
se mélange à l’air
dans le corps des amants
un peu de froid passe le guet
tout est seul et peu de choses
il suffit de remuer la proie
on parle avec et ce n’est pas encore cela — mourir
Breuil, Erwann Rougé
Longtemps j’eus plusieurs adresses
mais je logeais
princièrement
dans ta bouche
à fond de cale
nous avons pris langue
je tirais les marrons du feu
quand j’avais sommeil
je m’endormais
dans tes heures claires
sans jamais me perdre
tes propositions me renversent
tes pentes me remontent
tes éclaircies à jamais
ton blé blanc
ton herbe qui abrite
la clairvoyance du monde
Des frégates merveilleuses, Joël Cornuault
J’ai entendu leurs voix
Les morts ne s’occupent pas des vivants
l’eau fait des avancées
presque mauve
je ramasse une branche d’arbre
je la pose
sur l’étagère
tous les jours elle indique : ta présence
papiers
terre remuée
elle pourrit doucement
depuis le mois de juillet
Papiers retrouvés, Fabienne Courtade
HIRONDELLES
Non, elles n’écrivent rien, les hirondelles,
au ras de la Seine et des toits, en avril,
elles ne signent rien, les premières que tu vois,
en si petit nombre, loin des chambres.
Elles nous donnent l’air en partage,
la grâce de leur faim, de leur soif. Du voilage
d’hiver elles tirent les fils. Pour nous
elles unissent le haut et le bas, elles bouclent
le temps qu’il reste à passer dans la lumière.
Chez Véronèse, Alain Lévêque
Ne laisse pas mourir ce jour et n’oublie rien de lui,
l’épine, la cloche, la prière. Salue les noms, leurs
souvenirs, blancs et lumineux là devant au milieu.
L’épine, jusqu’ici par toi
La cloche, une main dans la neige
La prière, le silence ouvert.
Ne laisse pas ce jour et rêve tout de lui.
Dans la soif ton emblème.
Des lèvres se souviennent d’un amour comme
allumer le feu
Vacarmes, Dominique Maurizi
bien difficile
construire une porte
l’homme l’a fait
pour faire entrer et sortir
bêtes et gens
anciens et modernes
la femme l’a tenté
et en a compté sept
plus une
bien difficile
(bien difficile de) TRANSFORMER LA JALOUSIE EN BALLON ROND, Sylvie Durbec
Un rien suffit pour que l’on d’écarte de son corps, un instant au cours duquel les choses ne sont plus en accord avec le monde, où la vie ne se fait qu’avec des ustensiles, des meubles, une porte ne permet d’en sortir que pour y entrer à nouveau, où parfois on aime rejoindre ce tout à qui on se confie avec le rêve.
A l’arbre que l’on devient, Michel Bourçon
De jour comme de nuit je suis mort
l’espérance a vécu
Elle est morte
au-delà de tout entendement
je respire encore
Et puis soudain sous les traits du mort
se découvrir semblable
à la flamme
proche, vacillante
Jadis fleuris, ces draps d’hiver
où nous avions cherché des positions
pour dormir
- les morts ne cessent de remuer
Ecrits cellulaires, Etienne Faure
peut-être en serait-il tout autrement : du
commencement jusqu’à la fin, il n’y aurait pas une
ombre, ni profil, ni silhouette : ni bande, ni troupe,
ni meute, ni masse, aussi confusément pourraient-
elles s’ébranler : pour autant l’événement n’en
serait pas effrayant, encore moins délicieux ; pas
un cortège, du commencement jusqu’à la fin :
malgré les apparences, sans doute, pas âme qui
vive (je pourrais dire, il n’y a rien d’autre à dire)
aux dix-huit coins de tous les horizons dispersés
comme des grains
Une cérémonie, Frank Guyon
A force
de jouer à vivre
on n’écoute plus
le temps venir à soi
et le temps s’enfuit
sans tourner la tête
on fait porter le chapeau
au liseron qui s’enroule
autour de la béquille
paresse ou lâcheté
la sourde oreille
n’entend rien
à la vie coiffée
par la mort.
Fin de saison, Louis Dubost
Matin. Mer plate, d’un bleu soutenu, plus sombre que celui, aéré, du ciel.
Claquement sec, bref, de petites vagues, comme malgré tout, juste au bord. Forme d’eau uniquement produite par la masse derrière, qui vient s’arrêter sur la plage. Étendue plane du sable mouillé, sans obstacle, et la mer vient seulement s’affaisser, finir là, sans heurt. Quelque chose comme une fatigue, ou une paresse – de mer lasse. Elle marque le bord par habitude. Légers plis d’eau sans force, ou restes d’une force retirée plus loin au large pour se refaire avant le montant.
Vague non préparée ; elle ne se forme qu’à quelques mètres du bord. Une ondulation, un renflement, une chute, le tout dans un mouvement mou, machinal. Et pendant qu’elle finit de s’étaler avec un faible bruit d’air une autre se prépare, la même. Tournis, longtemps, hypnotique, lessivant.
Prises de mer, Antoine Emaz
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