Entretien avec Hélène Durdilly par Cécile Guivarch
Quand et comment est née la revue rehauts, de quelle nécessité et d’où vient son nom ?
Le premier numéro de la revue est paru au printemps 1998. J’avais trouvé, dans la maison familiale de mon compagnon où nous passions nos vacances, des revues anciennes, la très belle revue « Verve » et d’autres comme « Le Point » et « Zodiaque ». Dans ces revues y étaient entremêlés écrits et interventions d’artistes. Il s’en dégageait un esprit particulier, une foi en l’Art qui me subjuguait.
Je passais des heures et des jours à les contempler, si bien que j’ai eu l’envie d’en créer une dans le même esprit, si possible, où se rencontreraient écrits et artistes.
Mon compagnon, poète, co-fondateur des éditions « L’ Atelier La Feugraie », avait une expérience de l’édition. Ensemble nous avons précisé la ligne de la revue future qui devait être essentiellement tournée vers l’art, avec des textes sur et autour d’artistes.
D’où rehauts adopté pour nommer la revue. « Rehaut » est un terme de peinture qui, selon le Petit Robert (édition de 1995), désigne une « touche, hachure claire, destinée à accuser les lumières ».
Nous avons fait appel à des auteurs qui ont accepté de participer au premier numéro. Nous avons mis au point une maquette et avons demandé une aide au CNL qui nous a été accordée. C’est ainsi que la revue a pu voir le jour.
Les tout premiers numéros étaient centrés sur deux ou trois artistes. Mais cette forme a été difficile à tenir dans la durée, les auteurs acceptant de fournir un texte sur commande autour d’un artiste désigné, se faisant de plus en plus rares.
La revue a donc évolué. D’essentiellement artistique, elle est devenue essentiellement littéraire. Les artistes sont toujours là mais contenus dans des cahiers bien séparés.Comment sélectionnez-vous les textes ? Faites-vous appel aux auteurs ? Quelle idée de la poésie souhaitez-vous défendre ?
Le problème de la sélection se pose surtout pour les manuscrits d’auteurs inconnus que nous trouvons dans la boîte aux lettres. Nous ne pouvons pas tous les prendre, aussi nous sommes bien obligés de faire un tri. En fait nous n’en retenons que peu. Nous n’avons pas la prétention de détecter les textes de « qualité ». Peut-être retenons-nous les textes qui nous déroutent un peu, qui diffèrent, que nous n’attendions pas.
Mais ces « découvertes », assez rares, ne font pas un numéro. Aussi nous faisons appel à des auteurs que nous connaissons.
Nous n’avons pas d’idée préconçue d’une poésie à défendre plutôt qu’une autre. Je crois que nous sommes ouverts à toutes formes, encore que, quelquefois, il nous faut un certain temps pour se faire à certaines formes, les écritures « à contraintes » par exemple.
Il n’y a pas de critères objectifs à la sélection. Pas de mode d’emploi, ce serait trop simple. J’ai pour principe qu’un texte qui me touche peut toucher quelqu’un d’autre (le lecteur). Le goût personnel intervient mais pas seulement. Un texte peut être jugé intéressant sans séduire absolument.
Je suis sensible à l’aspect esthétique. J’aime l’objet « poème ». Les mots, leur disposition, les blancs, les vides où logent les non-dits : les poèmes sont de véritables œuvres d’art.Quel est le lien, selon vous, entre la poésie et le dessin ? Que vous apporte la poésie dans votre peinture ?
L’association de l’écrit et du dessin a, pour moi, un grand pouvoir d’évocation, de rêve. Un monde engendré dans l’imaginaire de celui qui feuillette la revue. C’est la raison d’être de rehauts, comme je vous l’ai expliqué plus haut. Pour autant, il n’y a pas, dans la revue, de lien de dépendance entre texte et dessin. Les dessins présentés ne sont en aucun cas des « illustrations », c’est-à-dire des appuis imagés aux textes.
Poésie et art sont deux mondes séparés. L’un et l’autre ne s’influencent pas du point de vue du processus créatif.
Lorsque j’entre dans mon atelier je juge mon travail de la veille uniquement d’un point de vue pictural : tient-il ? est-il assez fort ? me surprend-il ? Dégage-il cette part de mystère à moi-même que je recherche au-delà de la stricte composition ? Le poète a ses propres préoccupations de poète, qui peut-être s’apparentent parfois à celles du peintre, mais chacun travaille de son côté.
Y a-t-il complémentarité ? Objectivement, le poème marche tout seul, le dessin aussi. Et pourtant nous aimons leur association. Un mystère.Comment fonctionne le comité de rédaction ? Comment s’organise chaque numéro ?
Le comité de rédaction compte 3 personnes. Très restreint, il n’a pas besoin d’un appareillage formel pour se réunir ou pour voter en cas de désaccord.
Nous recevons des manuscrits tout au long de l’année. Nous faisons alors un premier tri. Mais le choix définitif n’est fait qu’au moment de l’élaboration du numéro, soit 2 fois par an. Nous ne nous engageons pas avant auprès des auteurs, ceci afin de garder une liberté dans la conception définitive. Le choix de dernière minute permet en outre de garder une certaine unité dans la « qualité » des interventions.
Souvent les dessins sont faits spécialement pour la revue, ce qui implique, de notre part, que nous donnions, lors de visites d’ateliers, quelques indications sur ce qui peut convenir.
Selon un principe posé dès le départ nous ne publions pas de photos.
Par ailleurs nous nous sommes donnés comme contrainte un nombre strictement déterminé de pages : 96, pas une de plus ou de moins.
Le principal problème, lors de l’élaboration du numéro, est l’ordre des intervenants. Ici, aucun principe prédéfini. Le Mâche-laurier, qui n’existe plus aujourd’hui, avait choisi l’ordre alphabétique. Voilà qui ôtait aux auteurs toute contestation sur leur rang dans la revue, ou sur la proximité de tel ou tel auteur.
Ce n’est pas notre choix (ce que je regrette car alors ce serait tellement simple), nous nous réservons la plus grande liberté dans la conception. Notre ordre est guidé par notre seul sentiment d’harmonie.Que pensez-vous de la poésie de la jeune génération qui émerge ? Assistons-nous à un renouveau ?
Vous dites « la » poésie, comme s’il existait une certaine poésie attribuée à la jeune génération. Or, je ne vois pas qu’il existe une telle poésie. Les jeunes écrivent, nous recevons bien des manuscrits de jeunes, mais aucune révolution ne se profile.
Dans les années 70, il y a eu un remue-ménage autour d’un nouveau lyrisme, avec la figure très particulière de Frank Venaille, entre autres, et l’émergence de nouvelles revues telles que Action Poétique, Chorus, Opus… Poètes amis d’artistes relevant d’un courant qu’on a appelé « Figuration narrative » (Monory, Klasen, Schlosser…). Dans les années 90, un groupe de poètes autour de Cédric Demangeot, avec une poésie noire et rebelle. Un peu plus tard a émergé une poésie de femmes qui cherchent à s’affirmer indépendamment de la poésie jusqu’ici dominée par les hommes : Sophie Loizeau, Ariane Dreyfus, Séverine Daucourt, Sereine Berlottier, Cécile Mainardi, Hélène Sanguinetti et bien d’autres encore.
Je pense qu’actuellement le véritable renouveau est celui de ces femmes. Nous avons d’ailleurs fait un numéro spécial « femmes » pour le vingtième anniversaire de la revue.Je vous remercie beaucoup chère Hélène Durdilly de nous avoir accordé un peu de temps pour mieux connaître votre revue